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France

Anne Hidalgo : « C’est ensemble et plus forts que nous nous relevons, que nous avançons ! »

Dans un entretien à l’Arche, la Maire de Paris s’exprime sur les attentats, le terrorisme, les mesures de sécurité, la francophonie, le boycott, le grand Paris… et les sollicitations pour une candidature en 2017.

 

L’Arche : Nous consacrons l’intégralité de ce numéro à Paris, ville-lumière, ville-symbole, ville-liberté… Dans les attaques dont elle est la cible aujourd’hui, cette image très forte de Paris reste-t-elle préservée ?

Anne Hidalgo : Même dans ses heures les plus noires, Paris n’a jamais cessé d’être Paris. Bien sûr, nous avons connu les instants terribles du choc, de la douleur, du deuil. Mais nous avons aussi vu la vie reprendre ses droits, les cafés retrouver leurs clients, les salles de concert retrouver leur public, les rues retrouver les passants. Je le dis avec humilité et gratitude : je n’ai jamais été aussi fière d’être la Maire des Parisiens qu’après ces heures terribles traversées par notre ville. Car ils se sont montrés exemplaires. Ils ont montré au monde entier que dans leur ville libre et insoumise, aucune menace, aucune attaque, aucun crime ne pourrait l’emporter sur l’extraordinaire force de vie qui fait de Paris un territoire de progrès et d’espoir. Grâce à ses habitants, Paris demeurera toujours une ville où chacun peut s’épanouir comme il l’entend, sans entrave et sans jugement. Ils rappellent chaque jour que la liberté n’est pas un idéal ou une valeur mais une capacité pratique, elle n’est pas un droit qu’on proclame mais une atmosphère qu’on respire.

Le terrorisme frappe partout dans le monde. Aucune capitale n’est plus protégée. Avez-vous renforcé les liens avec d’autres capitales touchées ?

Au lendemain des attentats de Paris en janvier et novembre, nous avons reçu des milliers de messages venant du monde entier, auxquels nous avons été extrêmement sensibles. Il existe une immense solidarité entre les villes touchées par le fléau du terrorisme, à Tunis, Copenhague, Beyrouth, Bamako, Abidjan, Bruxelles, et malheureusement dans de nombreuses autres villes avec lesquelles Paris entretient des relations d’amitié et de coopération. Nos peuples sont unis dans la lutte contre la terreur ; c’est ensemble et plus forts que nous nous relevons et que nous avançons. C’est grâce à ce soutien mutuel que grandira la place des villes dans la diplomatie mondiale. C’est grâce à cette coopération renforcée que naîtront les solutions durables dont nos territoires ont aujourd’hui tant besoin. C’est grâce à cette fraternité inébranlable que nous ferons de l’avenir un espace de paix, de respect et d’espérance.

Paris vous paraît-elle être, aux yeux des djihadistes, une cible prioritaire aujourd’hui ? Et pour quelles raisons ?

Paris a été visée pour ce qu’elle incarne : la liberté, la tolérance, l’humanisme. Notre ville est un symbole du dialogue démocratique qu’ils détestent. C’est pour cette raison, j’en suis convaincue, que nous avons été pris pour cible. Mais rien ne nous fera céder. Paris restera debout, forte et fidèle à ses valeurs. Au fanatisme et à la haine, notre peuple saura répondre par la tolérance et le respect. Face à la terreur, il existe aussi à Paris d’innombrables forces de paix, qui s’efforcent de rassembler, de réconcilier, de ramener la fraternité au cœur de nos existences comme de notre vie collective. Leurs armes sont celles des braves : l’éducation, le dialogue, la raison, l’attention à l’autre. Seule l’ouverture peut venir à bout de la haine. Plus que jamais nous devons accueillir la différence, construire des ponts entre les cultures et les identités, substituer la confiance à la défiance.

Les mesures de sécurité prises depuis un an à Paris, notamment dans les lieux juifs placés sous protection militaire, sont-elles destinées à durer ?

Notre priorité est d’assurer la sécurité de tous les Parisiens, dans tous les quartiers. Nous devons veiller au respect de toutes les religions à Paris, nous assurer que chacun peut exercer librement sa foi sans se sentir menacé. Nous nous consacrerons à cet impératif aussi longtemps que cela sera nécessaire. L’Exécutif parisien a choisi de consacrer en 2016 près de 391 m€ au financement d’actions dans le domaine de la sécurité, dont une rallonge de 11 m€ décidée à la suite des attentats du 13 novembre dernier. Parce que la sécurité des Parisiens n’a pas de prix, nous assumons son coût. Ce budget nous permet notamment d’investir dans la sécurisation des équipements publics, en particulier des écoles et des crèches. Une enveloppe de 5 m€ en fonctionnement permet de soutenir le travail essentiel d’associations comme la Protection Civile ou la Croix-Rouge, et des associations d’aide aux victimes. Nous avons demandé à l’État de bien vouloir pérenniser le dispositif Sentinelle qui a fourni la preuve de son efficacité, mais aussi de créer des postes de policiers supplémentaires, de protéger prioritairement les écoles et les crèches dans le cadre du plan Vigipirate, et de renforcer les dotations en matériels pour les policiers et les pompiers. Je pense qu’il est nécessaire de maintenir des patrouilles visibles autour des sites sensibles, qu’il s’agisse des lieux de cultes ou d’équipements municipaux. 165 nouvelles caméras seront déployées cette année ; nous travaillerons étroitement avec la Préfecture de Police pour établir une interconnexion des réseaux de vidéo-protection de la capitale et des communes de petite couronne, laquelle permettra l’accès à 15 000 caméras en Ile-de-France en cas de crise majeure. Des formations aux gestes de premiers secours ont été mises en place par la BSPP et les associations. À terme, plus de 5 000 Parisiens seront ainsi formés. Toutes ces mesures de sécurité ont vocation à construire un avenir plus serein.

Vous êtes présidente de l’association des maires francophones. Il y aura un congrès en septembre 2016 à Beyrouth. Êtes-vous favorable à l’entrée d’Israël dans la francophonie ?

Paris entretient d’excellents rapports de coopération avec les villes israéliennes ; nous échangeons très régulièrement dans les domaines de la culture et des nouvelles technologies. Dans le contexte enlisé et violent du conflit israélo-palestinien, de nombreux maires s’attachent à mener une politique progressiste, créative, inclusive, prônant l’ouverture à toutes les minorités. Si certaines de ces villes souhaitent contribuer à faire rayonner la francophonie à travers le monde, il me semble opportun de les y encourager. Nous avons besoin de toutes les bonnes volontés pour consolider la diplomatie des villes, notamment des villes francophones.

Il y a eu un vœu sur le boycott d’Israël, voté par le conseil municipal en octobre 2015. C’est un sujet sur lequel majorité et opposition au Conseil de Paris sont sur la même ligne ?

Paris est fermement opposée au boycott d’Israël, qui contredirait notre soutien aux efforts de paix. Le Conseil de Paris a adopté en février 2016 un vœu, présenté par l’Exécutif parisien, qui condamne ce boycott et réaffirme l’engagement fort et constant de Paris pour la paix entre Israéliens et Palestiniens. Cet engagement en faveur d’une paix juste et durable dépasse les clivages entre majorité et opposition. Le Conseil de Paris a approuvé à une large majorité ce vœu qui condamne les appels à boycotter Israël relayés lors de rassemblements sur l’espace public parisien, et en s’opposant à toutes les tentatives d’isoler Israël du concert des nations. Paris a ainsi réaffirmé clairement son attachement à la promotion d’une solution pacifique au conflit israélo-palestinien, impliquant la coexistence paisible de deux États dans des frontières sûres et reconnues.

On parle du grand Paris. Jusqu’à quelles limites voyez-vous ce grand Paris. Quelle vision en avez-vous ?

Le Grand Paris est à échelle variable. Il y a bien sûr une véritable cohérence au niveau de la zone dense, qui concentre la plupart des enjeux et problématiques, comme la pollution de l’air ou la crise du logement. Mais il y a aussi un sens à ce que cette zone dense travaille davantage avec les terres agricoles nourricières qui les entourent. Il y a même une logique à aller au-delà. Ainsi, le parcours de la Seine jusqu’au Havre dessine une vaste métropole ouverte sur la mer et sur le monde, grâce au Port maritime du Havre. Une même communauté de destins émerge de ce territoire commun, avec notamment de forts enjeux de logistiques, de renouvellement industriel et de paysage. Nous avons d’ailleurs récemment lancé un vaste appel à projets, « Réinventer la Seine », pour mobiliser et fédérer nos territoires et repenser notre lien commun à la Seine.

Mais au-delà de la question du périmètre et de la gouvernance institutionnelle qui a parfois tendance à enfermer le débat, il me semble que ce qui importe ce sont les projets. Nous avons besoin d’une métropole forte de sa jeunesse, qui a besoin d’espoirs autant que d’engagements concrets et durables pour s’épanouir pleinement dans sa vie et sa citoyenneté. Une métropole forte aussi de sa population-monde, riche de sa diversité culturelle, de ses talents et de ses fortes ambitions en matière d’innovation et de progrès économiques. Une métropole forte enfin de son territoire stratégique, qui, par ses réalisations et ses projets, doit devenir attractif pour toutes et tous car vivable socialement, économiquement, culturellement. La métropole parisienne doit donc constituer un puissant levier au service des progrès auxquels les populations de nos territoires aspirent. Elle doit permettre d’accélérer la construction de logements et la transition écologique, d’améliorer le réseau de transports en commun, de réduire les inégalités territoriales, de consolider la cohésion sociale. Nous nous y employons avec détermination et enthousiasme.

Vous êtes proche de François Hollande, et en même temps très critique vis-à-vis de sa politique. Vous êtes favorable à des primaires à gauche. Le magazine Marianne vous mettait dernièrement en couverture sous le titre « Pourquoi pas elle ? » (comme candidate à l’Élysée). C’est une hypothèse que vous n’écartez pas ?

Je suis Maire de Paris et cette mission est à mes yeux la plus belle qui soit. Paris a toujours été au cœur de mon engagement politique et je suis honorée d’exercer aujourd’hui ce mandat magnifique, que je mènerai à son terme. Je n’ai aucunement l’intention de me détourner de cette responsabilité. Par ailleurs je suis convaincue que les villes, qui sont des territoires d’avenir, ont un rôle décisif à jouer au niveau international, et je crois que les États ont beaucoup à apprendre de leur fonctionnement. Plus de la moitié de la population mondiale vit dans les villes. En 2030, les centres urbains généreront 80 % de la croissance économique. C’est dans les villes que se manifestent le plus fortement les défis de notre siècle. Mais elles sont aussi le lieu des solutions aux défis mondiaux. Elles constituent l’échelle pertinente pour inventer, innover, préparer le futur, partager les idées et réussites. Les maires, proches de leurs populations, sont des acteurs incontournables du progrès. Je suis profondément convaincue de la nécessité de fédérer les villes du monde entier pourmontrer la voie aux États dans des domaines aussi essentiels que la transition écologique. C’est pour cette raison que je suis candidate à la présidence de C40, réseau des 83 plus grandes villes du monde, représentant plus de 600 millions d’habitants et un quart de l’économie mondiale. Je me concentre sur ce défi qui me semble être absolument prioritaire. C’est là que je me sens le plus utile pour la population qui a choisi de me faire confiance.-