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Cinéma

Fanny Ardant : « Ronit était une actrice qui jouait avec l’instinct »

L’actrice et réalisatrice a fait tourner Ronit Elkabetz dans Cendres & Sang.

 

J’ai tout de suite été éblouie par son intelligence, son rire. Je lui ai demandé ce qui lui faisait peur dans ce scénario. Elle m’a dit : « Rien. » Je lui ai demandé : « Ça vous fait peur de marcher en talons en Transylvanie ? » Elle m’a dit : « Non. » Je lui ai demandé si cela la dérangeait d’être très maquillée et elle m’a répondu : « Non ». Puis, je crois que je lui ai demandé si cela la dérangeait d’être très serrée dans une ceinture. Je savais, en rencontrant Ronit, que c’était une actrice qui jouait avec l’instinct. Elle n’était pas cérébrale, à chercher les explications.

Dès que je l’ai vue, j’ai senti qu’on pouvait se jeter. Cendres & Sang était mon premier film. La première fois qu’une actrice me faisait confiance, sans que j’ai eu à lui montrer ce que j’étais capable ou incapable de faire. On est donc parties dans cette aventure. Une aventure très rock n’roll avec très peu d’argent, très peu de moyens, mais une sorte de passion pour le cinéma. J’ai le souvenir d’une fois où il y avait beaucoup de désordre. Tout le monde criait dans tous les sens. Je croyais que je n’arriverais jamais à tourner cette scène. Il faisait très froid, je portais trois manteaux, les uns sur les autres. Elle est arrivée par derrière. Elle m’a attrapée et m’a bercée, sans rien dire. Et ça m’a donné une grande confiance. Elle est partie en haussant les épaules.

On ne se parlait pas beaucoup mais on se regardait. Plus tard, lorsque nous nous sommes revues à Paris, on était comme des enfants. On allait dans les grands restaurants. On commandait des assiettes de tomates et on buvait la sauce directement de l’assiette. On passait notre temps à dire aux enfants qu’il ne fallait pas faire ça, mais cela nous plaisait de nous mal conduire.

J’avais une grande admiration pour Ronit et pour ses films. Je les trouvais très forts. Je n’étais pas sûre d’être à sa hauteur. Ce que je n’oublierai jamais, c’est son investissement total dans mon projet. Néophyte, maladroite exagérée, partant un peu dans tous les sens… Je me souviens de la présentation du film à Cannes. Je la vois au pied des marches. Elle me faisait un petit clin d’œil. Comme si on était toujours dans la gravité mais jamais dans le sérieux. J’ai le souvenir de ce film réalisé avec elle, comme celui d’une aventure. J’ai aimé chaque jour de Cendres & Sang. Même s’il y avait des choses plus ou moins réussies. Quand on se retourne sur des choses qu’on a faites dans sa vie, on s’aperçoit que ces films sont les moments de sa vie. On peut les revendiquer, qu’ils aient du succès ou non, qu’ils rapportent de l’argent ou non. On a fait des choses auxquelles on a cru. Qu’on a aimé faire et qu’on a lancées comme des bouteilles à la mer. J’aimais infiniment Ronit. On est toujours sûrs qu’on va revoir les gens qu’on aime. Pas forcément.

Ronit avait une présence énorme. Un acteur est défini par son regard. Et celui de Ronit était d’une puissance… À la fois intelligent et moqueur. Ronit est en effet, comme vous le dites, une apparition. C’est pour ça que lorsque j’ai pensé au personnage de cette étrangère qui revenait dans son pays, il me fallait une figure forte, presque comme dans les tragédies antiques, lorsqu’on imagine Cassandre. On a un archétype en tête. De par sa modernité et son charme aussi, on pouvait l’imaginer dans toutes sortes de rôles.

Il ne s’agit pas d’un combat des femmes, mais plus largement d’un combat de l’être libre qui n’a pas peur. Irréductible, par son silence et son regard. C’est pour ça que je me dis toujours que Ronit et moi ne vivons pas dans la même société. Mais qu’au fond, il y a un combat des femmes nécessaire dans certaines sociétés, qui n’est pas la mienne. C’est pour ça que je n’ai jamais été intéressée par ça. Par contre, ce qui m’a toujours frappée, c’est l’indépendance des idées. C’est ça l’aspect irréductible d’une personne, qu’elle soit juive, arabe, catholique, occidentale ou orientale… La détermination de l’être humain importe, dans sa volonté de ne pas être un béni oui oui, celui qui dit oui à tout.

 PROPOS RECUEILLIS PAR STEVE KRIEF