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Electrons libres

« Schitz » de Hanoch Levin, mis en scène par David Strosberg

Schitz est un homme riche, il ne pense qu’à l’argent, sa femme Setcha s’empiffre, sa fille obèse, Shpratzi, toujours vierge, attend un homme, et Tcharkes veut bien l’épouser contre une grosse somme. « Schitz » est une des pièces politiques de Hanoch Levin, le plus important auteur israélien, un des grands dramaturges actuels, couvert de prix qui ne stoppaient en rien ses opinions sulfureuses, ses textes scandaleux, ses attaques contre la politique de son pays. Né à Tel-Aviv en 1943, et emporté par un cancer en 1999, Levin laisse une cinquantaine de pièces de théâtre et une quantité impressionnante de sketchs, de chansons, de recueils de prose et de poésie. De plus, il mettait lui-même en scène la plupart de ses œuvres.

Issu d’une lignée de rabbins hassidiques de Pologne, élevé dans la religion, il devient vite auteur satirique, tourne en dérision la société et ses clivages, attaque la morale, l’hypocrisie, la culture occidentale et tout ce qui est établi. Comme Tchekhov, il nourrit un amour tendre pour toutes les petites gens, il les érige en héros du quotidien qui se débattent sans trouver de sens à leur vie, remplis de rêves inassouvis, d’amertume, de regrets, dans cette ville qu’il aime tant, Tel-Aviv. Le style fascinant de Levin, avec son humour au vitriol, est reconnaissable, mélange de violence, de grossièreté, de finesse et d’infinie compréhension pour l’être humain.

Schitz marchande âprement le mariage de sa fille, « le papa donnera un bon salaire plus un appartement… » avec Tcharkes, « le père ne verra aucun petit-fils tant qu’il n’aura pas donné de voiture », Tcharkes complote avec Shpratzi, pour liquider son père : « Si nous poussons un peu, un beau matin, il ne se lèvera pas », et aussi, dans la foulée, sa mère qui rêve de Los Angeles, de nouveaux horizons et d’un professeur intello américain.

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Le metteur en scène belge David Strosberg est issu de grands-parents ashkénazes et séfarades, son lien spirituel avec la culture juive est très fort et sans rapport avec la religion. « Je lis beaucoup la littérature israélienne, dès qu’un nouveau livre paraît, je me rappelle que je suis juif. Je me sens très proche. Il me parle. J’ai monté L’Enfant rêve en 2000, plus tard j’ai découvert Schitz et l’ai créé en flamand en 2004 au KVS (Théâtre flamand de Bruxelles), joué en français au théâtre de la Bastille en 2015. J’essaie toujours de trouver le texte parfait qui se suffit à lui-même, sans artifice. Levin écrivait pour ses acteurs avec une notion tragi-comique qui m’est familière, qui permet de rire des choses graves. J’ai monté Schitz avec quatre chaises et deux instruments de musique, les personnages « grossis  » par des prothèses très techniques ont vraiment l’air d’être énormes. Les comédiens ne crient pas, le jeu est sobre et sincère, le texte prend toute sa dimension et les passages chantés a capella sont accompagnés d’une guitare. » Pour David Strosberg, la famille Schitz, obsédée par le gain, dépourvue de conscience et de sentiments est un miroir de notre société, choquant mais réel. L’obsession de l’argent masque le désespoir existentiel, le désir profond d’amour.

Vingt-neuf scènes courtes, mordantes, dépeignent une famille que l’auteur a totalement fait tomber du sacro-saint piédestal judéo-chrétien. Ce sont des égocentriques reliés uniquement par le désir de se remplir la panse et les poches, des goinfres sans scrupules. Les fiancés arrivent enfin à se marier à travers les impitoyables marchandages du père et de l’amoureux, ils conspirent pour dépouiller les parents, mais voilà la sirène, c’est la guerre « A l’heure du déjeuner ? », « Qui donc commence une guerre entre deux et quatre ? La guerre mondiale a commencé le matin, voilà ce que j’appelle la culture européenne. »

Les personnages caricaturaux sont affreux, cruels, sans un gramme de gentillesse, mais Levin réussit à les rendre sympathiques, touchants, humains. Il n’y a aucun temps mort, la précision des textes est brillante et musicale.

Voir une pièce d’Hanoch Levin n’est pas anodin. C’est un choc avec effets comiques sur fond noir. C’est l’existence humaine vue par ses yeux et son cœur.

12 janvier, Panta Théâtre, Caen. 14-16 janvier, Théâtre d’Arras, Arras. 18-23 janvier, Théâtre Les Tanneurs, Bruxelles. 26-29 janvier, CSD, Montpellier. 25-27 février, Théâtre de la Joliette, Marseille.