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Religion

D’une mémoire à l’autre : soutenir le peuple yézidi

 Un après-midi avec les jeunes Yézidis de France

C’est dans un communiqué émanant du parlement européen le 4 février dernier que la qualification de génocide, en débat depuis le 20 janvier 2016 (débat dans lequel de nombreux députés avaient qualifié en tant que tel l’extermination des minorités religieuses, en particulier chrétiennes et Yézidis, par l’Etat islamique),  a été (enfin) formulée pour caractériser la situation dans laquelle sont plongées ces dernières au Levant.

“Les députés pressent la communauté internationale à prendre des mesures urgentes pour contrer le massacre systématique des minorités religieuses par le groupe État islamique », EI ou Daech”, précise-t-il.

Violations flagrantes des droits de l’homme, visant délibérément des chrétiens, des Yézidis, des Turkmènes, des chiites, des Shabak, des Sabéens, des Kaka’e et des sunnites qui ne sont pas d’accord avec leur interprétation de l’islam, ces exactions s’apparentent bien à des « crimes de guerre », « crimes contre l’humanité » et « génocide », selon le Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

La résolution, adoptée à main levée, demande à l’UE d’instituer un représentant spécial permanent pour la liberté de religion, de conviction et exhorte tous les pays de la communauté internationale à prévenir les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide sur leurs territoires.

L’instance ajoute, dans une note aux rédacteurs, quelques éléments relatives aux qualifications livrées quant à elles par les Nations unies, reconnaissant des actes pouvant s’apparenter à des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. En effet, le 19 mars 2015, l’ONU admettait dans un rapport faisant état  des crimes de l’Etat islamique “contre de nombreux groupes ethniques et religieux en Irak”, que certaines pouvaient “constituer un génocide” : “ Le schéma manifeste des attaques contre les yézidis a indiqué l’intention de l’EI de détruire les yézidis en tant que groupe. “ 

 

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La formulation exacte de ce terme pourrait peut-être désormais entraîner un basculement de l’implication internationale, et surtout une responsabilité supplémentaire devant l’Histoire.

Pour Hemin Anthony Chamon, le président de l’Association des Yézidis France France (AYF), ces annonces arrivent toutefois bien trop tard : « Quelques lignes, après deux ans d’alerte, cela reste un peu honteux. Nous nous en félicitons tout de même, évidemment, mais cela aura pris tellement de temps… Des organisations et des députés yézidis ont pourtant témoigné il y a des mois devant les euro-députés. Tout est très documenté. Nous avons besoin de soutiens. Les Yézidis ont été abandonnés et continuent de l’être. »

Du soutien, ils sont venus en trouver du côté de l’UEJF, en ce dimanche de février. Une petite délégation d’étudiants, originaires de Syrie, de Russie, de Géorgie, est installée dans les locaux de l’organisation juive, afin de partager leur parcours, leur histoires et d’imaginer des actions communes. Les jeunes Yézidis de France ont déjà conçu quelques opérations humanitaires dans des camps de réfugiés en Turquie et en Irak. Mais ils ont aussi un projet d’école, projet hautement symbolique, à reconstruire sur le Mont Sinjar, lieu martyr de ce peuple, qui a vu sa population massacrée en août 2014. Depuis que la ville éponyme a été reprise par les forces kurdes aux djihadistes, les Yézidis en diaspora se penchent à son chevet et sur son patrimoine culturel, si précieux pour cette communauté. Alors que plusieurs milliers de femmes et d’enfants sont toujours portés disparus, séquestrés, ou réduits en esclavage par les membres de Daech, de nouveaux charniers sont découverts régulièrement dans cette région. 3500 femmes yézidis seraient toujours emprisonnées en tant qu’esclaves de Daech, ainsi que 1500 enfants, dont certains sont “formés”, enfants-soldats, à devenir de la chair à canon ou bouclier humain de l’EI, traité comme “des animaux de compagnie”.

 

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Difficile, donc, d’établir encore le nombre précis de victimes de ces massacres, mais ces jeunes représentants de leur communauté veulent déjà entrevoir un avenir possible pour les générations futures. « Et quoi de mieux qu’une école ! », explique Anthony, « dans ce berceau de la civilisation yézidis, dans cette ville détruite. Daech a voulu nous anéantir et nous porter en trophée, nous voulons refaire vivre notre communauté. »

Pour les rescapés et les réfugiés, au nombre d’environ 300 000, la situation reste terrifiante, l’urgence est humanitaire. Même pour ceux qui auront réussi à gagner l’Europe, la précarité administrative, économique sur fond d’éparpillement de diaspora, semble anachronique. Sur place, des Yézidis organisés en quelques bataillons tentent de résister comme ils le peuvent, dont des groupes de femmes armées.

Anthony veut lui aussi se battre et aider son peuple ici et maintenant, et, avec les membres de son association, affiche une émouvante détermination. Il ne se résigne pas non plus à la diffusion de l’ultra violence via des vidéos haineuses diffusées sur internet et les réseaux sociaux à l’endroit des siens, alors qu’un « génocide en live » est en train de se perpétrer.

« Daech attaque, pille, viole, vole et kidnappe. L’horreur laisse la place à l’urgence sanitaire, nous demandons de l’aide. »

 

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Depuis quelques temps, le père Patrick Desbois alerte également la communauté internationale sur l’extermination de la minorité yézidie planifiée par Daech au Kurdistan irakien. Avec une équipe d’une dizaine de membres, il a effectué plusieurs visites dans des camps de réfugiés en 2015 dans le cadre de sa nouvelle mission, afin de documenter et de « recueillir les preuves de ce génocide », soit des heures de témoignages glaçant notamment de femmes et d’enfants. De ces rencontres de misères absolues, le prêtre « entrainé » en Ukraine sur le terrain de la « Shoah par balles », a statué clairement que « Daech commet un génocide contre la minorité yézidie », et de poursuivre, « nous ne voulons pas réduire ces personnes au statut de victimes. Elles avaient une vie avant Daech. Il est important de sauver leur mémoire ».

Plus jamais cela, avions-nous dit. A bon entendeur…

Aline Le Bail-Kremer