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Cinéma

Loin de mon père

Le nouveau film de Keren Yedaya parle sans beaucoup de mots, montre ces visages disparaissant derrière les chaises longues et éviers normalisant les violences du viol et de l’inceste. Rencontre avec la réalisatrice.

L’Arche : Le public français vous connaît depuis la sortie du film Mon Trésor (« Or »), où vous parliez de sujets difficiles liées à la condition féminine. Est-ce toujours aussi difficile d’en parler dix ans après ?

Keren Yedaya : Ce n’est pas plus difficile d’en parler en Israël qu’ici. On me demande souvent comment mes films sont accueillis en Israël. Les tabous sont les mêmes en France. Ces deux sociétés sont masculines. Les hommes sont de plus en plus ouverts aux sujets nous concernant, surtout lorsqu’il s’agit de situations douloureuses. Cette évolution est lente mais perceptible. Néanmoins, une grande partie des ressources en Israël sont dirigées vers le militaire, d’où une priorité sur les urgences en matière sociale. Même si on a vu une belle démonstration de revendications avec le mouvement des tentes.

Les prochaines élections font apparaître ces mêmes questions ?

Malgré les difficultés présentes, il faut savoir apprécier certaines avancées, surtout de gens dont on s’y attend peu. Les partis politiques ont beaucoup évolué sur la question de l’homosexualité. Habayit Hayehoudi, tout en soulignant une lecture religieuse compliquée, accepte l’homosexualité.

Il y a peu de mots dans Loin de mon père, mais beaucoup de maux sont présentés, traduisant le désespoir de certaines femmes à la recherche d’aide pour exprimer leurs souffrances.

L’inceste est un sujet très difficile et qui ne concerne pas que les femmes. Une étude a récemment pointé que cela concerne une femme sur six et un homme sur neuf. Ce qui est énorme. Souvent, au plus les souffrances sont élevées, au plus les personnes sont en mode de repli. Si vous êtes une femme d’une vingtaine d’années ayant grandi dans une bonne maison et que vous êtes victime un jour d’un viol, vous aurez assez peu de difficulté à trouver de l’aide. Par contre, si ce viol est une habitude depuis la petite enfance, il vous est très difficile de briser ces murs. J’essaye, dans mes films, de donner la parole à ces femmes qui n’arrivent pas à en parler.

La chose la plus dure, est-ce finalement la mise en condition de ces femmes à « normaliser » la situation ?

Il est très difficile de se débarrasser d’une vérité qu’on nous a forcé à accepter, qu’on nous inculque depuis l’enfance. Sans parler de ces images et « valeurs » avec lesquelles on nous bombarde où on voit des jeunes femmes de 30 kg totalement imberbes représenter les « canons de beauté ». J’ai récemment appris que Victori’s secret avait engagé un mannequin un peu forte, d’une grande beauté, et moi en tant que femme un peu forte aussi, j’ai regardé cette image avec joie et soulagement. L’attirance doit venir de la parole, de l’intimité, de l’échange, tout ce qu’on a du mal à retrouver aujourd’hui et qui est inexistant pour les femmes violentées. Je rêve d’un jour où on pourra créer des institutions non seulement pour les enfants victimes de violences, mais aussi pour les parents afin de les aider à changer.

Loin de mon père, un film de Keren Yedaya. Avec Maayan Turjeman, Tzahi Grad et Yaël Abecassis.