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Cinq questions à Jacques Bérès, de retour du Kurdistan syrien

Jacques Bérès est un chirurgien humanitaire co-fondateur et ancien président de Médecins Sans Frontières. il est également président de France Syrie Démocratie et revient de sa quatrième intervention en Syrie depuis le début de la révolution, en territoire kurde, en proie à la haine destructrice du groupe Daech.

Vous revenez d’une mission humanitaire dans la zone kurde du nord de la Syrie, dans les environs de Kobané. Quelle est la situation ? Ou en est l’intervention internationale ?

Nous assistons au largage d’une aide militaire par les américains. Ce sont des des largages aériens, donc cela ne peut pas être de l’armement très lourd mais cela va leur rendre bien service. L’autre grande interrogation est : dans quelle mesure les turcs ont laissé passé ou pas les renforts ? Difficile d’évaluer cette annonce. Dans la réalité, il semblerait que très peu de combattants kurdes aient réussi à passer. (200, depuis cet entretien NDLR).Voilà pour la situation à Kobané, mais d’une manière générale, on observe un très grand isolement des Kurdes. On les a laissé seuls, tout en comptant sur eux, en première ligne du combat contre avec les fous furieux de Daech. L’argument donné au fait de ne pas les aider militairement , c’est celui du statut du PKK et du PYD (la branche syrienne du PKK) , considérés comme terroriste. Il faut vraiment, comme l’a dit Bernard-Henri Lévy lors d’une représentation d’Hôtel Europe dédiée aux Kurdes de Kobané,  demander à l’ONU de lever d’urgence le bannissement du PKK de la liste des organisations terroristes. Cela n’a plus de sens de les y laisser. Ils sont très isolés, dans une situation terrible entre une frontière turque fermée, et la poussée de Daech, qui a décidé d’attaquer les Kurdes plutôt que d’aller sur Bagdad. Tout le monde avait dit (politiques, militaires, analystes « à la noix ») que les troupes de Daech allaient filer sur Bagdad pour rétablir le khalifa à partir de cette dernière pour des raisons historiques . Pas du tout. Ils foncent sur les Kurdes, probablement pour de sordides raisons économiques et leur territoire pétrolier.

On parle de haine génocidaire à l’endroit des kurdes ? Qu’en est-il ?

C’est un peu une exagération, mais il y a un risque. En tous cas, une ethnie se fait vraiment casser la figure. Mais effectivement, employer ce mot ne serait pas très conforme à l’idée de même génocide. Ce n’est pas parce qu’ils sont Kurdes qu’ils se font massacrer,  je ne le crois pas. C’est plutôt parce que ce sont des kurdes sunnites plutôt très très « cools » sur l’Islam. En Syrie, ils sont laïcs et plutôt dans un rejet de la religion. Les filles ne sont pas voilées, elles fument. Elles ne boivent pas d’alcool, mais les hommes non plus. Il y a en revanche un risque de massacre généralisé car Daech massacre un peu tout le monde : d’autres sunnites, des chiites,  bref, tout ceux qui se trouvent sur leur route. Il font marcher la terreur. Le génocide kurde serait plutôt un projet turque… Il y a une obsession anti-kurde chez les Turcs. Un tiers de leur territoire, un quart de leur population sont kurdes. Quant à Daech, ils avancent, massacrent car ils n’aiment personne, en prenant l’argent, du pétrole, des armes, tout, mais sans intention ethnique je crois.

Est-ce que la mobilisation internationale concernant la Turquie est efficace ? Arrive-t-on à faire bouger les lignes ?

Cela marche moyennement. Erdogan a déclaré que l’on ne pourrait pas se servir de son territoire pour ceci et pour cela, qu’il était d’une nation souverainement indépendante,  indépendamment souveraine. Néanmoins, la demande officielle de l’Assemblée générale de l’ONU à la Turquie d’ouvrir sa frontière existe quand même. Ceci étant dit, la diplomatie américaine vis à vis de la Turquie ne fonctionne que moyennement. Je crois que les américains sont presque plus demandeurs que les Turcs. Cela les arrangerait pourtant de pouvoir décoller  à partir des bases militaires turques… ça couterait beaucoup moins de kérosène, etc. Mais Erdogan refuse pour l’instant. Ce sont des négociations où , je crois, que les américains ne sont pas en position de force. Ils n’ont par ailleurs pas grand chose à proposer à la Syrie. Le bouclier de l’OTAN ? Mais comme certains demandent que la syrie ne soit plus membre de l’OTAN…. De la part des américains, rappeler à la Turquie qu’elle est un pilier de l’OTAN ? Oui. Je crois surtout que c’est la Turquie qui est plus en position de force pour négocier que les américains eux-mêmes.

Et ce n’est pas une bonne nouvelle, en particuliers pour les Kurdes ?

Pas du tout, non. Militairement, les frappes qui étaient un « bon plan » au départ ne seront pas efficaces sans troupes au sol et les seules qu’on risque d’avoir, restent les troupes kurdes car les Turcs ont dit non. Ils n’enverront pas de troupes au sol. Pourtant, ils sont les seuls qui pourraient vraiment aider les Kurdes. Au delà d’un point de vue non seulement éthique, moral etc., c’est une exigence tout bêtement militaire. Les frappes ayant par ailleurs des effets collatéraux pervers. Quand on tape sur Daech en Irak, Daech reflue automatiquement sur la Syrie et quand on frappe sur la Syrie, cela reflue automatiquement vers le nord , vers la frontière turque. Et si la frontière turque n’est pas poreuse au kurdes, elle est poreuse à Daech…

Inextricable ?

Tout cela est extrêmement compliqué. S’il y a deux ans, quelqu’un avait affirmé qu’un jour Obama serait l’allié objectif de Bachar el-Assad et de l’Iran, cela aurait donné un énorme scoop … C’est pourtant ce qui se passe maintenant. Il n’y a pas de traité mais objectivement, ils se retrouvent du même côté militairement. Syrie, Iran et Obama. C’est…inédit…

Propos recueillis le 22 octobre 2014 par Aline Le Bail-Kremer

Informations du 25 octobre : Les États-Unis et leurs alliés de la coalition internationale ont mené 22 frappes aériennes vendredi et samedi en Irak contre Daech, a annoncé le Commandement central américain (CentCom). Les frappes ont notamment porté sur les secteurs habituellement visés : près du barrage de Mossoul et des villes de Falloujah et de Baïji, où se trouve une raffinerie pétrolière. Les frappes ont touché des unités de Daech, plus ou moins importantes, des bâtiments, des véhicules et des positions de combats.