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Arts

L’homme qui fit connaître Soutine et Modigliani

Les trésors d’un collectionneur restituent l’univers de l’École de Paris.

Esthète réservé et moins fortuné qu’un Paul Guillaume ou un Albert Barnes, Jonas Netter  n’achetait pas des tableaux pour s’enrichir mais pour son plaisir. Si son fils aujourd’hui est encore là pour témoigner, la figure de Jonas Netter reste assez mystérieuse, jusqu’aux traits de son visage : très peu de photographies et un « Portrait d’homme » de Moïse Kisling pour lequel il a sans doute posé.

Né en 1868, ce fils d’industriel part de son Alsace natale en 1872 pour Paris où il demeurera toute sa vie. Il meurt en 1946 après avoir vécu dans la clandestinité pendant l’Occupation. Sa collection, riche en chefs-d’œuvre, est restée cachée jusqu’ici. La Pinacothèque nous permet d’en découvrir un large aperçu avec cent vingt-quatre toiles.

« Le discret Jonas Netter, sans qui  ces tableaux n’auraient jamais vu le jour. »

Représentant en marques et bon pianiste amateur, Netter se montra vite fasciné par le monde de la peinture. Attiré par les Impressionnistes, trop chers pour ses moyens, il se tourne vers de jeunes peintres peu connus. Il découvre ainsi Utrillo dans le bureau de Léon Zamaron, responsable des étrangers à la préfecture de police de Paris. Les œuvres d’Utrillo qu’il acquiert correspondent pour la plupart à sa période blanche, au début des années 1910. On peut admirer ici quatorze vues de rues de Paris et de villages français. Le peintre traverse une période dépressive qui tranche avec l’espèce de douceur qui se détache de ces toiles, en opposition avec la flamboyance des nus et des paysages peints par sa mère Suzanne Valadon  et achetés aussi par Jonas Netter. La correspondance entre Utrillo et le collectionneur témoigne de la confiance du peintre conscient de trouver auprès de lui une oreille attentive et une aide matérielle précieuse. Avant la Première Guerre mondiale, Netter fait aussi la connaissance de Léopold Zborowski, un exubérant poète polonais devenu marchand d’art. Tout son opposé. La collaboration est d’abord fructueuse car le Polonais connaît les jeunes artistes, notamment Amedeo Modigliani, et permet à Netter d’aller vers eux plus facilement.

L’esprit pur

Même si Montmartre est encore un quartier de peintres, la bohème s’est déplacée du côté de Montparnasse. Toute une communauté d’artistes, venus des quatre coins d’Europe, beaucoup d’origine juive, se retrouve dans ce quartier. La capitale, fascinante pour les étrangers, est ouverte aux avant-gardes et la misère y semble moins pénible à plusieurs. Les liens entre l’Italien Amedeo Modigliani et le Russe Chaïm Soutine sont emblématiques de ces amitiés d’alors.

À partir des années 1910 et jusqu’à la fin des années 1920, ces artistes forment l’École de Paris. Loin de leur terre natale, ces peintres cultivent à leur façon cet esprit qu’à la même époque Stefan Zweig, dans une lettre à Marek Scherlag, réclame de la part des intellectuels et artistes juifs : « créer du lien dans l’esprit pur. »

Jonas Netter participe également à cette communauté, comme mécène éclairé, attentif et intègre. Léopold Zborowski, dans leur collaboration, se charge de la partie commerciale et des contrats avec les peintres, profitant au passage pour voler son associé. Netter achète par avance une partie de la production de Modigliani, puis de Soutine, s’accordant ensuite la liberté de choisir les peintures qui lui plaisent le plus. Il va acquérir ainsi une quarantaine de Modigliani qu’il exposera dans son appartement, inspirant des cris d’horreur à ses visiteurs. Lorsqu’on voit les dix portraits présentés ici, dont certains n’avaient jamais été montrés, on est frappé par leur rayonnement tragique et énigmatique. Ils voisinent avec deux huiles de la compagne et modèle du peintre, Jeanne Hébuterne, dont on peut admirer deux portraits saisissants de vie et de finesse.

À quelques pas de là, s’expose la peinture tourmentée de Soutine. Les rapports de ce dernier avec Zborowski  sont difficiles. Netter apaisera bien des fois la situation, manifestant pour Soutine un enthousiasme que le Polonais ne partage pas et lui passant des commandes directement. Les dix-neuf œuvres de Soutine exposées ici, paysages, natures mortes et portraits, dont un émouvant autoportrait, permettent de bien saisir l’univers du peintre.

Influences mutuelles

En 1929, Jonas Netter rompt ses relations commerciales avec Zborowski qui meurt ruiné trois ans plus tard. Netter poursuit sa collection. La Pinacothèque présente de nombreux tableaux de peintres moins connus, voire oubliés, qui appartiennent à l’École de Paris ou à la même génération d’artistes, nés dans les années 1890. Si elles sont moins cotées, ces toiles témoignent du goût sûr et assez diversifié de Netter. On peut ainsi découvrir plusieurs paysages d’Isaac Antcher, peintre moldave qui connut une vie chaotique à Paris après un bref passage à Tel-Aviv.

Citons aussi des tableaux de Moïse Kisling comme la superbe « Femme au pull-over rouge », des toiles d’Adolphe Feder, de Zygmunt  Landau ou encore de Michel Kikoine et Pinchus Krémègne, deux amis de Soutine  dont ils sont également proches par le style.

Si chaque peintre a sa spécificité, on devine des influences mutuelles, on retrouve des thèmes ou des approches semblables, notamment dans le traitement des couleurs et des formes. Il nous est aussi permis de voir de nombreux paysages de la Côte d’Azur, autre région de prédilection pour ces artistes. Ces points communs  permettent donc de brosser en filigrane un portrait du discret Jonas Netter sans qui ces tableaux n’auraient jamais vu le jour.

La collection Jonas Netter, Modigliani, Soutine et l’aventure de Montparnasse

Pinacothèque, 8 rue Vignon, 75008 Paris

Jusqu’au 9 septembre

www.pinacotheque.com

Suzanne Valadon, Nu se coiffant.