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Littérature

« Palmyre, qu’on ne peut plus désormais connaître qu’à travers les livres »

En Afghanistan, les Talibans avaient fait sauter les Bouddahs de Bâmiyân. En Syrie, les membres de Daesh auront dynamité les temples de Palmyre. Voilà en peu de temps, le patrimoine de l’humanité parti en fumée. A l’abri des déserts, pendant des millénaires, ces monuments récitaient les chemins des hommes sur terre, leur étonnement face au monde, leur façon d’honorer les dieux. Ils étaient les témoins, comme le soutient Lévi-Strauss, « qu’il n’existe pas de peuples enfants, car pendant des dizaines et même des centaines de millénaires, là-bas aussi, il y a eu des hommes qui ont aimé, haï, souffert, inventé, combattu ». Et il ne faut pas moins que le nom de Paul Veyne et de son essai, Palmyre, l’irremplaçable trésor pour que nous pressentions le poids d’une perte incommensurable.

Qu’on ne s’y trompe pas : l’histoire de Palmyre débute bien avant celle de Rome : « 1000 ans avant notre ère, au temps des Assyriens, de Babylone, des Phéniciens, du roi David qui fonda Jérusalem et de la légendaire guerre de Troie, en ces temps lointains, Palmyre existait déjà depuis mille autres années et elle portait déjà ce nom de Tadmor qui est encore le sien en arabe et sur nos cartes routières » (p.52).

Sous influence romaine, à la manière des villes américaines, Palmyre suivit un plan orthogonal. Revendiquant son caractère moderne, elle reprenait des Grecs et des Romains leur urbanité si efficace et leur architecture si monumentale. On y parlait l’araméen et le grec. Ville marchande et presque mondialisée, les palmyriens exportaient vers Rome les biens délicats qui convenaient aux délices de la préciosité : « on trouvait pour les sanctuaires de l’Empire, de la myrrhe, du poivre, de l’ivoire, des perles et des étoffes indiennes ou chinoises. Les belles Romaines portaient des robes de soie qui les faisaient paraître plus que nues… » (p.36). En retour, Palmyre avait adopté le modèle de la polis grecque : « Elle était dirigée par un président ou proèdre, un Conseil, une Assemblé du peuple et deux magistrats annuels appelés archontes » (p.58). Avait-elle pour autant renoncé à son identité orientale pour copier servilement les mœurs de l’Empire ? Les conflits identitaires, rappelle Paul Veyne, n’avaient pas la même teneur qu’aujourd’hui : « la culture d’autrui était adoptée, non comme étrangère, mais comme étant la vraie façon de faire, dont on ne saurait laisser le privilège à un étranger qui n’en est que le premier possesseur. S’helléniser, c’était rester soi-même tout en devenant soi-même ; c’était se moderniser. » (p.60).

D’ailleurs, malgré son hellénisation, Palmyre demeurait à moitié tribale. Chaque tribu possédait ainsi son sanctuaire. On notera au passage « celui des Fils du Cohen , ce qui voulait dire en phénicien la même chose qu’en hébreu où un cohen est un prêtre » (p.63).

Le destin de Palmyre changea cependant d’amplitude entre 259 et 274. Élevée au rang de colonie – « ce qui, au rebours du sens moderne, signifie qu’elle était faite l’égale des citées de la métropole romaine » (p.67) – la ville devint le théâtre d’un renversement inédit : le roi Odainath et sa veuve Zénobie, menèrent une politique de conquête en Égypte et en Orient. Forte de ses succès militaires remportés, la reine Zénobie s’efforça d’imposer à Rome une solution prometteuse : « que Wahballat son fils soit empereur en Orient et qu’Aurélien le soit en Occident » (p.84). Sans réponse d’Aurélien, elle marcha sur Rome. La fin tragique de cette Reine d’exception signa la fin de l’épopée palmyrienne, mais la ville était entrée dans l’Histoire.

Ces restes d’histoire que restitue l’archéologie disparaissent aujourd’hui un à un. En août 2015 était détruit le temple de Baalshamîn, sublime édifice dédié au « Maître du ciel et de la pluie, cher aux cultivateurs dans toute la Syrie ». Dans la ville même qui a vu coexister « plus d’une soixantaine de divinités », au croisement de l’Orient et de l’Occident, de l’araméen, de l’arabe et du latin, on assiste désormais au sac du passé, à la destruction des ruines et des noms. Daesh, sans aucun doute, veut nous priver d’histoire : « Pourquoi ces destructions ? Parce que ces monuments sont vénérés par les Occidentaux actuels, dont la culture comporte un savant amour pour les monuments historiques et une vive curiosité pour les croyances d’ailleurs et de jadis » (p.119). Et au « savant amour », il faut ajouter le sens du sacrifice puisque ce livre est dédié à l’archéologue Khaled al-Assaad – dit encore « Monsieur Palmyre » et dont la fille porte le nom de Zénobie – assassiné « pour s’être intéressé aux idoles », et pour avoir eu le courage de vouloir demeurer, jusqu’à la fin, avec les preuves de ce glorieux passé.

Paul Veyne. Palmyre, l’irremplaçable trésor. éd. Albin Michel.