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Littérature

Haïm à la lumière d’un violon : la musique contre la mort

Un récit poétique et envoûtant sur un jeune homme que le violon a maintenu en vie a Auschwitz.

On ouvre ce petit livre crème avec révérence : par le sous-titre en couverture, on sait qu’il s’agit de l’histoire vraie d’Haïm Lipsky, jeune Polonais qui a traversé le siècle et survécu à la Shoah grâce à son violon. Mais avec un rien de crainte aussi tant le sujet est périlleux. Et là, premier choc : on ne se trouve pas face à un témoignage de plus mais à un texte littéraire. Magie d’une écriture à la fois poétique et précise, gaie et grave : nous voilà tout de suite plongés à Lodz, cette ville qui comptait un tiers de juifs avant-guerre , où Haïm et les siens vivaient dans le quartier populaire de Baluty, au sein du Yiddishland. Petit Poucet, Haïm, dont le père est ouvrier et chantre hassidique découvre à 8 ans les musiciens kletzmer, se faufile à l’Orchestre Philharmonique, apprend que non loin de chez lui habite un certain Arthur Rubinstein, le célèbre musicien. A 16 ans, il s’offre sa première leçon de solfège grâce à un voisin pianiste.

Lorsque les Allemands envahissent la Pologne, la famille d’Haïm emménage dans le ghetto. Le garçon de 17 ans y retrouve ses copains de l’orchestre, joue Mozart et Schumann, donne plus de cent concerts. Mais, et c’est là toute la singularité de la vie de cet homme et son caractère, détruit par ce qu’il voit et vit au ghetto, il décide de partir au camp. Oui, on a bien lu : Haïm Lipsky monte dans un train de manière volontaire, quand tant d’autres luttent pour rester un jour de plus au ghetto. Incroyable optimisme qui lui fait croire que là bas, les choses peut être s’arrangeront.

D’Auschwitz, où il joue dans l’orchestre pour les nazis, il ne dira jamais rien sauf cette phrase glaçante « j’en suis parti ». Désormais, comme l’écrit Garutti, « il a deux langues, le yiddish et le silence ». Et un violon pour compagnon qui l’accompagnera jusqu’en Israël.

Dans le nouvel Etat, le survivant veut être un homme nouveau, devient électricien, renonce même à la musique, matrice de sa vie, fil rouge de sa survie : comment jouer en effet après Auschwitz ? Pourtant cette histoire n’est pas finie et cette passion a été transmise : son fils Arie est violoncelliste et chef d’orchestre aux Etats- Unis, Shifra sa fille, violoniste, son petit fils Naaman aussi. Trois générations unies par un instrument qui a adouci les pires moments du patriarche, apporté de la lumière et de l’espoir. Et Haïm a repris le violon qu’il joue désormais, à 93 ans, à l’orchestre symphonique du Technion.

Gérald Garutti est écrivain mais aussi metteur en scène : son récit, devenu un conte musical joué devant 80 000 spectateurs salle Gaveau à Paris, et aussi le printemps prochain à Londres et à Bruxelles, est un petit bijou de sensibilité et de finesse, servi par une langue riche et concise, poétique et évocatrice, ponctuée de chansons en yiddish. Un cadeau à s’offrir et à offrir aux autres en cette veille de fête. Haïm, celui dont le prénom signifie la vie, est revenu au violon, donc à l’existence.

Haïm à la lumière d’un violon de Gérald Garutti. Editions Robert Laffont.