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France

Jean Zay, l’émancipateur

Ses cendres seront transportées demain au Panthéon, où elles reposeront aux côtés de trois grands résistants.

Le 4 octobre 1940, le lendemain de l’instauration du « statut des juifs », Jean Zay est jugé : dégradation militaire, privation de ses droits civils, déportation à vie. Le clan antidreyfusard, incarné dans le nouveau régime de Vichy, tient sa revanche et veut appliquer à Jean Zay la même peine qu’au capitaine Dreyfus. Dès les premiers jours, le régime de Vichy révèle ainsi sa nature antisémite, et Jean Zay en paiera le prix le plus lourd : il passera quatre ans en prison, avant d’être abattu un triste matin de juin 1944 par des miliciens. Il a tout juste le temps de crier : « Vive la France ! »

S’il a toujours mis un point d’honneur à assumer ses origines juives – il est en effet issu d’une vieille famille juive d’Alsace et de Lorraine, Jean Zay était pourtant déjà assez éloigné du judaïsme ; sa mère, Alice Chartrain, était protestante, et la principale religion, à la maison, était celle de la foi républicaine. Laïque, il se fait initier en 1926 à la même loge maçonnique que son père, sous l’obédience du Grand Orient de France. Son père, Léon Zay est rédacteur en chef d’un journal radical socialiste, dreyfusard, le Progrès du Loiret. Jean Zay y écrit dès sa sortie du lycée, caressant un moment l’ambition d’être journaliste. Il devient avocat, et s’engage dans plusieurs ligues, la Lica (ancêtre de la Licra) et la Ligue des droits de l’Homme et du citoyen, pour laquelle il accomplit une mission en Allemagne en 1930, qui l’éclairera sur la véritable nature du nazisme et ses dangers.

La politique le happe, c’est l’un des « jeunes Turcs » du parti radical, il est brillant, il remporte sa première élection législative en 1932, à 27 ans. Dès lors, la presse antisémite, d’une rare violence, se déchaîne contre lui. Elle ne s’arrêtera plus. En 1936, Léon Blum lui téléphone : « Je veux un jeune à l’Éducation, soyez ce soir à l’Élysée. » Le voilà ministre à moins de 32 ans – le plus jeune de la IIIe République – et pas des moindres, car son poste est emblématique de l’ambition du front populaire : l’émancipation des classes laborieuses par l’éducation et par la culture. Jean Zay relève l’âge de la scolarité obligatoire jusqu’à 14 ans, introduit le sport dans toutes les écoles ; il prépare la création du CNRS. Un de ses rêves est qu’un jour un enfant du peuple puisse devenir ambassadeur ; pour cela, il faudrait une école d’administration ouverte à tous : son projet de l’ENA verra le jour en 1945. Outre l’Éducation, Jean Zay est aussi ministre des Beaux Arts. Que de projets, là encore : il réforme la Comédie française, la Bibliothèque nationale, c’est lui qui crée le Musée des Arts et traditions populaires, mais aussi le Musée d’Art Moderne, le Palais de la Découverte, la Cinémathèque, le Musée de l’Homme, et… le festival de Cannes, dont la première édition était prête en 1939, mais a été ajournée à cause de la guerre.

Quand la guerre éclate, Jean Zay démissionne volontairement du gouvernement pour servir sous les drapeaux. Le 19 juin 1940, il se rend à Bordeaux afin d’assister à la dernière session du Parlement. Il est contre l’armistice, bien sûr. Et pour continuer le combat, embarque avec 26 autres parlementaires sur le Massilia, qui doit rejoindre l’Afrique du Nord. C’est un piège. Jean Zay et son ami Pierre Mendès-France sont arrêtés et doivent comparaître pour désertion. Quelle absurdité ! Jean Zay, avocat de métier, a confiance dans la justice. Mais c’est à une parodie de procès qu’il a droit, la délibération dure six minutes, il est condamné sans appel. Le coup est dur. Quand enfin Jean Zay trouve la force d’écrire à sa famille, le 6 octobre 1940, il note : « La Justice me rendra raison. » Il barre le mot « Justice » et le remplace par « l’Histoire ».

Ce fut long, mais aujourd’hui l’Histoire réhabilite Jean Zay, qui était presque tombé dans l’oubli. Ses cendres seront prochainement placées au Panthéon, aux côtés de trois grands résistants. Une manière d’effacer à jamais l’infamie de sa condamnation, et de célébrer le résistant qu’il a été : celui qui s’est opposé parmi les premiers au fascisme et au nazisme, qui a combattu de manière préventive, mais aussi celui qui a assumé sans l’être un destin de juif, et qui du fond de sa prison et de sa solitude, n’a jamais renié son amour pour la République française.