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Israël

La disparition du rabbin Ovadia Yossef, un vide dans le paysage israélien

Lundi dernier, 7 octobre, ce sont 800 000 personnes, soit près du dixième de la population israélienne qui ont convergé vers Jérusalem pour accompagner le cortège funèbre du Rav Ovadia Yossef – les plus grandes funérailles dans l’histoire du pays.

Cet homme érudit, né à Bagdad en 1920, ancien grand rabbin sépharade d’Israël, fut également un personnage politique influent, en sa qualité de chef spirituel du parti sépharade religieux qu’il avait fondé en 1984, le Shass. Ce personnage complexe a, au long de sa vie, uni et divisé, aidé et insulté autant d’Israéliens et d’Israéliennes.

Au delà des frontières de l’Etat hébreu, tout comme parmi la population laïque du pays, l’ampleur de son magnétisme dépasse l’entendement. Pourtant, le Rav, que l’on n’apercevait plus que vêtu de sa blouse noire brodée d’or et de sa toque bombée, incarnait, pour des centaines de milliers d’Israéliens, un repère solide intimement ancré dans leur quotidien.

C’est que son éminence a beaucoup fait pour sa communauté. Par l’intermédiaire du Shass, il a offert aux Sépharades une voie d’expression, dans une société où cette population souffrait de discriminations de la part d’une élite ashkénaze. Il a créé des écoles talmudiques destinées aux Juifs orientaux et d’Afrique du Nord, qui avaient jusque là à étudier dans des yeshivot ashkénazes. Sous l’aura paternelle de ce sage spirituel, considéré comme l’un des plus grands décisionnaires du judaïsme contemporain, les Sépharades ont gagné en force et légitimité.

Car si Ovadia Yossef était célèbre auprès des media pour son ingérence dans la vie politique israélienne, ce sont essentiellement ses qualités d’éminent savant talmudique qui ont inspiré le respect à ses disciples. Le Rav a naturellement glissé dans des babouches de leader en faisant preuve de courage dans ses décisions halakhiques, tranchant souvent avec ses contemporains et prédécesseurs. C’est ainsi qu’il reconnut, en 1973, en tant que grand rabbin d’Israël, la judaïté des Falashas, que contestait le grand rabbinat d’Israël depuis la création de l’Etat ; cette décision engendra l’immigration des Beta Israël depuis l’Ethiopie. Dans la même veine, à la veille des accords d’Oslo, il se prononça favorablement pour la cession de territoire aux Palestiniens, jugeant cette manœuvre utile si elle pouvait éviter les pertes de sang juif. Il regretta par la suite son jugement lors de l’éclatement de l’Intifada.

Son érudition hors du commun ne l’a pas éloigné de ses fidèles : Ovadia Yossef était le rabbi du peuple. Faisant preuve d’humanité et de simplicité, il faisait partie du quotidien des plus défavorisés – toujours une large part des Juifs sépharades ; ses sermons hebdomadaires depuis Jérusalem rythmaient la semaine de milliers d’entre eux. En dépit de sa position, il se rendait jusque chez les gens.

Son humanité était toutefois exclusive : chacun, à ses yeux, ne s’avérait pas digne de la même considération. Selon lui, si des soldats de Tsahal mouraient au combat, c’est qu’ils n’avaient pas prié. Lui-même encourageait ses étudiants à la yeshiva à quitter le pays, l’âge de l’enrôlement venu, afin d’échapper au service militaire. Les laïcs convaincus ne trouvaient pas clémence à ses yeux, et il ne les considérait pas comme partie intégrante du peuple juif. Les goyim s’apparentaient quant à eux à des ânes, créés par Dieu dans l’unique dessein de servir les Juifs. Sa condescendance touchait également les femmes, qu’il ravalait aux tâches d’enfanter et de coudre. Il ne s’opposait pas non plus à la polygamie, une pratique définitivement interdite au XIème siècle par le rabbin Guershom – selon Yossef, la décision de ce rabbin ashkénaze ne s’appliquait pas aux Sépharades. Mais c’est lorsqu’il déclara que les victimes de la Shoah avaient été la réincarnation d’âmes pécheresses punies par Dieu, qu’il choqua au plus haut point les Israéliens, particulièrement la population ashkénaze. Ainsi les hommes de grande envergure cumulent souvent des zones d’ombre et de lumière.

En dépit de son extrémisme religieux, ce génie des études talmudiques laisse derrière lui un vide pour une partie de la population qui se sent aujourd’hui orpheline.