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Musique

David Krakauer, le jazzmensch

C’est dans le cadre du festival « Jazz ‘N’ Klezmer, que se produira samedi 21 novembre le clarinettiste new-yorkais David Krakauer. À 59 ans, il est sans doute un des principaux acteurs vivant de cette culture d’Europe de l’Est. Avec son projet intitulé « The Big Picture », tout comme son dernier album publié sur Label Bleu, Krakauer, en les adaptant, rend un vibrant hommage aux thèmes des films Américains les plus représentatifs de la culture juive, du « Willkommen » de « Cabaret » à Woody Allen en passant par Mel Brooks. Rencontre avec un authentique jazzmensch !

 

L’Arche : Le dernier morceau de l’album « the Big Picture » extrait d’ « Un violon sur le toit » est devenu « funky », jamais je ne l’aurais imaginé ainsi !

David Krakauer : Ce qui s’est produit, c’est que j’ai créé cet enregistrement avec tout un groupe de gens, producteur, manager, c’est véritablement un travail d’équipe et nous tentions de déterminer quels films nous allions inclure dans ce projet. Ce ne sont pas là nécessairement la liste de mes films favoris au monde, car si l’on ne tient compte que de mes goûts personnels, il y aurait Fritz Lang, les films noirs américains, des films bien plus étranges que ceux que nous avons choisi.

Un choix démocratique, donc ?

Oui effectivement. Un choix qui nous permettait de trouver des films que nous trouvions tous emblématiques de cette culture juive. Et plus particulièrement de la culture juive américaine, car ce sont mes racines. Je suis un juif américain assimilé. Une des premières choses que je leur ai dit était « Tout ce que vous voulez, sauf « Un violon sur le toit » ! » C’était trop caricatural à mon goût, bien trop « cliché ». Et puis j’ai réfléchi. Je me suis dit : « Et si on prenait ce thème totalement traditionnel et qu’on le trafique quelque peu, qu’on le rende « funky » là cela pourrait fonctionner. » Lorsque nous l’avons enregistrée ainsi, tout le monde dans le studio m’a alors dit : « David, bravissimo, bien joué ! ». Stylistiquement et musicalement pour moi c’était un régal. Bien sûr, Woody Allen, avec son sens de l’humour et sa sensibilité juive devait être représenté. Comme la Shoah ou « Wilkommen » de Cabaret.

 

Krakauer_lookingGlass©GMD ThreeJ’étais ravi de retrouver dans la sélection un extrait de « The Producers », même si ce n’est pas hélas « Springtime For Hitler ».

Nous n’aurions pas pu adapter « Springtime For Hitler », mais pour moi « The Producers » a une importance cruciale. « The Producers » a changé ma vie lorsque je l’ai vu au cinéma. Je parle là du film avec Zero Mostel  car j’ai un peu triché en choisissant « Keep it Gay » extrait de la comédie musicale de Broadway. Mais ils ont fini par en faire un film, donc nous restons cohérents.

Parlons un peu de toi. Tu es né et tu as grandi aux USA, mais d’où est originaire ta famille, Pologne et Russie,  je présume ?

Absolument, la mère de mon père est née en Biélorussie, dans une petite ville près de Minsk. Et le père de ma mère lui est né à Lviv ou Lemberg, qui appartient désormais à l’Ukraine, mais à l’époque c’était la Pologne. Quant à mon arrière grand-père paternel, il venait d’une ville près de Bialistok… dont on parle justement dans le film de Mel Brooks « The Producers » ! Et mon nom, Krakauer signifie habitant de Cracovie. Mais mes parents eux sont nés à New York où je suis né et où j’ai grandi.

Tu as grandi dans une famille religieuse ?

Non, ils étaient totalement assimilés. Je crois que ma famille a été particulièrement traumatisée par les violences subies en Europe de l’Est. Ma grand-père n’a jamais oublié le jour où son village a été mis à sac et incendié par les cosaques. Elle a assisté aux pogroms et à toutes ces choses horribles. Ils étaient très pauvres et débarquer en Amérique pour eux était une vraie chance de pouvoir s’en sortir. Et donc forcément en arrivant, ils ont immédiatement abandonné le yiddish et la plupart des coutumes. C’est ainsi qu’ils se sont éloignés de la religion. Mais ils ont néanmoins conservé la nourriture. Néanmoins, lorsqu’on grandit à New York, le yiddish est de toute manière très présent dans la langue de tous les jours avec des expressions comme mensch, schmock ou encore un bagel with schmear. Tu vas aujourd’hui dans un deli et même si le serveur est portoricain, il va te dire « oh vous voulez votre bagel avec du schmear ? ». Tant de new-yorkais parlent le yiddish sans le savoir.

COVER CD THE BIG PICTURE

Quel a été le déclic musical, ce qui a fait que tu as décidé d’y consacrer ta vie ?

Je suis issu d’une famille musicale. Ma maman qui est décédée depuis hélas 14 ans, était violoniste classique. Lorsque j’ai eu dix ans, elle m’a dit : « tu es bien trop âgé pour jouer du violon, mais peut être devrais tu essayer la clarinette ou bien la flute ? ». Moi j’avais commencé à écouter « Rhapsody in Blue », « La création du Monde » de Darius Milhaud où l’on trouve d’incroyables solos de clarinette. C’est là que j’ai vraiment succombé. À 11 ans on m’a offert ce 33 tours intitulé « Bechet in New Orleans » et j’ai entendu deux notes du soprano et de la clarinette. Et c’est là que je me suis dit : je vais devenir musicien ! C’était un vrai coup de foudre. Aujourd’hui encore, je reste obnubilé par Bechet, ce qui explique que j’ai sélectionné « Si tu vois ma mère » (Minuit à Paris, de W Allen) pour le projet «  The Big Picture » en lui donnant des arrangements presque hip-hop avec des samples. J’ai donc commencé à la fois l’enseignement du jazz et de la musique classique. J’ai fréquenté le lycée spécialisé appelé High School of Music and Arts où j’ai rencontré un pianiste, Anthony Coleman qui jouait du Thelonius Monk. Car au début des 70’s, Monk était encore parmi nous. Et avoir cette chance de pouvoir entendre les plus grands musiciens de jazz tels que Monk ou Papa Joe Jones qui était le batteur de Count Basie. Pouvoir aller assister à des concerts d’Ornette Coleman, dans son loft de Prince Street, c’était vraiment une époque remarquable.

Et le caractère juif de ta musique, comment s’est-il révélé ?

Dans les années 70, je prenais souvent le métro pour me rendre dans le vieux quartier juif de Manhattan où mon grand-père avait été élevé. Et il restait de nombreuses traces de cette culture juive, quelques magasins où l’on vendait encore des accessoires religieux des taleths ou des kippas, même des Torahs. Au début de mes vingt ans, j’ai été tenté d’abandonner le jazz, car j’avais des doutes. Mais en 76, je suis venu vivre un an à Paris où j’ai mis un point d’honneur à apprendre le français. Je suis d’abord allé à l’Académie internationale d’été à Nice où j’ai étudié la musique de chambre auprès de Pierre et Nelly Pasquier, qui étaient de véritables légendes de la musique classique. Et ensuite, je suis allé au Conservatoire National Supérieur de Musique à Paris, où j’ai passé toute une année. Dés mon retour aux USA je me suis concentré sur la musique classique. Ça a duré jusqu’à mes trente ans. Et là j’ai commencé à faire des choses très diverses, j’ai même joué pour une comédie musicale sur Broadway. Mais, parallèlement j’expérimentais une sorte de musique d’avant-garde. Finalement, au tournant de la trentaine, j’ai réalisé que j’avais balancé le bébé avec l’eau du bain, que j’étais passé à côté de quelque chose de précieux : j’ai réalisé que l’improvisation me manquait terriblement et qu’il me fallait revenir au jazz. Mais comment y parvenir ? Et bien, à travers la musique klezmer. Au début, je jouais avec un tout petit groupe. On se produisait dans les centres communautaires de Brooklyn et soudain tous ces gens se mettaient à s’exprimer en yiddish. Et il ne s’agissait pas là de Hassidim. C’étaient des enfants de couturiers, de confectionneurs qui avaient grandi en entendant du yiddish chez aux à la maison. Et je trouvais cela tellement cool cette culture juive vivante dont j’ignorais totalement l’existence.

C’est vraiment ta volonté de toujours expérimenter qui constitue le moteur de ta musique ?

Indiscutablement. J’ai toujours tenté d’aller vers quelque chose de neuf, sans jamais me contenter de copier et de reproduire. Lorsque j’ai commencé la musique ktezmer, c’est toujours en conservant l’attitude du musicien de jazz pour définir mon propre style et ainsi créer une musique neuve. Ainsi lorsque tu entends ma musique klezmer ou mon interprétation de « Body And Soul » sur l’album « The Big Picture » tu te dis de suite : c’est David Krakauer. Si je dois revendiquer un seul succès dans ma vie c’est bien d’être parvenu à trouver ma propre expression, mon propre son. »

David Krakauer : « the Big Picture », le samedi 21 à la Cigale dans le cadre de la 14éme édition du Festival Jazz’N’Klezmer de Paris

http://www.davidkrakauer.com