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Jewpop, humour frappé, entrez !

« Quand un jour, le rabbin de ma communauté m’a reproché du haut de son prêche d’être venu à la synagogue avec un costume mélangé de lin et de laine, ce fut la goutte de vin qui fit déborder le verre de kiddouch. Tout évolue, sauf ma communauté, où la seule tendance acceptable est celle des marocains qui se prennent pour des loubavitchs ». Où trouver ces lignes ? Dans le dernier roman de Laurent Sagalovitsch, connu pour son franc-parler et son humour dévastateur ? Ou dans la voix off d’un protagoniste de la Vérité si je mens ? Non. Sur le site Jewpop.com. Dans « Nos années libérales », un billet irrésistible, Benjamin Medioni (de son nom de plume), liste les atouts fantasmés du judaïsme tel qu’il serait pratiqué par le MJLF et la synagogue de la rue Copernic : un office de Kippour qui commence deux heures avant la tombée de la nuit, des fêtes solennelles célébrées avec force instruments de musique, des sermons délivrés façon Gospel, sans oublier un mikvé chauffé aux airs de jacuzzi… Avant de conclure que, si le judaïsme consistorial lui semble trop rigide, un courant qui permettra un jour de suivre la haftarah sur Ipad pendant le Shabbat et de lancer sur ebay les enchères pour monter à la Torah est finalement bien trop édulcoré à son goût.

Des articles aussi mordants, qui interrogent avec un humour insolent le rapport des juifs français à leur identité, Jewpop en regorge. Fondé en octobre 2011, le site, largement inspiré du très décalé Heeb new-yorkais, se veut le poil à gratter d’une communauté profondément multiforme, qui déborde de loin de ses institutions représentatives. Sujets culturels, politiques et sociétaux y sont traités avec un esprit farouchement indépendant. « Je ne trouvais rien dans le monde francophone qui m’intéressait et qui pouvait atteindre une cible jeune » explique Alain Granat, 53 ans, qui a créé Jewpop après une carrière de producteur de musique.

A mi-chemin entre la presse d’information juive et les blogs d’opinion, Jewpop décline des thématiques très diverses: musique, littérature, mode, fooding, et même charme… Des articles à la gloire d’une Mila Kunis très dénudée y côtoient sans complexe un billet sur la dernière tendance de la mode tsniut, la critique d’un essai sur Levinas une interview exclusive du chanteur de reggae Matisyahu, les clips kitsch de l’Agence juive de délicats petits films sur la question « C’est quoi, être juif ? », également diffusés sur le site d’Arte. Une diversité qui fait mouche auprès des 18-35 ans: le site compte, pour sa deuxième année, près de 80000 visiteurs uniques par mois et 8000 abonnés sur les réseaux sociaux, en puisant aussi bien chez les jeunes pratiquants que chez les laïcs et même chez un nombre croissant de non-juifs.

C’est que Jewpop, qui s’appuie sur une dizaine de contributeurs réguliers (et bénévoles), a su très vite organiser des rendez-vous éditoriaux autour de véritables « plumes ». The SefWoman narre ainsi, chaque semaine, les aventures d’une jeune mère divorcée qui assume un certain décalage avec le milieu traditionaliste dont elle est issue. Parmi les plus lues du site, ses chroniques déchaînent les passions des internautes, parce que, derrière le ton un peu désinvolte du récit de vie intime, elles mettent le doigt sur des questions sociétales plutôt épineuses : comment résister à la tentation de fêter Noël ? Comment être juif et homosexuel ? Est-on d’abord juif ou d’abord français ? Pourquoi le rabbinat ne considère-t-il pas comme juifs ceux qui l’auraient été par les nazis ? Les esprits s’enflamment et les réactions pleuvent, dans un sens ou dans l’autre. « Le sujet juif provoque des réactions totalement disproportionnées », relève Alain Granat. Les articles qui touchent au religieux, par exemple, ou à la « paranoïa juive » (ou l’art de voir de l’antisémitisme partout), sont particulièrement commentés.

Volontiers provocateur, maniant avec délice un second degré pas toujours bien compris, Jewpop ne fait cependant pas que dans le léger ou l’autodérision communautaire. C’est ainsi au site que l’on doit la révélation, en octobre dernier, de l’affaire des tweets antisémites à partir du mot-clé #UnBonJuif. A lui encore la publication en France des photographies en couleur du ghetto polonais de Kutno, prises par un photographe de Hitler.

Encore surpris du buzz fait autour de sa petite entreprise, son fondateur l’analyse avec clairvoyance : « Nous véhiculons une vraie problématique : comment bien vivre son judaïsme quand on est juif, et juif en France aujourd’hui ? ». Ce fils de rescapé d’Auschwitz, qui, ironie du sort, a produit un album de Dieudonné avant les dérives du comédien, rêve aujourd’hui de faire du site une version papier. Nombre de ses lecteurs lui réclament également d’organiser des « soirées Jewpop » afin de pouvoir s’y rencontrer « en vrai ». Une première fête devrait avoir lieu en juin, à Paris, à l’occasion du festival des cultures juives. N’en doutons pas : ni consistoriale, ni libérale, une nouvelle communauté est née.