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Cinéma

Rencontre avec Anna Sigalevitch

Courez-voir L’Antiquaire de François Margolin ! Un film passionant, un thriller qui déborde de suspens porté par de grands acteurs… dont Anna Sigalevitch qui nous reçoit.

L’Arche : Vous faites du cinéma depuis longtemps ?
Anna Sigalevitch : Oui. J’ai commencé adolescente, par hasard, dans La Pianiste de Haneke. J’avais seize ans.
Ils cherchaient une jeune pianiste sachant jouer la comédie. J’ai répondu à une annonce…
Je me suis très bien entendu avec Michael Haneke et Isabelle Huppert. je maîtrisai déjà le piano, pour le jeu ça c’est fait assez naturellement.

Tu t’envisageais plutôt musicienne ou comédienne ?
J’ai toujours fait plein de choses. La danse, le piano… Je l’ai pratiqué avec une rigueur professionnelle, mais je ne m’imaginais pas pianiste car c’était très esseulant. J’aime aussi beaucoup la danse, j’ai un diplome du conservatoire. Je gagnais ma vie en tant que prof de piano. Pour ce qui est du théâtre, je dois en partie ma formation à Elisabeth Crerczuk, une metteur-en-scène Polonaise avec qui j’ai beaucoup travaillé. Puis du cinéma avec Rebecca Zlotowski, dans Belle Epine. Hou Hsiao Hsen, un réalisateur Taiwanais. Avec Emmanuelle Bercot, dans Mes Chères Etudes. Le dernier et le prochain Jean-Claude Brisseau.
J’adore jouer quand le projet ou les gens avec qui je travaille m’intéressent, sinon, je préfère faire autre chose. Je travaille parallèlement pour la radio, je suis critique de musique, théâtre et opéra. Je travaille aussi avec des petits de cité, à saint-denis, on fait des spectacles avec et pour les enfants. J’écris des chansons…

Comment s’est fait la rencontre avec François Margolin ?
Il y a huit ans, il était producteur sur Le Voyage du Ballon Rouge de Hou Hsiao-Hsen, dans lequel je joue. Mais au départ le rôle dans L’Antiquaire ne m’était pas destiné du tout. Le personnage avait quarante ans… J’avais lu le scénario, deux, trois ans sont passés… Puis François m’avait vu dans plusieurs films et je crois qu’il avait envie de tourner avec moi, quelque chose dans mon énergie qui correspondait à Esther. Quelqu’un de volontaire, d’investi, qui ne lâche pas le morceau…
A la lecture du scénario je me suis sentie très concernée. Je me suis identifiée à elle. Je connaissais un peu le sujet de la spoliation, mais pas tant que ça, comme de l’attitude de l’état et de son manque de pro-activité quant à la restitution des oeuvres. C’est un scandale énorme, révoltant. J’ai abordé le film comme ça, ayant envie de mettre à jour cette histoire.
Le fait de jouer avec Robert Hirsch ou Michel Bouquet vous porte aussi. Ça grandit de jouer avec de grands acteurs. Le fait d’avoir commencé par ces grandes scènes, on saute dans le grand bain immédiatement sans se poser de questions.

Qu’est-ce qui vous tient à coeur dans cette histoire ?
Cette histoire est une histoire très importante, traitée de façon intime et personnelle. L’histoire d’une jeune femme, de troisième génération qui a besoin de connaître la vérité et de savoir d’où elle vient pour pouvoir avancer dans la vie. Nous sommes la dernière génération qui allons avoir un rapport direct avec les survivants de cette époque, les derniers témoins. A un moment nous serons ces derniers témoins, il y a donc une urgence à comprendre ce qui s’est passé. Ils vont disparaître bientôt et je crois que nous sommes prêts a affronter la vérité.La première génération a pensé à vivre, à oublier, à construire et aller de l’avant. La deuxième est assez silenceuse car il y a des traumatismes et des non-dits. Les parents n’arrivaient pas à leur parler. En revanche la troisième, comme moi, c’est le moment où l’on a besoin de réponses et de clarté. Mon personnage n’a pas peur d’affronter la vérité. Elle a besoin de pouvoir répondre aux questions de son fils et de renouer avec son père qui est mutique et refuse de fouiller dans tout ça. Sûrement par peur…

Et votre avis sur la restitution des oeuvres ?
Il y a encore un rapport pas tout à fait clair, même si ça a beaucoup changé ces dernières années. Il y a eu des restitutions jusqu’en 1949, puis pendant quasiment cinquante ans, très peu. Une partie des biens spoliés, deux mille environ, ont été récupérés par les musées et mis en MNR (Musées Nationaux Récupération). Sur les deux mille, très peu ont été restituées. C’est un scandal qui révèle que l’état à une position pas très claire à ce sujet. Il y a eu le discours de Chirac en 1995 a mis des choses au jour et démontre une volonté de réparation. Mais le fait que les oeuvres aient été spoliées, c’est parce qu’il y avait déni de propriété. Hors la question financière, je crois que de rendre ces oeuvres aujourd’hui, c’est rendre justice et hommage aux personnes spoliées. Il faut récupérer pour pouvoir réparer.

Y a-t-il un pays plus actif que les autres, ou exemplaire dans ce domaine ?
Les Etats-Unis font beaucoup. Notamment le Getty Museum qui a publié tous les catalogues des années trente sur internet. En Allemagne aussi, surtout après la chute du mur. En Israël, puis en France, biensûr, mais il y a une lenteur administrative inacceptable.
Sur les deux mille oeuvres récupérées par les MNR, à peine une centaine ont été restituées. Ce qui complique les choses c’est qu’à l’époque les victimes, dont de grand collectionneurs,  étaient obligées de vendre, de plus à très bas prix, pour pouvoir partir.
A partir de quand une oeuvre est-elle considérée comme spoliée, puisqu’il y a parfois des traces de ventes.

Encore un mot sur votre personnage.
Esther, mon personnage, attend depuis toujours des explications, mais elle n’avait pas la matière, pas d’éléments sur lesquels enquêter. Depuis toujours elle pose des questions à son père, qui ne veux rien lui dire. Elle s’intéresse à la culture Ashkénaze, elle a appris chante en Yiddish. Ce n’est pas anodin, c’est une forme de militantisme d’apprendre cette langue. Comme un refus que les choses s’éteignent, qu’elles meurent. Avoir besoin de les transmettre et de les faire vivre. Le film parle aussi de ça, ne pas faire gagner les gens qui ont cherché à exterminer les choses. Recupérer pour récupérer de la dignité. Le Yiddish c’est ça aussi car ça passe par la parole. Le film s’ouvre et s’achève sur une chanson en Yiddish.