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Israël

Adieu, frère aîné !

Le serment de Shimon Pérès prononcé devant la tombe d’Itzhak Rabin continue de résonner.

 

Dix-huit ans sont passés depuis cet assassinat. C’était le 4 novembre 1995. une manifestation de la paix à Tel Aviv. 100 000 personnes, place des Rois d’Israël, venus soutenir Rabin et Pérès dans leurs efforts de paix. Une foule joyeuse et bon enfant. Et puis, au bas des marches, au moment où l’ancien Premier ministre s’apprête à monter dans sa voiture, trois balles tirées à bout portant. Rabin est conduit à l’hôpital Ichilov. 40 minutes plus tard, tout est fini.

La mort d’Itzhak Rabin provoque un séisme immense, un traumatisme comme en a peu connu la société israélienne. Un deuil interminable. Une espèce de catharsis dans laquelle la population s’est enfoncée.

 

Au bout du chemin

On a du mal à relire certains passages du discours de celui qui se tenait à son côté au moment de l’assassinat et qui avait été ami, son rival, son alter ego. « Le Moyen-Orient s’est éveillé, et une coalition de paix prend forme, une coalition régionale encouragée par une coalition internationale, comme peuvent en témoigner ceux qui, aujourd’hui sont venus vous rendre un dernier hommage : les chefs d’État des États-Unis, d’Europe, d’Asie, d’Afrique, d’Australie et des pays de notre région. Ils sont venus, tout comme nous, vous rendre hommage et vous déclarer que nous poursuivrons sur votre voie. » Et les derniers mots : « Adieu, cher frère aîné, héros de la paix. Nous continuerons à porter cette paix, ici-même et alentour, comme vous y avez aspiré toute votre vie durant, comme votre disparition nous le commande ». Ce serment a-t-il été tenu ?

Au lendemain de sa mort, il y eut des tonnes de lettres des quatre coins du monde, des milliers de messages parvenus seulement à l’ambassade d’Israël à Paris. Mais il aurait pu en recevoir plus encore depuis 18 ans. Ceux qui pourraient se demander s’il avait eu raison. Ceux qui s’interrogent. Ceux qui lui reprocheraient de n’avoir pas su prévoir ce qui allait suivre. Ceux qui restent persuadés qu’on ne l’a pas laissé aller au bout de son chemin. Ceux à qui il manque terriblement. Ceux qui auraient voulu savoir ce qu’il pensait de ce qui arrivait. Ceux qui voudraient lui raconter ce qui s’est passé depuis qu’il est parti. Tout l’enchaînement des faits. Les maladresses des uns. Les naïvetés des autres. L’Intifada. Les attentats-suicides… ce qui a fait que le rêve d’Oslo, le sien et celui de Pérès, s’est fracassé.

On a fait toutes sortes de comparaisons à propos de la mort de Rabin. On a évoqué l’assassinat de Kennedy, et on a vu lors des obsèques, Teddy Kennedy ramener du sable de la tombe de l’ancien Président américain pour la mettre sur celle du Premier ministre défunt. Il y eut tout un débat en Israël sur le fait de savoir si cette comparaison était la bonne. Le professeur Shlomo Avineri a évoqué le meurtre de Jaurès : « Le meurtre de Rabin, comme celui de Jaurès, est un meurtre statistique. Un système de stigmatisation et d’incitation cible la victime, et la question de l’attentat contre lui devient une question statistique. Qui est celui qui va se lever pour commettre l’acte ? », écrivait un des meilleurs spécialistes de sciences politiques en Israël. Michaël Walser a esquissé un rapprochement hasardeux avec l’assassinat de Walter Rathenau, qui a eu pour visée de démanteler la République de Weimar. Mais enfin, cette comparaison ne tient pas. Ou en tout cas, la démocratie israélienne a bien tenu sur ses bases. Igal Amir n’a pas démantelé la démocratie. Et il n’a pas réussi non plus à stopper le processus qu’il entendait neutraliser.

Dans les affaires d’Igal Amir, on a trouvé des livres, beaucoup de livres religieux. Mais seulement deux livres non-religieux. L’un d’eux, Un Président en ligne de mire, qui raconte la tentative d’attentat contre le général de Gaulle en 1962, qui visait à empêcher l’évacuation de l’Algérie. Jean-Marie Bastien-Thierry est un ancien para, très catholique, très à droite. Sa tentative a échoué. Celle d’Igal Amir a réussi. Mais la comparaison paraît pertinente. L’assassinat de Rabin a été un assassinat politique, comme l’aurait été celui du général de Gaulle. L’objectif était de stopper un processus politique.

 

Une prise de conscience

Y est-il parvenu ? Le serment de Pérès a-t-il été tenu ? La réponse est à l’évidence non pour la première uestion, et oui pour la seconde.

La carte politique israélienne a bougé depuis dix-huit ans. « Avec le recul du temps, la conduite de Rabin a été à l’origine d’un processus qui a mené à une prise de conscience du public israélien », a déclaré un jour Ehoud Olmert, ajoutant : « Oslo a été une étape courageuse ». Ce qui veut dire que Rabin a ouvert de nouveaux chemins. Il a brisé l’illusion qu’un grand Israël était possible. Il a permis une prise de conscience, un mouvement de l’intelligence. Pas du tout un « Embrassons-nous Folleville ».

Peut-être, d’ailleurs, que ce qui restera dans les mémoires de la scène de la Maison Blanche, c’est l’hésitation à serrer la main de Yasser Arafat. Et puis, la manière dont s’est déroulé le désengagement à Gaza fut révélateur. La façon de se « contenir » de part et d’autre. Le désir de ne pas franchir des lignes jaunes. Peut-être qu’inconsciemment quelque chose du traumatisme passé a joué. Et ce désengagement lui-même a montré qu’Igal Amir a commis l’irréparable pour rien. Et que les mots de Pérès sur la tombe de son aîné, de son complice, et de son double continuent de résonner.