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Littérature

L’Europe incertaine

Profession de foi sans frilosité en ces temps où le pire n’est jamais sûr, mais jamais très loin non plus.

 

Il arrive à l’Europe ce qui arrive depuis quelques années au concept de communauté. Tout le monde s’en méfie. Personne n’en veut. Et c’est précisément dans cet hôtel désaffecté que le philosophe et écrivain Bernard-Henri Lévy a décidé d’installer le cadre de son dernier livre, pièce de théâtre augmentée de Réflexions sur un âge sombre. Un homme, dans sa chambre d’hôtel, prépare un discours sur l’Europe qu’il doit prononcer à Sarajevo. Et l’auteur nous fait assister à l’accouchement douloureux de ce texte.

Comment prononcer un éloge de l’Europe dans une ville-symbole de sa déliquescence ? Comment chanter les valeurs d’une communauté qui a donné jusqu’ici une image floue, incertaine, fragile ? Comment vanter ses lumières alors que tous ses desservants paraissent désenchantés ?

Le conférencier se laisse gagner par le découragement, mais de temps à autre, il s’enhardit. Et si vraiment on renversait la vapeur ? Si au lieu de commencer par le charbon et l’acier, on avait misé sur la culture, n’aurait-on pas favorisé un sursaut, un réveil, un espoir ? Et de faire le décompte de tout ce qui pourrait réveiller ce vieux mot usé. Un long baiser piazza del Duomo. Le discours de Husserl en 1933. Le « Tikoun » de la tradition juive…

C’est un hommage à de grandes figures européennes, parmi lesquelles trois juifs – Hermann Cohen, Franz Rosenzweig, Emmanuel Lévinas –, ceux qui ont cherché à conjuguer un peu des lumières des uns et un peu de sagesse des autres. Profession de foi sans frilosité en ces temps incertains où le pire n’est jamais sûr, mais jamais très loin non plus. « Je sais que c’est en Europe que j’aurai à accomplir mon destin de juif et d’homme », écrit-il.

Au fil des livres, on découvre de plus en plus le recours aux textes juifs – résidu sans doute des conversations avec Benny Lévy –, progressivement et maintenant fréquemment. Mais on découvre aussi, dans ce livre-ci, le sens de l’héroïsme, le goût de l’admiration, l’attachement aux grands hommes – Churchill, De Gaulle, Malraux –, l’attrait pour l’aventure. Et son panthéon personnel : Izetbegovic, Massoud… C’est que l’homme aime se coltiner avec le monde. La grandeur, pour lui, c’est prendre le parti de l’événement. L’événement, c’est-à-dire « cette brèche, cette trouée, cet incalculable geste d’incurver son destin propre et celui de ses semblables ». Et cela nous vaut de belles pages par lesquelles se clôt ce livre d’admiration et de confession. « Je crois aux marins de Sein qui, presque seuls, alors que l’esprit de l’époque voulait que l’on se couchât, entrèrent en résistance. Je crois à ces hommes simples qui furent saints dans leur vie avant que dans leur tête – ou à ces saints à tête mais dont la sainteté consista à soumettre la tête à l’épreuve de l’existence. »

On découvre encore étrangement que cet homme est préoccupé par la transmission. L’éternel trublion des lettres françaises se rangerait-il des voitures et commencerait-il à songer à ce qui reste de l’oeuvre d’une vie et à ce qui passe d’une génération à l’autre ? Que nenni ! Le constat sur l’Europe est sombre mais il n’est pas désabusé. C’est un livre joyeux, intelligent, optimiste, tonique et cela fait du bien par les temps qui courent. À un moment où on glose à l’envi sur le déclin de l’Europe (y compris de l’autre côté de l’Atlantique, sous la signature prestigieuse de Walter Laqueur qui évoque « la fin du rêve européen »), ce salut aux grands hommes, à tous ceux qui ont illustré une vision épique de l’Europe, est bienvenu.

Les esprits chagrins et les journalistes à vue basse pourront toujours pinailler ou « botuler » à souhait (j’en connais qui sont déjà à pied d’oeuvre), l’écrivain est au mieux de sa forme et son Europe donne envie.

Bernard-Henri Lévy, Hôtel Europe. Suivi de Réflexions sur un nouvel âge sombre. Editions Grasset.