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France

On devrait en faire un film

Rencontre avec Eric Toledano.

Eric Toledano est réalisateur, scénariste et dialoguiste. Il est l’auteur de Nos jours heureux et d’Intouchables avec François Cluzet et Omar Sy mais aussi de Samba. En juin 2015, il réalise un documentaire « On devrait en faire un film » avec son binôme Olivier Nakache. Dans ce documentaire, ils invitent à découvrir l’association « Le silence des Justes » créée par son ami Stéphane Benhamou. Cette association vient en aide aux enfants autistes.

L’Arche : Pourquoi avez-vous décidé de réaliser un documentaire sur ce thème ? 

Eric Toledano : Avant tout parce que Canal +  nous donnait carte blanche,  la chaîne nous a donné le choix du sujet et ça faisait longtemps qu’avec Olivier, on avait envie de mettre la lumière sur l’association de Stéphane Benhamou. Stéphane, c’est quelqu’un qu’on a rencontré à l’époque où on faisait des colonies de vacances.  On s’est rencontré dans un stage de formation pour le brevet d’aptitude aux fonctions de directeur (BAFD),  il y a une vingtaine d’années. Il a suivi son chemin, on a suivi le nôtre, et on est toujours resté liés, on a toujours essayé de soutenir ses projets en organisant avec lui des spectacles. Et plus l’association a mûri, plus elle nous a intéressés sous plusieurs angles : d’abord parce qu’elle a beaucoup d’audace. Elle propose une autre vision, un autre regard, et une autre méthode vis-à-vis des enfants autistes que même les médecins reconnaissent. Et puis parce que c’est une association très ouverte sur l’autre, qu’il y a des gens de tous horizons, de toutes origines sociales, ethniques. 

Quel message voulez vous faire passer à travers ce documentaire ? 

Les enfants qui sont dans ces associations nous envoient un vrai message : on pourrait penser qu’ils sont enfermés parce  les autistes sous divers formes peinent  à communiquer avec le monde qui les entoure, mais ils créent une communication quand même entre des personnes d’univers,  d’origines et de religions différentes. C’est quelque chose qui est tout de suite éloquent, pertinent visuellement quand on filme. Tous sont mélangés et on se dit que peut-être la religion revient ici à sa vraie place, c’est-à-dire quelque chose qui est fait d’amour et de souci de l’autre, et là il ne s’agit jamais d’imposer ses idées aux autres mais de se concentrer ensemble sur des êtres vulnérables.

Aujourd’hui dans la société française la communication est bloquée, on sent que tout est crispé. Voilà une mise en lumière de parcours particuliers qui se passe de commentaires, les images parlent d’elles-mêmes. D’ailleurs aujourd’hui on peut voir le film sur Youtube, ça s’appelle « On devrait en faire un Film », on tape ça sur Google, ça dure 26 minutes. J’invite les gens à y voir surtout l’image et pas le message finalement, à juste regarder le film, il parle de lui-même. 

Quelle rencontre vous a le plus marqué durant le tournage ? 

Ce qui m’a le plus marqué c’est la réaction des médecins. Stéphane et Daoud sont sortis du protocole et à un moment du film, un médecin dit: « On leur a dit, attention, ne faites pas ça et Stéphane et Daoud ont fait exactement le contraire et ça nous a aidé ». C’est en sortant des règles qu‘on progresse. Ils ont même cité une phrase de  Rabbi Nahman de Bratslav qui dit « A force de demander ton chemin, tu risquerais de ne pas t’égarer « . C’est exactement ça : ils ont créé leur propre chemin. 

Stéphane Benhamou et Daoud Tatou sont tous les deux des personnes marquantes, mais la moindre personne qui travaille dans cette association nous a marqués, que ce soit les jeunes qui viennent des cités et qui sont socialisés grâce à cette association, ou les enfants qui sont très touchants et très présents ne serait-ce qu’à travers un regard. Tout était marquant, c’était un tournage très fort.

Comment s’est déroulé le tournage ? 

De façon un peu éparse : à chaque fois qu’on pouvait, le soir, on prenait une caméra. On allait voir les appartements où ils gèrent des cas complexes dans le XIXe et à Saint-Denis, on les a accompagnés quelques jours en Normandie. Cela a été une petite immersion mais en très peu de temps, on arrive à capter l’essentiel de ce qui s’y passe.

Quelles réactions avez vous eues des pouvoirs publics, des téléspectateurs ? 

Ce qui est extraordinaire avec ce film, c’est qu’on a eu des dizaines et des dizaines de réactions, notamment via internet. Franchement, les commentaires sont magnifiques, des gens de la communauté juive, de la communauté musulmane, des gens qui nous remercient simplement de mettre en valeur des images de réconciliation et de dialogue plutôt que des images d’opposition. Je crois qu’il est temps qu’on n’envoie plus toujours les mêmes images d’opposition et qu’on essaie de mettre en valeur ceux qui essaient de dialoguer, de discuter. Ce film a cette vertu, et montre ça à travers le prisme de l’autre, de l’enfant et de l’autisme.

Pour ce qui est  des pouvoirs publics, on l’a envoyé à tout le monde : au Ministère de la Santé, au Ministère de la Culture… On a eu quelques réactions venant de l’Elysée, de conseillers qui nous encourageaient, mais pour l’instant rien de concret.

Quelles réactions avez vous eues du monde associatif et du monde religieux ?

De la part du monde associatif,  on a eu beaucoup de témoignages de gens qui travaillent dans ces associations et de parents d’enfants autistes, et encore une fois des dizaines et des dizaines de commentaires sur Internet. 

De la part du monde religieux, je pense que ceux qui sont dans cette conception de la religion, à savoir l’amour de son prochain, car c’est ça que ces deux protagonistes prônent, étaient ravis. Les autres, s’ils sont mécontents, ils ne me l’ont pas dit, ce qui ne me dérange pas.

Quelles sont les leçons que vous avez tirées de cette expérience, que vous avez voulu raconter ?  

Aujourd’hui il y a une société en crise, tout le monde le ressent fortement, les gens ont du mal à s’entendre, à se découvrir les uns les autres, à se parler, à accepter les différences. Et ce que l’on retire de cette expérience, c’est que la différence d’un enfant qui n’est pas dans le système des enfants dits « normaux » nous invite à la réflexion, c’est justement parce que l’on est en crise, tendu, qu’il faut à nouveau se demander ce qui est normal ou ce qu’il ne l’est pas.

Est-ce que vous vous considérez comme un cinéaste social et engagé avec Olivier Nakache ? Puisque vous avez déjà touché à ce thème dans Intouchables. 

Pas engagés, parce que je trouve que ça a un petit côté pompeux, et que je n’aime pas les étiquettes. Mais je considère qu’on s’intéresse à de vrais sujets, et qu’on essaie de ne pas vivre en-dehors de la réalité. Ensuite on transforme ces sujets, on les sublime, on essaie d’en faire quelque chose comme c’était le cas avec Intouchables, avec Samba. Ca l’est un peu moins avec ce documentaire qui est plus emprunt de réalisme, mais il y aurait matière à vraiment en faire un film, c’est pour ça qu’on lui a donné ce titre, qui sait ?