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Moses und Aron, et Schönberg, entrent au répertoire

Moses und Aron, l’opéra inachevé d’Arnold Schönberg (le projet de mettre en musique le 3e acte ayant été abandonné), est un chef d’œuvre dodécaphonique. Il constitue une performance lyrique inouïe pour les chœurs, soit le peuple d’Israël incarné par 90 chanteurs, ayant nécessité une année entière de répétions pour réussir à s’atteler à la sérialité de la partition. Peine récompensée : le résultat en est magistral et entre cette saison au répertoire de l’Opéra national de Paris.

Moses und Aron compte parmi les œuvres exprimant la sublimation du cheminement intérieur de Schönberg et de son retour au judaïsme, entamé dans les années 1920, en miroir troublant de la montée de plus en plus virulente de l’antisémitisme. Nommé professeur à l’Académie des arts de Berlin, il est démis de ses fonctions en 1933. Quittant Allemagne pour Paris où il se reconvertit (à la synagogue de la rue Copernic), il s’établit définitivement aux États-Unis et ne cessera d’exprimer dans son art, sa réflexion sur la Torah et le destin du peuple juif. L’histoire retiendra aussi qu’au titre définitif de cet opéra il manque un « A » au prénom Aaron. Schönberg, si superstitieux, et paraît-il triskaïdékaphobique (c’est à dire phobique du nombre 13), l’aurait ôté pour que ne puissent être comptabilisées que 12 lettres.

Opéra National de Paris 2015/16 MOSES UND ARON Direction musicale: Philippe Jordan Mise en scène/Décors/Costumes/Lumières: Romeo Castellucci Chorégraphie: Cindy van Acker Collaboration artistique: Silvia Costa Photo shows: J.S. Bou, Sir W.White, B.Hannigan, T.Lehitpuu, R.Shaham, A.Wolf, J.L. Ballestra, J.Mathevet, R.T.Guerrero

Librement inspiré du Pentateuque, Moses und Aron est donc proposé en ce moment à l’Opéra Bastille dans une mise en scène (elle-même librement inspirée des indications scéniques du conducteur original), de Roméo Castellucci. Ce dernier, qui avait défrayé la chronique et surtout déchaîné les foudres de plusieurs groupes intégristes catholiques en 2011, explique : “ j’ai abordé cet opéra à partir de la dernière phrase de Moise dans le livret (« Ô verbe, verbe, toi qui me manques !” ). C’est bien le manque qui constitue ces personnages, mais aussi cette idée du peuple, le peuple juif évidemment, qui est aussi une Métonymie de la communauté humaine. (…) “Dans cette oeuvre il y a très peu de personnages et beaucoup de monde. Trois personnages en particuliers:  Moses, Aron et le peuple d’Israël. C’est un peuple déraciné, c’est une caractéristique extraordinaire ! Exodus. La sortie. Ils sont sur la route. La dimension c’est le désert. Il fallait éviter de tomber entre guillemets dans les décors en terme de conception de scénographie. C’était le premier obstacle. J’ai donc imaginé quelque chose qui n’existe pas. Un lieu qui n’en est pas vraiment un ”. Castellucci, ici, n’aura occasionné aucun râlement de croyants, ni généré aucune plainte pour blasphème. Surprenant d’une quasi sobriété, soulignant la dramaturgie intrinsèque du chef-d’œuvre, il n’en rajoute pas, dérange sans provoquer, mais surtout donne à penser le beau de ces mouvements, le beau de la bonne image sur la part saisissable de l’idée. Le problème de l’image est au coeur de cet opéra. C’est une question toujours ouverte, il est toujours intéressant d’interroger la nécessité de l’image ou celle de l’abandonner, ou de la dépasser”, dit-il. Un travail intellectuel, intelligent et intelligible de haute voltige.

Opéra National de Paris 2015/16 MOSES UND ARON Direction musicale: Philippe Jordan Mise en scène/Décors/Costumes/Lumières: Romeo Castellucci Chorégraphie: Cindy van Acker Collaboration artistique: Silvia Costa Photo shows: J.S. Bou, Sir W.White, B.Hannigan, T.Lehitpuu, R.Shaham, A.Wolf, J.L. Ballestra, J.Mathevet, R.T.Guerrero

Quelques éléments jetés d’une dramaturgie anglée sur la dualité de l’argument : un buisson-magnétophone, un veau massif en vrai, du blanc à une orgie de noir, de l’idée aux mots, de l’esprit au verbe, de Moses à Aron et ce peuple “élu pour penser l’irreprésentable”. Il est  invisible ou presque : des silhouettes brumeuses immaculées, telles des spectres qu’on pourrait croire sorties d’un épisode inédit de Star Wars ou d’une suite de Matrix. Les interprétations de Thomas Johannes Mayer (Moïse) et John Graham-Hall (Aaron) sont époustouflantes. Pour Philippe Jordan, qui assure la direction musicale (et qui fut notamment assistant de Daniel Barenboim au Deutsche Staatsoper de Berlin) : “C’est un portrait de Schönberg lui-même. Il cherche ici un nouveau langage, le langage du 20eme siècle. Il est la figure de la musique contemporaine. Un vrai visionnaire. C’est une expérience, fondamentalement musicale”.

Le tant attendu Moses und Aron, au mystère sidérant, ne pouvait pas décevoir.

Aline Le Bail-Kremer

Moses und Aron, à l’Opéra Bastille, jusqu’au 9 novembre.

Informations et réservations : www.operadeparis.fr 

A noter que vous pouvez également retrouver Schönberg sur la scène de l’Opéra Garnier jusqu’au 8 novembre, avec Verklärte Nachtun sublime sextuor à cordes chorégraphié par Anne Teresa De Keersmaeker.

 

moses aron

Photo : Bernd Uhlig/Opéra national de Paris