La commémoration de l’attentat de Pittsburg  |  Israël terre de tourisme !  |  Le monde change. L’Arche aussi. L’édito de Paule-Henriette Lévy  | 
France

PMF au Panthéon : une « bonne idée », pour Frédéric Salat-Baroux

« Je soutiens, au nom du Parti socialiste, l’entrée au Panthéon de Pierre Mendès France. » La déclaration est de Harlem Désir, premier secrétaire du PS, le 31 octobre dernier.

Frédéric Salat-Baroux, ancien secrétaire général de l’Elysée sous Jacques Chirac, de 2005 à 2007, soutient cette idée. Il écrit actuellement un livre sur Pierre Mendès France, et considère notamment que la politique actuelle a beaucoup à s’inspirer du parcours de cet homme « éminemment moderne ».

L’Arche : Frédéric Salat-Baroux, que pensez-vous de l’idée de Harlem Désir de faire entrer Pierre Mendès France au Panthéon ?

Frédéric Salat-Baroux : Pour moi c’est une bonne idée, un peu inattendue parce que Mendès France n’a pas gouverné longtemps même s’il a marqué les esprits sur l’indépendance de l’Indochine, mais une bonne idée parce qu’il représente quelque chose dans notre vie politique qui est fondamentalement d’actualité. Il s’agit de l’exigence de vérité, de la morale dans l’action politique, de la rigueur, toutes sortes d’éléments qui font qu’il reste, pour une génération et bien au-delà, une référence. Au même titre que des grands artistes, des grands poètes, des hommes politiques qui ont réalisé des choses exceptionnelles sont au Panthéon, je pense qu’il est intéressant que rentrent, avec Pierre Mendès France, dans ce même lieu, les valeurs et exigences fondamentales d’un républicain sur le plan politique.

Quelles étapes du parcours de Pierre Mendès France illustrent le mieux ces valeurs que vous évoquez, à votre avis ?

Toute la formation de Pierre Mendès France est formée sur cette exigence de vérité, c’est-à-dire le culte de la raison et de l’exactitude économique. C’est presque consubstantiel à sa personne. Cela se manifeste de manière forte dans le gouvernement provisoire du général de Gaulle au moment de l’affrontement avec Pleven, sur le choix de la politique économique. Pierre Mendès France propose alors une politique rigoureuse pour éviter l’inflation et remettre d’aplomb l’économie le plus vite possible, au lieu d’une politique plus laxiste pour éviter les tensions avec les communistes et les tensions sociales. Il va porter cette idée, et il ira jusqu’à la démission. C’est un homme qui n’a pas hésité toute sa vie à quitter ses fonctions, à démissionner quand il n’était pas en phase avec ce qu’il pensait fondamentalement. Même chose sur l’Indochine… Dans un pays qui était marqué par l’idée du maintien de la France dans la colonisation, en Indochine, en Algérie, et ailleurs, il a toujours porté la voix selon laquelle cette idée était une illusion, qu’elle n’était pas justifiée, pas légitime et que quoi qu’il arrive il fallait tourner cette page. Le culte de Mendès France a certes été bien entretenu par Jean-Jacques Servan Schreiber et Françoise Giroud, mais son fondement est tout sauf médiatique, il s’explique par sa capacité de passer des principes à l’action aux moments de crise.

Pierre Mendès France serait l’autre grand homme de l’après-guerre, avec le général de Gaulle ?

Oui, le général de Gaulle porte également dans la période de la IVe République des messages différents de vérité, notamment sur le déséquilibre des institutions, la nécessité d’un gouvernement fort et, lui aussi, la nécessité de tourner la page de l’empire pour entrer dans une France moderne, intégrée dans l’Europe et projetée dans la mondialisation. Pierre Mendès France est son pendant de gauche. La grande différence entre les deux hommes, c’est la Ve République. Mendès France est pour une république classique, sans pouvoirs centralisés autour du Président, alors que de Gaulle est pour un pouvoir incarné et fort. C’est pour cela qu’ils se sépareront. Même si Mendès gardera toujours beaucoup d’admiration pour le général, il ne sera pas d’accord sur sa conception de la république. À cet effet, il ne se présentera jamais à l’élection présidentielle. Quelque part, c’est un peu la déception de celui qui espérait incarner l’alternative de gauche au Gaullisme. Il ne pouvait pas le faire, là encore de par cette exigence de vérité, compte tenu de sa conception de la république qui n’était pas celle de la Ve. Il a sacrifié à énormément de moments de sa carrière des possibilités de réussite, d’accessions ministérielles, de postes de président du conseil, non pas parce qu’il n’en était pas capable loin de là, il portait une très grande ambition, mais parce qu’il estimait qu’il ne pouvait pas l’exercer dans le cadre de ses convictions.

Qu’est-ce qui aujourd’hui dans la figure de Pierre Mendès France pourrait inspirer la politique ?

Nous sommes dans des temps qui sont assez comparables, où nous changeons de monde. À l’époque de Pierre Mendès France, c’est la page de l’empire qui est tournée, c’est l’intégration dans l’Europe qui arrive, c’est également la mondialisation, l’adaptation industrielle, c’est une nouvelle France qui est en train d’émerger, et face à cela, Pierre Mendès France n’est absolument pas dans des logiques protectionnistes, conservatrices, il ne cherche pas à flatter les démagogies. Il dit la vérité, il affirme qu’il y a des choses qu’il faut abandonner, d’autres qu’il faut faire, qu’il faut accepter les réalités. Cette idée selon laquelle les Français ont besoin de vérité et sont capables de l’entendre, c’est quelque chose d’éminemment moderne. Aujourd’hui face aux problématiques de la mondialisation, on explique qu’il faut fermer les frontières, qu’il faut du « made in France », tout ceci est à mes yeux totalement contraire à l’intérêt du pays, à l’intérêt des plus vulnérables. La réalité est qu’il faut accepter de relever les défis de la concurrence, ce qui exige un certain nombre de changements et de décisions. Mendès France aurait été sans doute de ceux qui se seraient inscrits dans ce débat… alors personne ne peut préjuger de ce qu’il aurait eu comme positions. Mais en tout cas il aurait estimé que ce débat ne peut pas s’occulter. C’est une figure très moderne, et c’est pour cela que je trouve l’initiative de Harlem Désir intéressante.

Y a-t-il des hommes politiques qui aujourd’hui vous paraissent les héritiers de Pierre Mendès France ?

Je pense que François Bayrou s’est mis assez largement dans les pas de Pierre Mendès France, avec la même exigence de vérité et la même conséquence. Dans un système politique bipartisan, avec une Ve République très forte, on peut admirer et respecter ces personnages. Ils ne gagnent certes pas les élections, ils ne s’imposent pas sur le plan électoral, mais ce n’est pas pour ça que leur marque n’est pas importante. Je pense que s’il y en a un aujourd’hui, il est plutôt à chercher au centre, en l’occurrence François Bayrou, qu’à gauche.

Même s’il a défendu le « made in France » dont vous parliez tout à l’heure ?

Oui, je ne suis pas contre le « made in France », je suis simplement pour qu’il serve aussi à vendre des produits français à l’étranger ! Ce que je trouve dramatique, c’est de vendre des illusions à des moments où l’on est en plein basculement du monde, et où il faut au contraire s’adapter à la concurrence plutôt que de se cacher derrière de pseudos lignes Maginot…

Vous écrivez actuellement un livre sur Pierre Mendès France. Quel en sera l’angle ?

J’écris un portrait de trois personnages, Léon Blum, Georges Mandel et donc Pierre Mendès France. Ce qui m’intéresse est que chacun des trois à un moment de leur vie renonce à incarner la France, pas par faiblesse mais par force. Ils font l’objet tous les trois de campagnes antisémites de manière violentissime, et ils veulent que leur caractère de patriotes français républicains ne puisse jamais être mis en cause. Ils ont tous les trois malgré tout atteint leur but. S’ils n’ont peut-être pas incarné la France, aujourd’hui quand on pense à Blum, on ne pense pas au « juif » mais au père du mouvement socialiste, quand on pense à Mandel on ne pense pas « Jéroboam Rothschild » comme on l’appelait à l’époque mais à l’une des grandes figures de la résistance, et quand on pense à Mendès France, on voit l’homme de la troisième voie et de la vérité en politique. Sans incarner, ils ont atteint leur rêve d’enfant, devenir une identification française. Ce qui m’intéresse aussi, ce sont les ravages de la stigmatisation. Tous les trois donnaient l’impression à leur environnement que l’antisémitisme dont ils faisaient l’objet ne les touchait pas, que cela glissait comme de l’eau sur du métal. En réalité, ils ont su l’affronter mais cela les a touchés.