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Antisémitisme

Entretien avec Ruth Halimi

Nous publions ci-dessous une interview réalisée par Danièle Segall pour « Coopération Magazine ».

Il y a neuf ans déjà qu’un « tsunami » a bouleversé votre vie  … comment allez vous ?

Ruth Halimi : Je vais bien, si l’on peut dire ça …c’est une histoire qui se répète chaque matin, chaque soir… qui m’accompagne dans tous les gestes de ma vie ; un regard, un jeune homme qui passe, une chanson, les réflexions de mes petits enfants dont l’un m’a dit récemment : « si l’on m’attaque comme tonton Ilan, je veux me battre… »

Où puisez vous votre force vitale ? Qu’est ce qui vous fait tenir debout ? La foi vous a elle aidée ?

C’est ma foi qui m’a sauvée. L’éducation que j’ai reçue, aussi. J’ai vécu au Maroc, à Casablanca. Mon père était pharmacien et il donnait des cours, des conférences sur le judaïsme, la Bible. J’ai été nourrie à cela. Quand j’ai eu mes enfants, mon premier souci a été de les mettre dans une école juive pour qu’ils reçoivent un enseignement qui les structure… Puis j’ai commencé à étudier les textes, une dizaine d’années avant ce drame, et cela m’a apporté un réconfort énorme ; quand j’ai reçu cet immeuble sur la tête, cela m’a permis de rebondir.  De plus, j’avais mes filles, mes petits enfants, je ne pouvais pas me laisser aller. Mais cette force je l’ai puisée dans l’étude.

J’ai discuté avec des femmes qui ont eu de graves soucis, qui me disaient « Je ne pouvais pas tenir, j’ai pris des cachets… ».  Moi, mes cachets c’était la Torah.

Avez vous eu le sentiment d’être soutenue par la communauté  à la hauteur de cette tragédie ?

Ah oui. Je veux le dire ; je pense que je n’aurais pas réagi de la même façon, si je n’avais pas travaillé au sein de mon association. Il y a eu une levée de boucliers de la part de mes collègues, des donateurs, des gens que je côtoyais … j’ai été portée à bout de bras et ça, c’est la force du peuple juif. C’est cette solidarité qui m’a permis de traverser cette épreuve.

Cet acte est devenu un événement planétaire, qui a dépassé votre propre histoire. Ne vous êtes vous pas sentie « dépossédée » de votre deuil ?

Quelques jours après le drame, l’histoire ne m’appartenait déjà plus. Mon avocat me disait : «  Ilan Halimi  est devenu une marque déposée ».

Oui, mais justement, cela ne vous pas gêné dans votre travail de deuil ?

On ne peut rien contre cela.  Mais moi, j’ai ma propre douleur et le reste… ma philosophie est qu’il faut sourire à la vie et la vie te sourit, parce que sinon… on dit dans les textes que tu as le droit à une heure de tristesse par jour. Quand tu es submergée par la douleur, personne ne peut t’aider, même pas Dieu, tu es seule à ce moment mais après il faut avancer…

Après Ilan, il y a eu des romans, des films … cela vous a-t-il aidé à surmonter l’insurmontable ?

Le livre, on m’a poussé à le faire. A nouveau une souffrance cuisante… le film, j’étais moins partante, mais mes enfants m’ont poussée ; je ne voulais pas que cela se fasse ici ; je voulais que cela se fasse hors frontières pour que cette histoire ait un impact international…mais le film d’Alexandre Arcady, que je n’ai pas vu, il fallait le faire.

Vous partez à l’étranger raconter ce qui est arrivé  à votre fils.  La parole est-elle libératrice ?

J’ai reçu des témoignages du monde entier, des centaines de courriers, des messages sur internet de tous les âges… Je suis partie aux Etats Unis, à Washington, à New York, en Asie, à Hong Kong pour présenter le film au 15° festival juif, à Macao dans des universités. La parole libératrice ? C’est très dur, à chaque fois, de revivre cela… je le fais pour Ilan, parce que je crois qu’il faut le faire, mais c’est très difficile.

Vos enfants vont-ils prendre le relais de la transmission de cet acte de barbarie ?

Absolument. Ils le font déjà. Avec mon aide bien sûr. Je serais toujours là.  Mais ils répondent déjà aux interviews.

Rebondir, dans votre cas, qu’est-ce que cela signifie ?

C’est continuer, tout simplement. Avec son sac à dos, avancer…en essayant de vivre.

J’ai appris que, quand on a des souffrances de cet ordre, quelque part, on reçoit la « charge » que l’on peut supporter.

J’avais peut être, grâce à ma foi, les ressources en moi pour supporter.

Que pensez-vous de l’évolution de la situation en France ?

C’est un gros problème. En France, en Europe et dans le monde. L’histoire d’Ilan a été un déclencheur de quelque chose ; un verrou qui a sauté. On est passé dans une autre dimension.

Avez vous pensé à partir en Israël ?

Pour le moment, mes enfants et leurs familles sont ici et doivent y rester, pour des raisons professionnelles. Mais c’est envisagé. Par pour tout de suite mais dans un avenir pas trop lointain.

Quel message pourriez-vous délivrer à des personnes qui sont dans des situations traumatiques ?

La vie est belle… il faut avancer. Si je fais le premier pas, Dieu m’aide à faire le deuxième.

Mais, encore une fois, c’est une question d’individu. De toutes façons, le juif est par essence optimiste. J’ai des témoignages de personnes qui ont subi des choses terribles et qui ont une force incroyable. Nous sommes un peuple extraordinaire, qui rebondit sans arrêt. C’est notre force.

Propos recueillis par Danièle Segall