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Littérature

You’re not alone

Clémence Boulouque nous présente son enfance au Lycée Condorcet en commençant Je n’emporte dien du monde par des références musicales de sa génération, celle des adolescents du début des années 90 qui s’unissaient ou se répondaient à coups de Nirvana, Metallica. Pourtant, son nouveau livre peut également faire penser à ce tube de la tribu trip hop (oui, il n’y avait pas que des grunges, rappers ou métallos à l’époque) du groupe Olive : « You’re not alone ». Un cri partagé entre l’auteur et ses disparus. Clémence Boulouque écrit que « la littérature ne sauve personne, sauf les disparus. » Certes, mais elle accompagne les vivants, les survivants, forçant de nouvelles rencontres, de nouveaux chapitres qui se raconteront ou non, mais qui auront surtout le mérite d’être vécus. Et la présence de ces êtres, bien qu’incomplète, la guide afin qu’elle s’accomplisse en womensch.

Dans ces pages, on retrouve son père Gilles, le juge victime d’une certaine idée de la realpolitik. Mais aussi Julie, l’amie lycéenne dont tout semblait supposer qu’elle serait destinée à briller et qui s’en alla subitement. Face aux grands départs qui ouvrent des plaies et dont la mort du silence prend des années et des pages, il a été très important pour l’auteur de bénéficier du soutien cicatrisant de sa mère. La force que forcent les morts à avoir pour empêcher que les vies des autres proches s’interrompent. Admirablement, Clémence Boulouque explore le croisement de ces deux lignes liminales, celle qui traverse la vie et la mort et celle qui marque la frontière entre choisir et subir.

Mais pour commencer à exprimer ses sentiments, à réaliser et se réaliser, il n’est pas toujours suffisant de connaître les grands textes, d’exceller en société. Dans ses Chroniques, Bob Dylan raconte qu’à ses débuts, il vouait un culte à des chanteurs de blues et de folk au verbe et rythme précieux. Lors d’une soirée organisée dans son patelin par un promoteur qui était surtout connu comme vedette de catch sous le nom de Gorgeous George, le jeune Bob fut invité à participer à l’événement. Seul avec quelques notes effarouchées émanant de sa guitare, il aperçut le catcheur s’approcher et lui faire un signe du regard qui traduisait un encouragement.

Ce n’est pas un grand nom de la chanson ou de la poésie qui fit du petit Zimmerman timide le Dylan flamboyant, mais l’appréciation furtive d’un catcheur. Clémence Boulouque nous révèle qu’en ce qui la concerne ce fut un joueur de tennis qui aperçut une adolescente du deuxième rang l’encourager et en parla dans l’Equipe. Même pas Edberg, ou Agassi, non un joueur ukrainien dont il me faudrait un certain temps sur Google pour retrouver le nom ! Ces quelques secondes de bonheur participèrent au retour de Clémence à la vie.

Clémence Boulouque habite aujourd’hui à New York. Cette ville lui convient-elle ? On peut craindre un choc des cultures entre le Paris de son enfance qu’elle raconte en dévalant les collines de Montmartre avec les rollers de l’insouciance enfantine et New York avec ses tours immenses dont deux sont à perte de vue depuis 2001. Le poète beat Jim Haynes explique qu’on ne peut jamais retourner à un endroit mais qu’on peut y aller à nouveau. Et c’est avec toujours plus de talent que Clémence Boulouque nous force à ne pas faire de choix et à apprécier les rencontres vécues et en devenir entre ses cultures juives, françaises et américaines.

Clémence Boulouque, Je n’emporte rien du monde. Gallimard, 96 pages, 8.90 euros. Sortie le 10 janvier 2013.

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