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Littérature

Rhââ Gotlib !

Patti Smith déclara un jour qu’à côté de la lecture de Mad Magazine, les drogues n’avaient aucun effet. Lire un Gotlib, qu’il s’agisse des Dingodossiers, Rubrique-à-Brac, Hamster Jovial, Pervers Pépère, Gai-Luron ou Superdupont, procurait le même cri du bonheur. La même hallucination que tout est possible, qu’il n’y a aucune limite dans les bulles ni entre elles. Qu’elles provoquent les rencontres en tout genre entre les hommes et les femmes, mais aussi entre les Dieux (comme le montre le chef d’œuvre Rhââ Lovely 2). Car il n’y a rien de sacré pour Gotlib, sinon ces petits moments de bonheur qui ne sont pas encore confisqués par telle institution et qu’il est bon de partager.

Son humour et sa poésie permirent de tutoyer mieux que quiconque les douloureux sujets de l’exclusion, les discriminations. Surtout celles dont sont victimes les femmes, prisonnières des représentations masculines. Gotlib contribua si bien à montrer qu’une femme est un sujet et non un objet sexuel. Les souffrances qu’ils rencontra étaient rarement tutoyées dans son œuvre. Il confronta directement le sujet dans son autobiographie consacrée à sa jeunesse : J’existe, je me suis rencontré ! Notamment la période de la guerre. Le Mahj lui consacra une expo en 2014. A cette occasion, il m’accorda une interview que nous republions ici.

L’homme est aussi humble que son influence est grande. Mais n’exagérons rien. Il sait, comme le dit Gabin dans Le Cave se rebiffe, que le fait de ne pas reconnaître son talent facilite la réussite des médiocres. Desproges, Les Nuls, De Caunes, Gotainer, Baffie et tant d’autres reconnaissent en tout cas l’influence de ce dessinateur pour qui rien n’est sacré, si ce n’est le travail et l’amitié de René Goscinny et Harvey Kurtzman. À ceux qui se fatiguent à citer les mêmes exemples et contre-exemples en matière de liberté d’expression, un petit tour dans l’univers de Gotlib permettra de passer toutes les frontières, de ressortir le refoulé et dévoiler l’insoupçonnable. Il nous accueille chez lui, avec son ami et agent Michel, entouré de ses amis et de ce qu’ils avaient de plus précieux à dire dans leurs écrits. Rencontre.

 

L’Arche : Comment s’est organisée l’exposition ?

Marcel Gotlib : De la façon la plus simple qu’il soit. D’abord, c’est Michel qui s’est en majorité occupé des éléments qui vont figurer dans l’exposition. Exceptionnellement, parce que d’habitude cela ne se fait pas, je le refuse, des planches originales seront présentées et non des copies. J’ai fait la connaissance des organisateurs, de Anne-Hélène Hoog et toutes les personnes qui travaillent depuis longtemps sur le projet. Et moi, comme d’habitude, je n’ai rien fait (rires).

Pourquoi avez-vous choisi de faire cette exposition dans ce lieu ?

On m’a rarement consacré de telles expositions à partir de mes travaux. L’an dernier, il y a eu Saint-Malo et lors de l’attribution du prix à Angoulême. Je crois que cela vaut pour tout le monde, on ne peut pas être présenté à trop d’expositions. Je suis allé voir celle intitulée « De Superman au Chat du rabbin » au MAHJ. J’étais assez vexé parce que je n’y figurais pas (rires). Tandis que celle-ci est consacrée à moi et à moi tout seul. Je ne vois donc pas pourquoi j’aurais refusé !

 

Il y a une grande dimension biographique sur votre famille.

Cela correspond à l’idée d’Anne-Hélène Hoog qui est venu m’interroger et me filmer régulièrement. Ces extraits seront d’ailleurs diffusés lors de l’exposition. Cela permet aussi de revenir sur la dimension juive, qui est assez importante me concernant. Bien que je ne sois pas du tout pratiquant.

Vous êtes plutôt un juif tendance Groucho Marx ?

Oui, plutôt. Ou bien Woody Allen.

Peut-être plus Mel Brooks que Woody Allen, pour le côté humour explosif ?

Probablement. Woody Allen est plus intello.

Intello qui est avalé dans son fauteuil par la psychanalyse, tandis que chez vous, la psychanalyse et ses certitudes sont aussi dynamitées que les religions dans les bulles.

Bien que j’aie fait une analyse. Mais chez Woody Allen, cela a mangé son inspiration artistique. Tant mieux d’un certain côté puisque cela lui a permis de devenir une partie inhérente de son oeuvre. Il parle sans arrêt de Freud, mais dans un sens comique.

Les révélations qui vous motivent dans votre voie peuvent venir d’un art voisin. Du cinéma, mais aussi de la chanson. Brassens a joué un grand rôle pour vous ?

Après l’avoir écouté à la radio, j’ai couru acheter son premier disque. Cela date d’avant mon service militaire. Son influence va au-delà du travail, il a marqué ma vie.

Sur la couverture de Rhaa Lovely 2, un petit écolier tire avec son pistolet à eau dans l’oeil d’une représentation austère de Dieu.

Effectivement, tout ce qui est grave, j’ai tendance, comme tous les humoristes, à le tourner en rigolade.

Un style que l’on retrouve dans les dessins de Harvey Kurtzman, qui a marqué toute votre génération.

Je l’ai connu au travers de Mad magazine. En revenant de mon service militaire, j’ai repris ma place chez Vaillant. Tous les gens qui y travaillaient possédaient une curieuse petite revue à côté d’eux. C’est comme ça que j’ai découvert ce magazine. Je suis tombé sous le charme de Mad. Je n’est jamais été très attiré par les bandes dessinées réalistes, à l’exception du dessin. Je préférais la dimension comique, avec un faible pour le trio infernal qui suivait après le chef de file Kurtzman : Bill Elder, Jack Davis et Wallace Wood. Ce dernier étant mon préféré.

Patty Smith déclarait qu’après avoir lu Mad, les drogues n’avaient plus d’effet !

C’était effectivement ce qu’on faisait de plus subversif. Ce qui était impressionnant, c’est le temps que ces gens travaillaient ensemble, la durée de leur collaboration, à l’exception effectivement de Kurtzman qui est parti pour d’autres cieux. On pense aussi à Al Jaffee, Dave Berg ou Mort Drucker et Larry Siegel, lesquels effectuaient pendant des décennies la plupart des caricatures de film du magazine.

 

Il fut d’ailleurs menacé d’un procès par les producteurs de La Guerre des étoiles, qui n’appréciaient pas du tout sa version. Ce à quoi Larry Siegel répondit en envoyant la lettre que lui avait adressée George Lucas, dans laquelle il qualifiait ce pastiche de chef-d’oeuvre… Autre grande rencontre de cette époque pour vous : René Goscinny.

Je commence à travailler à Pilote en 1965. Pilote existait déjà depuis longtemps. En 1959, le magazine avait été créé par le trio Goscinny, Uderzo et Charlier. J’y suis allé avec un dossier de référence pour lui montrer. À ma grande surprise, il l’a tout de suite acheté. J’avais écrit une histoire qui est parue ensuite dans un de mes albums intitulé « Les inédits ». J’ai fait cela chez moi à Asnières. Il s’agit des aventures d’un dessinateur à qui on commande une histoire.

Goscinny était attaché à ce que l’ensemble de l’équipe participe aux réunions de rédaction. Il était très collectif.

Lors d’une de ces réunions, Jacques Lob lui a donné en mains propres le numéro spécial de Planète consacré à la bande dessinée. Ce magazine avait demandé à Goscinny d’en écrire la préface. À cette époque, Astérix commençait à devenir célèbre. Lors de la réunion donc, Goscinny a parcouru Planète, voyant qu’ils avaient démoli Astérix ! C’était toute l’équipe des intellectuels de l’époque qui tournaient autour de la bande dessinée. Ils publiaient une revue qui s’appelait Plexus. Vous connaissez ?

Non.

Tant mieux pour vous. Quand Goscinny a vu cela, il est rentré dans une fureur noire. De voir qu’on lui demandait une préface d’un côté pour ensuite démolir son oeuvre, en prétendant « qu’une page d’Iznogoud valait un album d’Astérix ».

Nous avons récemment interviewé Anne Goscinny pour la publication du Petit Nicolas en yiddish. Elle nous a parlé de la relation très proche que vous aviez avec son père.

Absolument. Nous étions très attachés. Je l’ai un peu considéré comme mon père. Et comme il était un excellent père, on ne devait pas lui demander d’autorisation pour s’émanciper. Lorsque nous avons créé L’Écho des Savanes, il n’a pas du tout aimé le journal, ce que je peux comprendre, et moins encore que je quitte la maison où j’avais vu le jour pour aller ailleurs. Or, à l’époque de nombreux dessinateurs tentaient cette aventure. La plupart se cassaient la gueule. J’ai personnellement eu beaucoup de chance. L’Écho des Savanes est une idée de Mandryka. Il a ensuite demandé à Brétécher et moi de le rejoindre.

Alexis, dont vous étiez aussi très proche, vous a accompagné dans cette aventure.

Je l’ai connu lors de Mai 68. En passant au bureau de Pilote, j’ai remarqué que personne n’était présent. J’y ai vu des pages posées par quelqu’un. J’ai trouvé ça drôlement bien. Et c’est ainsi qu’Alexis intégra l’équipe de Pilote. Il a travaillé partout. Il avait une maestria, une puissance de travail admirable. C’est lui qui devait faire le Transperceneige, qui est sorti sur les écrans. C’était fabuleux. Il était gonflé, Jean-Marc Rochette, de reprendre ces pages !

 

En parlant de film, face au succès des projections Marvel avec Spiderman et les X-Men en particulier, on attend le retour de notre super-héros national : Superdupont !

C’est en cours d’écriture. Je vais d’ailleurs interpréter le rôle principal. Ca devrait sortir en 2015.

Avez-vous rencontré des problèmes avec la censure ?

Jamais ! C’est incroyable, d’ailleurs. À une époque où je faisais les pires cochonneries dans L’Écho des Savanes, sous Giscard, on allait montrer nos travaux à un juriste. Notamment le numéro qui était ignoble, avec des sexes partout. Il a hurlé : « Vous êtes malades ! » On allait les mettre en dépôt nous-même. Et puis vint l’aventure de Fluide glacial.

Une histoire comme God’s Club, qui a 40 ans, ne pourrait certainement pas passer aujourd’hui.

Absolument pas. Pourtant, c’était très innocent. Parce que moi je m’amusais à faire ça. Les grands mythes m’ont toujours inspiré, mais pour déconner avec. Que ce soit des mythes religieux ou des personnages comme Tarzan. J’ai aussi pas mal déconné avec Les Misérables.

Le Petit Prince aussi.

Que je n’ai jamais lu, mais il ne faut pas le répéter. C’est tellement connu, que ce n’est pas la peine de le lire ! Remarquez, je l’ai beaucoup entendu, lu par Gérard Philippe.

Est-ce possible, comme ce fut le cas pour Will Eisner, que vous repreniez les crayons pour préparer d’autres albums ?

J’ai d’ailleurs rencontré Will Eisner à Grenoble, lors d’un festival concurrent à Angoulême. Ils avaient fait les choses en grand, invitant Eisner, Kurtzman et de nombreux autres auteurs. Ils avaient tenté de détrôner Angoulême, sans succès puisque ce festival s’arrêta peu après. Peut-être qu’aujourd’hui un tel festival… Et puis je m’en fous.