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Arts

La noblesse des matières et des mains qui les travaillent

Lors de la dernière Nuit blanche, le Mahj a rendu hommage au travail de l’artiste israélienne Sigalit Landau, en plaçant une de ses œuvres, « Miqlat », dans la cour d’honneur de l’hôtel Saint-Aignan. Rencontre.

 

D’un corps nu, tant d’artistes se sont inspirés. Et tant d’autres gens ont tenté de le cacher. Pourtant, cette matière est une des plus nobles. Sigalit Landau plie les fils barbelés en forme de ceintures imposées dans certaines sociétés. Cette artiste va plus loin en s’inspirant aussi de matières lourdes, difficiles à travailler, pour les rendre plus douces et les anoblir à leur tour. D’une bétonneuse sort une boîte à musique. Une pastèque porte et prolonge le monde et le fruit de sa naissance. Tel Aviv, Rotterdam, Berlin, Londres, New York, Sigalit Landau et ses œuvres continuent de voyager depuis une vingtaine d’années. Et lors de cette Nuit Blanche, les escaliers en bronze massif du « Miqlat » nous accueillirent. Un abri contre les bombes devenant des escaliers dont le sens et l’histoire demeurent à définir pour chacun.

 

L’Arche : Vers où montent ou descendent les marches du Miqlat ?

Sigalit Landau : À l’instant précis ?

Oui.

Difficile d’avoir une réponse unique.

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À chacun sa réponse ?

À chacun sa question même. Les marches sont un symbole très présent aussi bien dans l’art que dans la Bible. Un rapport à la transcendance. L’étude, le rêve, l’envol… Mais tout ce qui monte, tombe aussi à un certain moment. Les marches peuvent aussi vous conduire dans la terre ferme où vous éprouverez un sentiment de sécurité. En sécurité, mais avec une qualité de vie qui sera peut-être moins bonne.

En trouvant peut-être des choses insoupçonnées.

Surtout si vous êtes archéologue (rires).

Ces marches évoquent aussi un thème sur lequel vous travaillez depuis longtemps : ce qui relie les gens.

D’un lieu à un autre, d’une personne à une autre et dans le cas présent surtout d’une structure à une autre. On vit une situation normale et puis on se retrouve tout à coup dans une situation où la continuité n’est pas assurée selon des critères prévisibles. Une manière d’expérimenter la réalité en général ou bien aussi la réalité israélienne.

Quelle partie de la réalité israélienne ?

L’art peut vous permettre de dépasser les explications simples de personne à personne. De vous montrer le passage du temps. Cette structure peut à la fois paraître concrète par sa taille massive et obsolète lorsque je présente le négatif en photo. Les générations différentes peuvent s’identifier facilement ou bien errer à trouver les significations, chacun avec ses repères. En tout cas, cette œuvre voyage beaucoup, malgré sa taille et son poids, exposée à travers l’Europe.

Sa forme pourrait faire penser aussi à des escaliers menant à un avion, encourageant le voyage.

Tant que les avions n’oublient pas de venir aussi et pas simplement de partir.

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Vous avez fait vos études à l’Académie des beaux-arts de Bezalel, qui se trouve à l’Université de Jérusalem. Un campus connu pour son ouverture d’esprit, pour sa manière à encourager les dialectiques aussi bien philosophiques, politiques qu’artistiques.

Il y a de nombreuses bonnes écoles d’art en Israël. Lors de mes études, il y avait à Bezalel un encouragement à la connaissance des créations internationales. Les écoles d’art doivent avoir par définition une ouverture d’esprit importante. Mais l’on ne crée pas seulement avec son esprit. On le fait avec son cœur, avec ses tripes et surtout avec ses mains. J’ai souvent challengé mes professeurs et mon public. J’aime travailler, créer, avec des matériaux très différents. Les escaliers sont en bronze. J’aime prendre des matériaux très bruts et les transformer en matériaux nobles, grâce à une technique apprise à New York.

Qu’est-ce que cela représente pour vous d’exposer au Mahj ?

J’ai visité Paris étant très jeune. J’ai ensuite habité un peu ici à la fin des années 90. J’ai exposé dans de nombreuses galeries et musées et je suis l’actualité du Mahj, m’y rendant régulièrement.

C’est un assez grand honneur pour un artiste d’y avoir une de ces œuvres placées à l’entrée lors d’un événement comme la Nuit Blanche.

Effectivement, c’est un grand honneur et plaisir. La statue de Dreyfus nous laisse sa place pour de courts instants puis revient. J’ai pris beaucoup de temps à préparer cela, avec des discussions animées sur les différents points de vue artistique.

Quels artistes français vous ont beaucoup marqué ?

Annette Messager et Louise Bourgeois. Rodin, je l’adore. Je me suis même évanouie lors de mon premier séjour à Paris devant une de ses statues. Et, bien entendu, Camille Claudel. Ces personnes m’ont beaucoup influencée lors de mes études. Le Centre Pompidou est un endroit que j’aime beaucoup, qui m’a permis de découvrir de nombreuses œuvres, françaises et internationales. Dont une grande expo d’Andy Warhol, m’ayant beaucoup marqué. Daniel Buren est un artiste très important aussi.

« Miqlat » est présentée dans la cour du Musée jusqu’au 26 mars 2017.

Pour voir les œuvres et projets de l’artiste, allez sur le site http://www.sigalitlandau.com/