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Littérature

In cauda venenum

Réaction à une déclaration de Tahar ben Jelloun sur France Inter le 16 juillet à propos du massacre de Nice *

 

Le 16 Juillet, de triste mémoire, est une date marquée au fer rouge dans la mémoire collective juive.
Le 16 Juillet 1942 eut lieu un des moments emblématiques de la déportation des Juifs, entreposés comme du bétail dans le Palais des Sports du Vel d’hiv.  Certains purent s’en échapper et rejoindre les réseaux de résistance, en particulier le groupe Manouchian, qui constitue dans l’historiographie française, le symbole même de la résistance.

Résistants, ils ont commis des attentats contre l’occupant allemand mais jamais ils ne s’en sont pris volontairement à des civils. Ils ne se sont pas rendus en Allemagne pour s’attaquer aux citoyens allemands. Ils étaient amoureux de la vie et ne la méprisaient pas au profit d’un hypothétique paradis. Enfin, ils n’ont réclamé ni la gloire, ni les larmes, ni l’orgue, ni la prière aux agonisants. Ils étaient sans haine pour le peuple allemand, les gens, ceux qu’on appelle les civils aujourd’hui.  Ils étaient de vrais résistants.

On est d’autant plus surpris que le titre de gloire donné par le groupe Jean Moulin, le groupe Manouchian, les réseaux des francs-tireurs, les maquisards du Limousin, dirigés par Georges Guingouin … au mot « résistance » soit confisqué pour définir les actions commises par les Palestiniens contre des civils israéliens. Un abus de sens commis ce 16 juillet, sur les ondes de France Inter par Tahar Ben Jelloun. Invité à commenter le massacre de masse commis à Nice lors de la fête du 14 Juillet, l’écrivain franco-marocain prend soin de préciser qu’’il ne faut pas confondre la « Résistance palestinienne » avec le terrorisme.
Désigner comme résistants des gens qui, armés de couteaux, assassinent des enfants dans leur lit, des familles dans leur voiture, des gens assis en terrasses à Tel Aviv ou qui utilisent leur voiture pour foncer sur des piétons sans défense est une infamie et un acte politique grave en ces temps troublés. C’est de l’irresponsabilité.

L’écrivain ne voit-il pas que cette confusion fait le lit de l’extrême droite qui envahit les nations ? Qu’à gauche elle entraîne les gens dans sa dérive, qu’elle noyaute tous les mouvements y compris le PC et même Nuit debout, qu’elle est le fond de commerce des délires racistes du Parti des Indigènes de la République (PIR) ? Ne voit-il pas qu’il participe, par son discours insidieux à la montée des partis religieux, au Moyen-Orient comme en Occident, et qu’en Israël, ces partis sont des auxiliaires de la politique sécuritaire du gouvernement actuel et d’une manière générale, responsables du découragement de la communauté juive et en particulier de ceux qui comme nous luttent pour la solution des deux Etats pour deux peuples ? Un écrivain est par essence responsable des mots qu’il utilise. Comme une journaliste l’est des mots qu’elle fait prononcer à ses interlocuteurs lorsqu’elle ne les nuance ou ne les contextualise pas.

Le terrorisme se distingue par l’aspect aveugle et lâche de ses actions et c’est bien pour cela que l’on utilise précisément le terme de terreur.
Ceux qui au Moyen-Orient frappent aveuglément des cibles militaires tuent notamment des pacifistes qui soutiennent leur cause, tout comme les combattants de l’Etat islamique effectuent des ravages dans des foules sans se soucier de l’appartenance nationale, idéologique ou religieuse de leurs victimes.
« Mal nommer les choses, c’est accroître le malheur du monde. » disait Camus. La phrase de Tahar Ben Jelloun conduit à une banalisation du terrorisme. Elle opère un retournement insupportable en faisant des bourreaux des victimes et des lâches assassins des héros. Héros que les têtes faibles et les pauvres gens à l’ego cabossé n’auront de cesse d’imiter, au poignard ou à la voiture-bélier.
Outre le fait que le conflit israélo-palestinien mérite une réflexion en dehors des clichés manichéens avec un conflit opposant un Etat bourreau à un peuple victime, nous continuerons inlassablement à répéter que les assassinats aveugles de victimes sans défense ne servent aucune cause, aussi juste soit-elle.

Et on ne peut que regretter qu’un écrivain comme Tahar Ben Jelloun se fasse le complice d’un glissement des valeurs dont les répercussions aujourd’hui, plus que jamais, sont immédiates et sans doute sans limites.

 

Sara Brajbart-Zajtman (journaliste)

Sylviane Roche (écrivaine et journaliste)

Maurice Einhorn (journaliste et médecin)

Marcel Casteleyn (psychanalyste et écrivain)

 

Photos : Armand Borlant

 

  • 1) Pour « Le mot juste » : Stop aux mots qui trompent, aux mots qui condamnent, qui simplifient, qui séparent, enveniment, qui blessent, qui tuent.
  • https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-du-week-end/l-invite-du-week-end-16-juillet-2016