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Le Billet de Alexandre Adler

Moyen-Orient : le jeu à quatre

L’Égypte, l’Arabie saoudite, l’Iran et la Turquie sont engagées dans de grandesmanœuvres marquées par une incertitude dont Israël devra tenir compte.

 

C’est bel et bien un siècle de géopolitique moyen-orientale qui vient de disparaître sous nos yeux en l’espace de deux ans à peine. De loin, le plus spectaculaire aura été la disparition désormais totale des deux entités étatiques syrienne et irakienne qui avaient été mises en place en 1918 par un partage, sur le terrain, des zones d’influences française et britannique. Sans doute y aura-t-il des organisations étatiques qui remplaceront peu à peu les deux États qui avaient pour caractéristique commune de s’être donnés à l’idéologie panarabe baasiste tout à la fois proche et pourtant hostile à Nasser, à peu près vers la même époque, la fin des années 1950. Ne parvenant pas à unifier deux groupes dirigeants ambitieux et représentants des populations assez différentes, les baasistes syriens et irakiens n’avaient en réalité cessé de s’affronter, d’abord subrepticement, puis de plus en plus explicitement, la Syrie allant même jusqu’à choisir une alliance de facto iranienne contre l’Irak de Saddam Hussein pendant la Guerre du Golfe des années 1980.

Un rapprochement qui s’opère aussi par le choix d’alliances successives toujours dirigées contre l’Amérique par obsession violente d’une stratégie pure et simple de destruction d’Israël, la surenchère permanente dans le mouvement palestinien, à telle enseigne que l’on a pu considérer assez vite le groupe dissident d’Abou Nidal comme une sorte de « joint venture » entre Damas et Bagdad, une laïcité plus ou moins affirmée du bout des lèvres, et en revanche un mécanisme de plus en plus autoritaire qui fonctionnait au seul profit d’une minorité religieuse dominante, la secte demi-chiite des Alaouites en Syrie, les sunnites arabes en Irak. Disons le tout net : ce cauchemar est terminé. Il n’y aura plus jamais d’États baasistes en ces lieux et pas non plus d’État centralisé qui prendra leur place peu enviable. Le démantèlement territorial est déjà en marche.

Les Kurdes d’Irak et de Syrie, qui ont toujours combattu les tentatives répétées d’assimilation auxquelles ils étaient soumis, ont repris une large autonomie qui ressemble de plus en plus à une indépendance pure et simple. Mieux même, à l’occasion de la crise provoquée par l’émergence de Daech, les Kurdes de Syrie, naguère d’extrême gauche et inféodés au PKK de Turquie se sont rapprochés des Kurdes d’Irak beaucoup plus modérés qui ont assuré par leurs volontaires l’essentiel de la défense du village martyre de Kobané.

Profitant aussi de l’effondrement du gouvernement de Bagdad et de la mauvaise image que le soutien de facto des Turcs à Daech était en train de créer, la zone autonome kurde s’est également élargie jusqu’à la zone de Kirkouk où la minorité turkmène qui y voisine avec la majorité kurde, cherchait encore jusqu’à la fin de 2014 à s’appuyer sur une sorte de protectorat d’Ankara.

 

L’émergence des quatre

Au sud, le même phénomène peut être constaté au Golan. Plus jamais Israël ne sera contraint de rendre le Golan à la Syrie et, c’est ce que pensent très fort ses habitants druzes qui commencent tout d’un coup à y demander des passeports israéliens qui les assimileront totalement à la communauté druze d’Israël. Mais ceci impliquera de plus en plus de la part d’Israël la nécessité d’une grande politique druze d’alliance et d’intégration qui affectera à sa manière le statut de la communauté druze au Liban et en Syrie.

La deuxième conséquence qui se profile inexorablement sera la « libanisation » de cet ensemble levantin qui s’étend de la Méditerranée, avec Lattaquié, jusqu’au Golfe persique à Bassorah. Le Liban, en effet, au fur et à mesure de sa guerre civile, est devenu une fédération de cantons presque ethniquement homogènes qui ne demeurent liées les uns aux autres que par l’unité de la ville de Beyrouth (au demeurant très relative) et l’existence d’un gouvernement dit central qui est le lieu d’un compromis permanent entre chrétiens, chiites et sunnites. Il est désormais hors de discussion qu’un tel schéma va être étendu par homothétie à la Syrie tout d’abord et à l’Irak d’ores et déjà. Un cessez le feu syrien ne débouchera en effet jamais plus sur un État unitaire, dans la mesure où les parties en présence exigeront de véritables places de sûreté avec un vaste canton sunnite dont la capitale sera Alep et un vaste canton dominé par les Alaouites depuis la ville de Damas qui, elle, maintiendra une population mixte.

Un embryon de gouvernement central existera sans doute mais probablement des milices armées mises en place par les différents États voisins équilibreront-elles en permanence les « armées nationales » trop liées, la syrienne comme l’irakienne, à un Iran dont ni la Turquie ni l’Arabie saoudite ne pourront tolérer l’absolue suprématie, même dans le cas d’un cessez-le-feu suivi d’une restauration étatique formelle. La seconde conséquence de l’explosion actuelle a trait à l’apparition d’une concertation inévitable de quatre grandes puissances émergentes sur le plan régional : l’Iran bien entendu, qui sort grand vainqueur de l’épreuve actuelle en sauvant in extremis de Daech les gouvernements de Bagdad et de Damas ; l’Égypte qui, malgré sa faiblesse économique, semble fermement reprise en mains par son nouveau pouvoir militaire dont les ambitions sont visibles à l’œil nu ; l’Arabie saoudite qui, dans la crise actuelle, aura choisi l’alliance égyptienne stratégique ; et enfin la Turquie qui demeure pour l’instant alliée fondamentale du Qatar et de Frères musulmans en exil, mais demain devra trouver dans cette nouvelle architecture une place qui convient mieux à la dynamique modernisatrice de sa société civile.

 

Des cartes fortes

Ce jeu à quatre demeure marqué de grandes incertitudes dont la politique des puissances extérieures (Amérique, Russie, France et bien sûr Israël) devront tenir le plus grand compte. D’ores et déjà, certaines certitudes, ou fortes probabilités, commencent à émerger. Il n’y aura pas tout de suite de superpuissance iranienne. Les accords obtenus par compromis avec les États-Unis ferment au moins pour une décennie, qui sera décisive dans l’évolution du pays, l’accès de l’Iran à l’arme nucléaire. Même le retour des hydrocarbures iraniens sur le marché mondial demeurera conditionné à de grands investissements (les raffineries détruites autrefois par l’Irak) et la bonne volonté des principaux voisins.

Mais malgré ces deux freins structurels, l’Iran dispose déjà d’une véritable économie manufacturière, de grandes villes, d’une armée conventionnelle incomparable à celles de ses voisins, et aussi à présent d’une grande tolérance américaine qui n’a d’égale que la suspicion que Washington éprouve désormais vis à vis de ses deux partenaires essentiels qu’ont été jusqu’à aujourd’hui l’Arabie Saoudite et Israël. Ces cartes fortes ne comportent néanmoins pas d’effets automatiques, en particulier si la libéralisation économique et politique que la communauté internationale attend du compromis nucléaire ne se matérialise pas. Mais avec un Rohani remis en scelle par son succès diplomatique, cette éventualité est de loin la moins probable, d’autant plus que le concours iranien à la lutte anti-intégriste sera bientôt requis non seulement au Levant contre Daech mais aussi très probablement en Afghanistan face à des Talibans requinqués par l’aide pakistanaise.

En face, l’Arabie saoudite est le véritable pivot du « containment » de l’Iran. Ayant jeté son dévolu sur le grand mouvement anti-Frères musulmans égyptien, l’Arabie saoudite, pour la première fois de son histoire, a mis sa considérable puissance financière au service non pas de l’intégrisme mais d’un vaste mouvement laïc qui englobe tout à la fois l’islam modéré majoritaire des Egyptiens et la grande communauté copte chrétienne. Il est néanmoins évident que ce choix stratégique de la nouvelle génération des princes, en particulier du nouveau régent Ibn Nayef qui concentre l’essentiel des leviers de sécurité du royaume, ne va pas sans opposition et nuance.

Certains opposants à la stratégie égyptienne au sein de la famille royale souhaiteraient un certain rééquilibrage, car la volonté égyptienne de constituer un bloc laïc arabe maintenant la stratégie de coopération avec Israël inventée par Sadate, demeure forte. Ces tiraillements se sont notamment manifestés ouvertement en Libye où l’armée égyptienne souhaite se porter au secours des laïcs du général Haftar et plus discrètement en Syrie où le maréchal Sissi a d’emblée interdit tout appui égyptien au camp sunnite dans la guerre civile, renouant discrètement, mais plus fortement qu’on ne l’imagine, avec Bachar Assad lui-même. Mais le rôle indispensable joué par la nouvelle Égypte pour secourir les frontières menacées du royaume saoudien, très concrètement au Yémen, est en train de dissiper pour l’instant ces ombres récurrentes sur l’alliance égypto-saoudienne. Si celle ci peut se poursuivre sans nuage, cette alliance, qui a pour elle la logique et les impératifs stratégiques, impliquera de plus en plus un rapprochement inévitable des Saoudiens avec Israël lui-même.

C’est ce à quoi tend la présence militaire aux côtés du royaume saoudien de la Jordanie, alliée très explicitement d’Israël, du Maroc, allié plus discret mais tout aussi réel d’Israël, ainsi que des Émirats qui n’ont cessé d’encourager les rapports informels avec Jérusalem. Au-delà des frontières de l’Arabie saoudite, la même coalition modérée se met progressivement en place avec la bourgeoisie modernisée, formée en Occident, et les très importantes communautés sunnites non wahhabites qui trouvaient naguère dans le roi Abdallah leur tuteur naturel et semblent l’avoir retrouvé avec son fils, membre de la direction collective.

La logique de ce tropisme modérantiste saoudien ne peut que s’affirmer à terme dans la mesure où seules des forces armées égypto-jordaniennes conséquentes pourront monter la garde sur les rives du Golfe persique et dissuader ainsi l’Iran de chercher à nouveau à transformer le Golfe et ses richesses en zones d’influences exclusives. De la même manière, c’est l’Égypte, ici avec l’aide de la marine israélienne, qui devra empêcher coûte que coûte la possession d’Aden et du Détroit de Bab-el-Mandeb par les chiites du Yémen étroitement alliés à Téhéran. Mais ces rééquilibrages effectués, il n’est pas moins évident qu’une certaine entente tacite entre Iraniens et Égypto-saoudiens s’impose pour accélérer la défaite militaire véritable de Daech. L’Amérique, à n’en pas douter, fera désormais tout ce qu’elle peut pour rapprocher les points de vue du Caire, de Riyad et de Téhéran pour concentrer des forces conventionnelles suffisantes afin de détruire de fond en comble l’infrastructure politico-militaire des djihadistes.

 

Les grands bouleversements

Il serait évidemment souhaitable, pour ce faire, que les obstacles politiques qu’incarnent Obama à Washington et pour l’instant Netanyahou à Jérusalem soient neutralisés. La perspective d’un remplacement d’un Obama tout acquis encore aux Frères musulmans et qui continue de dénoncer le caractère illégal du « coup d’État égyptien » tout en recevant à trois reprises l’énergumène Farrakhan à la Maison Blanche est de toute façon de nature à apaiser les tensions. Ni Hillary Clinton chez les Démocrates ni un nouveau président républicain comme Ted Cruz ne maintiendront cette malencontreuse quarantaine de l’Égypte. Ce pourrait alors être le moyen pour le Premier ministre d’Israël de se dégager de bonne grâce du niveau assourdissant de polémique qui s’est instauré avec Washington en nuisant ainsi fondamentalement aux intérêts des deux Etats.

La participation de Tsahal à la liquidation de Daech au Sinaï, laquelle pourrait s’étendre à la recherche de la sécurité en mer Rouge jusqu’aux côtes yéménites pourrait être de nature à faciliter l’insertion d’Israël dans une nécessaire coalition égypto-saoudo-iranienne que la menace jihadiste rend indispensable. Israël pourrait ainsi également s’abstenir à l’avenir de secourir sur le plan médical les blessés jihadistes syriens, dont de nombreux adhérents d’Al Qaeda et de Daech, et concentrer son aide sur un djebel druze syrien proche de sa frontière où les menées jihadistes demeurent constantes et menaçantes.

Mais les plus grands bouleversements, même s’ils seront probablement un peu plus lointains concernent la Turquie. L’opinion turque n’a pas encore pleinement compris la nouvelle réalité qui se met en place sous ses yeux. Tout d’abord, l’existence d’un axe solide entre Al Azhar et la monarchie saoudienne souligne cruellement le fait que la Turquie républicaine ne pourra jamais être le successeur du califat ottoman aux yeux des masses sunnites tout comme l’espérait Erdögan et son inepte conseiller diplomatique, l’actuel Premier ministre Ahmet Davutoglu.

L’axe sunnite n’inclura jamais une Turquie trop différente du monde arabe, un peu par sa langue, mais surtout par ses cultures successives : crypto-chiite dans l’armée ottomane depuis le XVIIIe siècle, républicaine et maçonnique avec Mustafa Kemal et l’émergence d’une forte laïcité turque, pluraliste et hétérodoxe sur le plan religieux avec un quart de chiites libéraux – les Alevis – et une floraison de confréries soufies qui pratiquent un islam sunnite en réalité beaucoup plus proche d’un certain chiisme décomplexé que l’on retrouve en Iran autour des mêmes conceptions mystiques, souvent mêlées à un féminisme et un anticléricalisme bien réels. Mieux, l’interpénétration des cultures persane et turque entre les deux États non arabes – Turquie et Iran – se combine à présent avec l’ouverture du marché iranien qui a soif d’investissements mais aussi de savoir-faire, des entrepreneurs turcs.

 

Une page noire

Ainsi, à côté de la coalition Egypte-Arabie se mettra naturellement en place un second couple Turquie-Iran, applaudi par tous les États turcs post-soviétiques qui n’aspirent qu’à la constitution d’une grande puissance modérée sur leurs frontières sud qui équilibrent les ambitions retrouvées de l’ancienne métropole russe sur la frontière nord. Ici aussi, les rêves, les sottises, et les fermetures d’Erdögan sont incompatibles avec l’avenir véritable de la Turquie. Mais ici qui ne voit qu’Israël a un grand rôle à jouer ?

Non pas tellement dans les manœuvres, déjà en cours, pour renverser Erdögan d’une manière ou d’une autre et où, malgré les accusations du président, le Mossad n’entre que pour une faible partie, mais bien davantage pour favoriser une reprise rapide de l’alliance turco-israélienne laquelle permettra à Ankara de reprendre sa vraie place et d’abandonner ses alliés jihadistes d’un moment à leur triste sort. Il est plus que temps car le grand mouvement d’émancipation kurde que, sagement, les Iraniens et les chiites irakiens ménagent prudemment et aident sur le plan militaire, ne peut avoir que d’importantes répercussions dans la composante la plus nombreuse du peuple kurde, la communauté kurde d’Anatolie. Malgré un jeu complexe et pervers d’Erdögan, les Kurdes de Turquie sont de plus en plus impatientés et si la gauche turque, et ses alliés conservateurs islamiques qui cherchent ensemble à redevenir majoritaires leurs font les concessions nécessaires (début d’autonomie territoriale dans un cadre turc et reconnaissance linguistique) Erdögan pourrait être bientôt échec et mat, sans avoir recours aux sempiternelles interventions de l’armée qui serait incompatibles avec le degré de démocratisation auquel la société turque est parvenue.

Car depuis Rome et par la voix très autorisée du pape François, la condamnation des errements d’Erdögan est tombée sans appel. Certes le génocide arménien de 1915 est une réalité incontestable qui a façonné l’identité moderne du peuple arménien tout autant que la Shoah a pu le faire pour le peuple juif. Mais, les circonstances du réveil arménien (alliance étroite avec les courants les plus anti-occidentaux en Russie, participation au terrorisme moyen-oriental par l’alliance de l’Asala et des groupes palestiniens les plus extrêmes, soumission de la communauté arménienne aux initiatives déstabilisatrices de l’État syrien, y compris bien sûr contre Israël) ont freiné cette reconnaissance, notamment dans les communautés juives. Sans nier la grave réalité du génocide, la politique des gouvernements israéliens avait toujours été jusqu’à Erdögan de préserver la Turquie d’une condamnation internationale au regard de son bilan très favorable en matière de solidarité occidentale et d’évolution vers une démocratie de plus en plus profonde.

Il eût donc été souhaitable que des gouvernements turcs successifs aillent de plus en plus vite vers la reconnaissance de cet épisode terrible que Mustafa Kemal avait en son temps déjà qualifié de « page la plus noire de l’histoire militaire turque » sans avoir pour autant à perdre la face devant la communauté internationale. Mais face au refus obstiné de toute réconciliation avec l’État d’Israël, face au soutien logistique apporté par les services secrets turcs de Hakan Fidan au transfert des volontaires jihadistes à Daech, face à l’assistance ouverte que la Turquie a apportée au siège de Kobané et donc aussi aux massacres systématiques de chrétiens du nord-est de l’Irak, ces préoccupations diplomatiques ne sont plus de mise. Erdögan a gagné, il a placé la Turquie, grande favorite de la communauté internationale parce que première démocratie prospère en terre d’Islam, au ban des nations. Sans pour autant gagner, en dehors du petit Qatar, le moindre allié dans le monde arabe ni même en Iran qu’il courtisa par ailleurs dans la négociation nucléaire. L’étape suivante est très évidente. Elle serait alors de placer Erdögan au ban de la Turquie, afin de rétablir l’équilibre local et régional.

 

La renonciation au mirage

De tels bouleversements géologiques pris à part, les uns des autres auraient déjà dû faire la « une » des journaux sérieux à de nombreuses reprises. Leur accumulation très rapide depuis 2011-2013 – implosion de la Syrie, chute des Frères musulmans au Caire et tournant de l’Iran vers la négociation avec l’Amérique – a plutôt créé un effet de sidération et d’éblouissement, un peu comme la chute du mur de Berlin qui se combinait à toute allure avec la révolution de velours tchèque, son équivalent bulgare, la révolution roumaine de Bucarest en l’espace de trois mois, et un an et demi plus tard avec l’explosion de l’Union soviétique elle-même.

Le changement n’est pas moins grand et il affecte Israël de plein fouet. En 1989, Israël reçut d’un coup l’adhésion de près d’un million de juifs soviétiques et de leurs conjoints qui ont transformé le visage même de l’État. Les autorités et le peuple israéliens furent tout à fait à la hauteur d’un défi auquel aucun autre Etat de la planète ne fut confronté : une immigration de quinze pour cent d’une population nouvelle, qui aujourd’hui fait merveille au sein de la société israélienne. Demain, outre l’annexion définitive du Golan et le ralliement de sa population druze, Israël fera face au défi de s’insérer dans cette nouvelle planète qui vient de naître en très peu de temps. La première épreuve sera de consolider la stabilité de l’Égypte et particulièrement du Sinaï et de prendre toute sa place dans l’éradication régionale du mouvement jihadiste qui suppose très probablement des opérations conjointes avec l’armée égyptienne visant à renverser le pouvoir du Hamas à Gaza une fois pour toute.

Mais au-delà du réajustement stratégique qui implique une réorganisation des forces armées vers le front sud et sans doute une progression de la marine en mer Rouge, la question de l’autonomie palestinienne sera inévitablement reposée. Il est permis d’espérer qu’une politique active avec la coalition sunnite qui se met en place pour réduire l’accès yéménite permettra de placer sous la tutelle de cette dernière, une Autorité palestinienne qui renforcerait son prestige de devenir un partenaire intégral de cette réorganisation au côté, par exemple, de la Jordanie du roi Abdallah II. Mais à terme il est évident que cette transformation radicale d’un Moyen-Orient qui renonce peu à peu au mirage sans cesse réincarné de la destruction d’Israël a pour corolaire la création de deux Etats séparés aux conditions les plus favorables possibles pour un Israël qui pourrait alors utiliser, pour la première fois, certaines bonnes volontés arabes externes pour faire pression sur des Palestiniens décidemment toujours tentés par la solution extrémiste.

Il est non moins évident qu’un tel objectif de pacification suppose aussi un degré de bonne volonté manifesté par l’Iran qui est tout à la fois compatible avec le dégel de ses relations avec les États-Unis, avec son engagement croissant en défense des communautés chiites dispersées du Moyen-Orient et bientôt, on l’espère, à son association de plus en plus étroite avec une Turquie laïque, ayant renoué sur le mode majeur avec l’alliance israélienne d’antan. C’est là l’évocation d’un grand « Micheberrah » avant d’y parvenir, nous savons qu’il y aura beaucoup de sang versé et beaucoup d’épreuves supportées en commun par les musulmans, les chrétiens et les juifs. Puissent-ils s’entendre à cet effet. ●