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Religion

Éthique et fin de vie

La loi peut-elle permettre de résoudre les cas extrêmes de fin de vie ? La triste histoire, tellement problématique et toujours non résolue, de Vincent Lambert vient interpeller le débat public en cours sur la fin de vie et l’euthanasie.

 

Il faut, pour commencer, revenir sur l’évolution de l’idée de la mort dans nos sociétés.

En France, jusqu’au XIXe siècle, les sociétés vivaient au contact direct et fréquent avec la mort : l’espérance de vie inférieure à 30 ans au début du XIXe siècle, la forte mortalité infantile (la moitié des enfants mouraient avant l’âge de 10 ans) ou en suites de couches rendaient la mort familière, apparente. Nul ne pouvait ignorer son destin fatal.

On mourrait à domicile, en famille, entouré de ses proches. Une journée ne s’écoulait jamais sans voir passer un ou plusieurs convois funéraires, les cimetières étaient placés dans le cœur des villes.

Au cours du XIXe siècle, la médecine devient plus efficace. Dès lors, et pour la meilleure des causes, elle choisit son camp : la vie. La mort est l’ennemi qu’il faut combattre, comme l’illustre la célèbre citation de Marie François Xavier Bichat, anatomiste et physiologiste français (1771-1802) : “La vie est l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort.”

Grâce aux progrès fulgurants et conjoint de l’hygiène et de la médecine, l’espérance de vie triple en deux siècles. Renaît le vieux rêve de l’humanité : l’immortalité.

Conjointement, l’idée de la mort se modifie progressivement : plus elle recule, plus elle fait peur, plus il faut la cacher.

Le XXe siècle voit les cimetières quitter les villes, les mourants quitter leurs maisons ; la mort, souvent, survient (dans plus de 90 % des cas aujourd’hui) dans un lit d’hôpital ou d’un hospice, et souvent dans la solitude.

La mort fait peur, la maladie fait peur, vivre handicapé fait peur, la douleur fait peur, les personnes âgées font peur : il faut cacher tout ça, et vivre comme si on était… immortel.

Alors, quand vient la confrontation inéluctable avec la vision sur les autres des signes du déclin de la vie, la première réaction est sa propre projection immédiate qui vous hurle : « je ne veux pas vivre ça ! », ni la douleur, ni le handicap, ni voir la mort en face…

Et quand on interroge un panel de Français, bien sûr en bonne santé, sur le thème de l’euthanasie, c’est bien la réponse que l’on entend.

 

L’évolution de la loi

Le sujet de la fin de vie se devait pourtant bien d’être traité en France quand, jusqu’au début des années 80 les droits des patients étaient largement bafoués.

Les médecins étaient jusqu’alors « propriétaires » des dossiers médicaux et n’étaient pas tenus de le communiquer aux patients ; le consentement des patients n’était pas obligatoire et la seule décision de choix du traitement (par exemple poursuivre ou non les soins), revenait au médecin. Les cas d’acharnement thérapeutique étaient fréquents.

En 1986 une timide circulaire aborde l’organisation des soins et à l’accompagnement des malades en phase terminale.

Il faut attendre la loi de mars 2002 (« droit et responsabilité des usagers ») pour que le patient puisse avoir accès à son dossier médical, puisse intervenir comme acteur et participer aux décisions pour ses propres soins.

Surtout, en 2005, la loi Léonetti aborde plus directement les questions relatives à la fin de vie ; elle impose une heureuse et réelle évolution des comportements en trois points :

  1. Les droits des malades en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable.

–            droit de ne pas subir une obstination déraisonnable*

–           devoir pour les professionnels de santé de ne pas imposer une obstination déraisonnable.

–           conditions de limitation ou d’arrêt des soins de maintien en vie dans ces situations.

–           la loi permet l’utilisation en fin de vie de médicaments pouvant avoir pour effet secondaire d’abréger la vie pour soulager un symptôme.

 

  1. Elle détermine un cadre d’aide à la décision aux situations de fin de vie

–           Si le malade peut exprimer sa volonté : « c’est lui qui décide ». Reste l’appréciation de la « pleine possession de ses moyens »…

–            Si le malade ne peut exprimer sa volonté, le médecin va s’appuyer :

o            Sur la démarche collégiale et la concertation avec l’équipe,

o            sur les directives anticipées,

o            sur l’avis de la personne de confiance.

o            sur l’avis de la famille et des proches.

o            En dernier ressort, le médecin décide.

  1. La loi réaffirme l’interdiction de l’euthanasie.

* obstination déraisonnable… « lorsqu’il n’existe aucun espoir réel d’obtenir une amélioration de l’état de la personne » et que les actes de soins « entraînent une prolongation artificielle de la vie »…

 

En 2010, devant le constat de la méconnaissance de la loi et de son application très limitée, de nouveaux décrets ont visé à favoriser ses dispositions.

Actuellement, la plupart des services concernés (Réanimation, cancérologie, soins palliatifs réanimation néonatale et pédiatrie…) ont des pratiques en phase avec la loi.

En revanche, les patients sont peu et mal informés en dehors de ces structures. La conséquence est le faible taux de rédaction de directives anticipées et de désignation de la personne de confiance.

Par ailleurs, la loi s’appuie sur un recours aux structures aptes à procurer des soins palliatifs. Leur nombre, certes en progression, reste très insuffisant.

 

Euthanasie

Les dernières années ont vu s’ouvrir un débat public sur le thème de la légalisation de l’euthanasie. Des associations comme l’« Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité » (ADMD) militent pour que, comme dans d’autres pays européens (Belgique, Suisse), des patients estimant leur fin de vie insoutenable, puissent obtenir sur leur demande, une assistance médicale pour mettre un terme à leur existence, notamment par une injection létale.

Les nombreux sondages d’opinions sur ce sujet sont souvent biaisés. Les questions sont posées sous forme binaire (pour ou contre) en réponse à un exposé aussi bref que caricatural d’une situation de fin de vie que personne n’imagine vivre.

L’exemple type est le sondage en octobre 2014 réalisé pour ADMD et brandi depuis comme un étendard. Celui-ci avançait que la proportion des Français favorables à l’euthanasie, pour des personnes souffrant de « maladies insupportables et incurables », était de 96 %.

Il n’était pas précisé aux sondés que, pour les maladies « incurables » et précisément en cas de symptôme « insupportable », tout patient bénéficie déjà de la disposition de la loi Léonetti permettant le recours à des traitements visant à soulager le patient, y compris si ces traitements pouvaient « avoir pour effet secondaire d’abréger la vie pour soulager un symptôme ».

Il en va de même pour la fameuse proposition du programme électoral du candidat Hollande, pour que « toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ».

En réalité, aucune commission regroupant des médecins et les autres professionnels de santé concernés par la fin de vie ne s’est prononcée en faveur de l’euthanasie active (y compris en décembre 2012, la commission du Pr Sicard formée à l’initiative du gouvernement).

Fin 2013, une commission de (18) citoyens cette fois a été constituée. Leurs conclusions floues rejoignent le plus souvent celles de la commission Sicard ; mais aussi, ils proposent l’euthanasie dans des conditions obscures dites « d’exception », y compris sans la volonté exprimée du patient. La décision reviendrait à une « commission locale ad hoc qu’il conviendrait de mettre en place »…. Vaste programme !

La dernière Loi « Claeys Leonetti », votée par l’assemblé en mars 2015 et pour l’instant rejetée par le Sénat en juin, renforce l’influence de la volonté propre du patient, prévoit d’importantes mesures d’information des patients, introduit la « sédation profonde et continue jusqu’au décès » que le rapporteur Michel Amiel définit comme un soin palliatif pour éviter « une agonie trop longue » et « une déchéance du corps du patient » provoquée par l’arrêt de l’hydratation, insupportable pour les familles.

Ainsi, les sondages d’opinion, outre les biais manifestes déjà cités, n’ont pas à se substituer à la réflexion éthique, complexe, sur le fond de la question de la fin de vie et du désir de mourir.

Quelle instance saura jamais faire la différence entre un souhait définitif d’en finir et une phase psychologique d’adaptation difficile à de nouvelles réalités de la vie ?

Qui est à même d’apprécier la composante dépressive, et sa part éventuellement réversible, dans un tel processus ? Encore une « commission locale ad hoc qu’il conviendrait de mettre en place » ?

 

L’approche du judaïsme

Pour les nombreuses situations où la question de la limitation des thérapeutiques se pose, retenons que, pour la loi juive, si on n’a pas le droit de ne pas donner de soins à un patient, ce qui raccourcirait sa vie, on n’a pas non plus l’obligation de faire des actions d’acharnements thérapeutiques pour le laisser en vie.

La réflexion des décisionnaires (poskim) de la loi halakhique (la loi juive) s’appuie notamment sur plusieurs exemples illustrés (midrachim) de la guemarra. Parmi celle-ci, un midrach a été rapporté par Monsieur Jean Leonetti, lors d’un colloque sur le thème de l’éthique et la fin de vie (Hôpital Privé d’Antony – 11 juin 2013) :

Rabbi Yehudah ha-Nassi, IIe siècle EC, compilateur de la Mishna, était en train d’agoniser dans de grandes souffrances. Les anges dans le Ciel le réclamaient, alors que ses élèves jeunaient et priaient pour le maintenir en vie. Leur ferveur empêchait la mort de le saisir.

Sa servante, apitoyée par ses souffrances, monta sur le toit de la maison, et jeta une jarre de terre cuite au milieu des élèves en prière. Le grand bruit du fracas fit cesser un court instant les supplications, pause infime que l’âme de Yehudah ha-Nassi mit à profit pour partir en paix… Ketubot 104a.

Le principe de « ne pas laisser souffrir inutilement » est retenu et soulager reste une priorité à laquelle il faut faire face, en acceptant dans les cas désespérés et sans possibilité thérapeutique, que le traitement entrepris débouche sur la mort du patient. Aussi, la Guemara propose des exemples explicites, pour des mourants, pour ne pas empêcher que la mort survienne.

Définitivement, il faut repousser l’acharnement thérapeutique : « Le médecin est autorisé à causer une souffrance si cette souffrance est bénéfique pour le patient » (Responsa, Rabbi Shlomo Luria, Maharsal).

En résumé, chaque cas particulier doit faire l’objet d’un questionnement. Il ne faut pas hésiter à faire appel aux rabbins qui font autorité (poskim) pour l’aide aux décisions difficiles.

Il est important de noter que la loi Leonetti de 2005 ne contredit formellement aucunement la halakha.

Quant à l’euthanasie, il n’existe, dans la loi juive, aucun avis que je connaisse qui, envisage une mort volontaire, hors des circonstances exceptionnelles que sont : préférer mourir plutôt que de commettre un homicide, un abus sexuel, ou l’idolâtrie.

 

Comment répondre aux demandes ?

Dans le cadre des pathologies médicales les plus graves, un souhait d’euthanasie représente avant tout un échec de la prise en charge d’un patient. La réponse doit donc se situer en amont : tout faire pour éviter qu’un patient se trouve en situation de demande d’euthanasie : cela impose d’améliorer l’écoute du patient, de soulager sa souffrance physique et psychique. Pour cela il est indispensable que toute l’équipe soignante soit investie ; il faut faciliter le recours aux praticiens en charge de soins palliatifs.

La loi Leonetti, telle qu’elle a été votée en 2005, est faite dans ce sens.

Rappelons qu’un traitement palliatif n’est pas synonyme de « fin de vie » et consiste à prodiguer tous les soins de confort à un patient porteur d’une affection incurable (par opposition aux soins curatifs).

La Loi « Claeys Leonetti », en cours de débat, vise, aussi, à favoriser un meilleur accès aux soins palliatifs, que ce soit en institution ou au domicile du patient.

Actuellement on estime que seuls 20 % des patients relevant d’une prise en charge en soins palliatifs ont accès à ce type de soins.

En cette fin 2015, avec les nouvelles dispositions en cours de débat et sous réserve

– d’une importante campagne d’information

– de mesures de surveillance de la mise en place des différentes dispositions,

le dispositif législatif est suffisant et permet, presque toujours, de prévenir les demandes d’euthanasie.

 

Et les cas « limite » ?

Aucune loi ne répondra des situations limites.

En particulier, lorsque le patient ne peut exprimer clairement sa volonté et que son entourage est en désaccord sur la poursuite ou non des soins.

Pour les cas de M. Lambert, le seul « traitement » dont il bénéficie est son alimentation et les soins de « nursing » pour préserver son état cutané.

En l’état, la loi donne au médecin la responsabilité de décider de l’arrêt des « soins ». C’est bien ce qu’a confirmé la Cour Européenne.

Le désaccord familial ne pourra pas être tranché par une loi supplémentaire.

Pour terminer, sur ces cas limites, il me semble que, quand les membres d’une famille veulent, coûte que coûte, le maintien des soins de ce type de patient, ils doivent assumer cette décision jusqu’au bout et accepter la prise en charge du patient à leur domicile en HAD (Hospitalisation à domicile).

Il est trop simple en effet d’avoir une exigence aux conséquences si lourdes, quand ces conséquences sont assumées uniquement par des tiers.

 

Michel Benhamou est médecin réanimateur responsable du Service de Réanimation et Président du Comité d’Ethique de l’Hôpital Privé d’Antony.