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France

Samuel Pisar : une victoire contre le destin

Un hommage émouvant a eu lieu à Paris pour célébrer un homme exceptionnel dont le message reste plus que jamais d’actualité.

François Hollande avait envoyé un mot d’admiration et de respect, Barack Obama et Shimon Pérès aussi. Ils étaient plus de 1.500 à se presser cette semaine  au théâtre  des Champs-Elysées à Paris pour commémorer la vie de Samuel Pisar, de Auschwitz à Paris, de l’Australie à New York. Une soirée extraordinaire et chaleureuse voulue et orchestrée de main de maitre par sa famille, ses filles, sa femme Judith, son beau-fils qui recevaient le gratin parisien. Mais malgré le cadre prestigieux, les invités en costume et en robe de soirée, le sentiment général était  surtout celui d’une communion, d’un partage riche et empreint de sens autour d’un homme que beaucoup avaient connu et aimé.

Et il y avait là de quoi célébrer un destin hors du commun ! Quel parcours étonnant, riche et si rempli que celui qui naquit dans une petite ville de Pologne aujourd’hui disparue, Bialystock. Le garçon a dix ans quand Hitler envahit la Pologne. Des airs kletzmer et « A yiddishe mama » ont retenti pour rappeler que Samuel avait aimé le yiddish et sa musicalité jusqu’à ses derniers jours. Déporté à 13 ans à Majdanek, à Auschwitz et à Dachau, il s’évade à 16 ans des marches de la mort. Recueilli par l’armée américaine, il sera le seul survivant de sa famille et de son école. Comme l’a rappelé Maurice Lévy, Président du directoire de Publicis, « Sam ne faisait jamais référence à ce qu’il avait enduré dans les camps. Il était difficile d’imaginer l’enfer qu’il avait traversé pendant ces années noires ». Il fallut attendre 1979  pour qu’il raconte dans le best-seller « Le sang de l’espoir », traduit en plus de vingt langues, la déportation qui avait  fait de lui « un animal guettant le danger de mort à l’instinct ».

La rencontre avec le génial compositeur Léonard Bernstein, avec qui il devient ami, donnera naissance à une œuvre profondément originale, le livret Kaddish, un dialogue avec Dieu, inséré dans sa Symphonie numéro 3. Ce projet musical vit finalement le jour en 2001, après le choc des attentats à New York. Pisar intègre dans le texte rituel  ses souvenirs, ses sentiments profonds, sa vision d’un avenir solidaire et une berceuse que lui chantait sa grand-mère  gazée à Treblinka. C’est un triomphe, une affirmation de la vie, qui sera joué dans toutes les capitales du monde, aussi bien à Washington qu’à Varsovie ou Jérusalem. En chantant a cappella « Le chant des partisans » l’acteur Lambert Wilson et l’actrice Brigitte Fossey, lisant des passages du « Sang de l’espoir » ont bouleversé le public. Tous se sont levés quand ont résonné les  accords de piano d’un ami de Pisar, Menahem Pressler, âgé de 92 ans, interprétant des mazurkas de Chopin. De la liberté retrouvée en France où selon ses dires, « j’étais bien parti pour devenir gangster » jusqu’à l’Australie, où il doit tout réapprendre, les pas de Pisar le guident vers l’Amérique et Harvard.

Devenu avocat, il se lie avec un jeune Président charismatique, Kennedy, dont il intégrera les équipes comme conseiller. Le même charme sur les photos, la même énergie, une envie commune d’agir et de changer le monde.  L’actrice Charlotte Rampling, intime du couple, racontera sur scène les deux amours des époux Pisar : Paris (dont son nom est l’anagramme !) et les Etats-Unis. L’avocat consacrera sa vie à la construction européenne avec son complice  Jean Monnet, mais aussi à la création de liens puissants entre l’Amérique et la France. Il sera l’un des premiers  à  imaginer les relations  avec l’URSS et l’Europe de l’Est, à agir pour la coexistence pacifique et la détente entre les peuples. La Chine, la Russie, lui doivent beaucoup, comme les refuzniks ou les victimes des tremblements de terre en Arménie.

Son Cv donne le vertige ! « Européen de naissance, américain d’adoption, Français par amour – et dans une autre incarnation, captif en Russie, esclave en Allemagne – mon odyssée tortueuse a fait de moi un citoyen du monde »,  écrivait cet homme à la voix douce, optimiste et à la force morale que tous les intervenants ont souligné.

Son voyage à Auschwitz en 2011 avec 200 dirigeants de tous les continents a marqué les esprits. Là aussi, ce futur  ambassadeur honoraire de l’Unesco, proposé plusieurs fois pour le Nobel, réitère son message si fort : « La Shoah  doit  être un avertissement à l’humanité toute entière à lutter contre les guerres et la tentation génocidaire. Seule la paix et la justice, une république fraternelle permettront que l’espoir gagne sur le mal. »

Au final de cette belle soirée, les artistes ainsi  que toute la famille de Samuel Pisar dont Antony Blinken, secrétaire d’Etat adjoint des Etats-Unis et le petit Jeremiah âgé de 18 mois, sont montés sur scène, pour saluer le public. Tous ont été conquis par l’humanité de celui qui a connu le pire mais a su aider les autres, imaginer un avenir meilleur, donner un sens à son existence, dans une histoire personnelle qui se confond avec le XXème siècle.