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Arts

Le Golem, entre le passé et le futur

Si l’exposition du Mahj consacrée au Golem peut paraître ambitieuse, c’est qu’elle a tout pour l’être. Qu’elle se devait de l’être compte tenu d’un sujet aussi vaste et inspirant. Reportage sur les traces du Maharal de Prague et de son acolyte.

On aurait pu donner le nom d’un livre de Hannah Arendt à l’exposition : Entre le passé et le futur. Car il ne faut négliger aucune inspiration dans les grandes œuvres littéraires et artistiques. Remonter même à Adam qui dialogue avec Dieu et revient sur le moment de sa création, parlant de l’étape où il n’était qu’un Golem (Psaumes 139), c’est-à-dire une masse informe. Pour retrouver ensuite, bien entendu, le célèbre mythe autour du XVIe siècle avec la création d’un Golem par le rabbin Loew. Puis, aller jusqu’en l’an 2019 avec Ridley Scott ou bien encore plus loin en l’an 12000 avec Isaac Asimov.

Le Golem est une masse informe, un embryon donc, une chose à être, chose à naître. Cela désigne aussi par extension l’idiot, celui qui est muet. Un être rudimentaire, incomplet, traditionnellement dépourvu de parole. Avec le Golem, il faut distinguer deux niveaux. Spontanément, on pense à la légende. Mais avant, il y a le domaine religieux et mystique qui est beaucoup moins connu. D’où la volonté du Mahj « de permettre aux visiteurs de se familiariser avec ces deux aspects : la légende et la mystique, comme l’indique la commissaire de l’expo, Ada Ackerman. Étant donné que c’est une figure qui a énormément inspiré les artistes dans tous les champs de la création, on a voulu montrer comment la réception du Golem, le traitement par les artistes, a été extrêmement diversifié. C’est un peu l’axe de l’exposition, avec une insistance sur la manière dont le Golem peut aujourd’hui nous permettre de réfléchir à notre société, au monde actuel et à sa résonance. »

Néanmoins, la source principale du mythe remonte inévitablement au rabbin Loew, célèbre figure de la communauté juive de Prague, surnommé le Maharal. Les juifs s’installèrent dans la ville dès le IXe siècle. Lorsqu’en 850, les Slaves envahirent la Lituanie et la Moscovie, ils en chassèrent les juifs. Ceux-ci demandèrent à être reçus par le prince tchèque Hostivit. Avant sa mort, sa grand-mère, la reine Libuse, avait prédit qu’un peuple viendrait demander sa protection. Hostivit leur accorda un emplacement sur la rive gauche de la Moldau. Cinquante ans plus tard, les juifs s’installèrent sur la rive droite. Le long des siècles, les juifs alternèrent entre prospérité pacifique, attaques violentes sur leurs quartiers et expulsions. Parmi ces attaques, celle de la secte prosélyte Geisler, expulsée par le roi Vladislav en 1150 mais qui, avant de quitter le pays, voulut s’en prendre aux juifs. Les bouchers du quartier se rassemblèrent aussitôt et les chassèrent jusqu’aux portes de la ville. En récompense, Vladislav autorisa les bouchers juifs à orner leurs armes du lion de Bohême.

L’époque du Maharal

Les juifs connurent leur âge d’or au XVIe siècle, l’époque du Maharal, le Grand rabbin de Prague. Il est enterré dans le vieux cimetière juif de Josefov. Les stèles sont si collées les unes aux autres qu’on a l’impression que les gens sont enterrés à la verticale. Le cimetière se trouve entouré des principales synagogues de la vieille ville, dont la synagogue Vieille-nouvelle (appelée ainsi car elle avait été construite en 931 avec des pierres de la précédente), une des plus anciennes encore debout. Celle-ci abrite, selon la légende, le corps du Golem dans sa guenizah.

Un peu plus loin, la synagogue Meisel accueille de nombreux objets des différentes époques de la vie juive de Prague. Et aussi une très belle statue du Maharal, dont une réplique a été posée sur la mairie. Cette synagogue porte le nom d’un homme pauvre qui devint une des grandes figures de la communauté. Il fit paver les rues sales de la ville, construisit la mairie. Deux synagogues, une université et son école sont aussi le fruit de sa générosité. Celle d’un homme simple et modeste dont on disait à la synagogue qu’il n’avait pas de siège à son nom.

En se promenant dans Prague, on distingue d’ailleurs cette fonction évolutive des synagogues en musées et lieux de mémoire. Car si en 1708 les juifs représentaient 25 % de la population, ils ne sont plus aujourd’hui que 1 500. Et pas plus de 4 000 dans toute la Tchéquie. Les synagogues sont restaurées et partagées fièrement par les Tchèques en tant que patrimoine. Parmi les nombreuses statues du Christ dans la ville, la célèbre qui se trouve sur le pont St Charles arbore de nombreuses lettres hébraïques.

Alors que les Tchèques sont probablement les plus athées d’Europe. Paradoxe harmonieux, comme l’architecture de Prague où les immeubles de styles et époques différentes cohabitent, colorés comme à Rome dans tous les pas- tels imaginables. Il y a environ 200 synagogues aujourd’hui dans le pays. 60 ont été détruites par les nazis et 90 ensuite par les communistes. 4 500 églises ont également été détruites ou endommagées par les communistes.

Autre lieu de Prague où le passé lointain et le passé proche se rencontrent : la synagogue Pinkas. Elle sert aujourd’hui de Mémorial de la Shoah. Avec les noms des victimes sur les murs et les dessins des enfants de Terezin. Friedl Dicker-Brandeis, peintre formé par le Bauhaus, organisa des classes clandestines dans le camp de détention de Terezin. 15 000 enfants juifs y transitèrent. La plupart y étudiaient clandestinement, dans de terribles conditions. Écrivains, musiciens, comédiens, donnèrent des cours et même des représentations. Les dessins des enfants évoquent le début de l’occupation allemande, leur transport dans le camp, la vie de tous les jours dans cette situation difficile et aussi, malgré tout, leurs espoirs de départ et d’une meilleure (sur)vie.

Avant d’être déporté à Auschwitz, Friedl Dicker-Brandeis cacha deux valises contenant 4 500 dessins. Ils furent retrouvés après la guerre. 90 % de ces enfants furent tués, la plupart à Auschwitz. Ilan Ramon, le premier astronaute israélien, avait pris avec lui certains de ces dessins. Durant la Shoah, 263 000 juifs furent tués dans la région.

Lorsque la mort rôde, lorsque les foules sont appelées au clairon, lorsque la source de leur malheur identitaire, social, économique, sportif ou météorologique est identifiée, les murs de protection tombent vite. Le suzerain vaque à d’autres occupations lorsqu’il n’a pas « le courage » de porter lui-même les coups, s’adonnant à la chasse aux animaux, et laissant la meute agir telle une tribune de supporters en direction de la cible identifiable. Et dans ce cas, les hommes courageux prennent leur destin entre leurs mains. N’attendent pas d’interprétation divine, mais s’en dotent.

Créer la vie

Il est d’ailleurs très intéressant de noter que celui qui eut l’audace de créer la vie n’est pas un scientifique mais un rabbin ! Un homme de foi qui se tenait debout au milieu de la route pour attendre, sous les jets de projectiles de la foule, le carrosse du roi afin de lui demander audience. Lors de celle-ci, Rodolphe II exigea que les juifs soient protégés de la menace de plus en plus pressante d’attaques violentes. Ce fut ensuite les conseillers du roi que Loew dut affronter. Ceux-ci encouragèrent le roi à chasser les juifs.

En 1580, le chef religieux Taddäus accusa les juifs de meurtres rituels. La légende veut que le rabbin Loew s’adressa alors aux cieux pour demander comment il pourrait empêcher les massacres. Dieu lui donna ensuite en rêve les instructions pour construire un Golem. Loew et ses assistants partirent prendre de l’argile sur la rive droite de la Moldau. Le Golem fut façonné et animé à l’aide des trois autres éléments : le feu, l’eau et l’air. Loew introduisit dans sa bouche un parchemin avec le nom de Dieu. Lorsqu’il s’éveilla, le rabbin Loew lui donna le nom de Joseph et la mission de protéger les juifs.

Avec une telle mission, le Golem se doit d’être rassurant. Sa stature colossale ne fait pas peur, elle dissuade les ennemis et rassure les personnes menacées. Les films qui l’ont immortalisé au cinéma, à savoir Le Golem (1920) de Paul Wegener et Le Golem (1936) de Julien Duvivier montrent bien cela. En particulier celui de Wegener, où le Golem est un être immense, créé par Loew pour protéger les juifs suite au décret du roi de quitter la ville. L’astrologie prend ici une grande part dans les décisions des protagonistes, comme le fera l’amour qui encouragera l’assistant de Loew à manipuler le Golem afin qu’il se débarrasse du messager du roi qui vit une idylle avec la fille du rabbin. Une enfant abandonnée viendra désarmer le Golem et mettre fin au carnage.

Le film de Duvivier se concentre autour des intrigues de palais où les proches du roi tentent de le manipuler et d’utiliser le Golem à leurs fins en torturant le rabbin Jacob, l’héritier de Loew. Rachel, par son courage et sa force, sauvera le peuple juif. À noter la présence d’Harry Baur dans le rôle du roi et celle de Marcel Dalio interprétant un rabbin proche de Jacob, et sa femme Jany Holt dans le rôle de Rachel.

Le Golem n’est pas un simple ancêtre du robot, un mot tchèque d’ailleurs. Comme l’indique Ada Ackerman, « le Golem possède des caractéristiques conflictuelles, contradictoires. Ainsi, on peut le comprendre de manière très variée. Le Golem est un être hors catégories. Il vient défier ces catégories. Un être intermédiaire entre l’humain et le non humain. N’ayant pas de sexe, il n’est ni homme ni femme. C’est un monstre tout en étant un miracle. Un être artificiel qui s’anime grâce à la mention Vérité. »

Cet être qui comporte de nombreuses contradictions, se popularise au XXe siècle grâce aux personnages de bande dessinée Marvel. Ils sont effectivement plusieurs à posséder ses caractéristiques. Stan Lee et Jack Kirby, les fondateurs de Marvel, comme ceux qui créèrent Superman un peu plus tôt, imaginèrent des êtres puissants capables de braver les menaces, tout en gérant mal leurs émotions et le « retour à la normale ». Suite à la Seconde Guerre mondiale, les révélations sur le manque de volonté de la plupart des États pour sauver les juifs troublèrent la jeune génération d’artistes et écrivains américains. D’où cette double volonté de profiter de ce que la vie peut offrir et de lutter contre les menaces potentielles. De trouver des solutions pour les affronter. Ainsi, Marvel donna naissance à de nombreuses figures incarnant le Golem, les plus connues étant Hulk et la Chose. Chacun, à sa manière, se rapproche du mythe.

Robert Bruce Banner, qui a un père alcoolique, replié sur lui-même, se consacre aux études scientifiques. Engagé par l’armée, il participe au développement des rayons gamma. Tentant de sauver le jeune Rick Jones qui se trouve dans la zone de test, Banner est foudroyé par les rayons. Ainsi, il se transforme en mastodonte vert, d’abord la nuit, puis de manière incontrôlée lorsqu’il est en souffrance. La plupart du temps, il sera muet ou doté d’expressions primaires. Hulk deviendra l’humain possédant le plus de force du monde Marvel, laquelle s’avérera souvent incontrôlable. Un homme sera chargé de le contrôler, le Dr Samson, aux cheveux longs et à la force surhumaine, lui-même frappé par les rayons gamma. Une référence directe au personnage biblique. Un surhomme protégeant les hommes d’un surhomme.

 

Toutes les facettes

L’autre personnage proche du Golem est Benjamin Jacob Grimm, alias la Chose. Gamin du quartier difficile du Lower East Side de New York, il a, lui aussi, un père alcoolique et trouve en son frère Daniel, chef du gang de Yancy street, une figure paternelle. Le personnage de Ben Grimm est calqué sur la vie de son créateur, Jack Kirby. Lorsque Daniel est tué, Ben est placé chez son oncle et sa tante. Il se réfugie dans les études et devient pilote. Lors d’un vol spatial, Ben est heurté par des rayons cosmiques avec les trois autres passagers. Chacun développera ainsi un pouvoir et ils deviendront les Quatre fantastiques. L’homme élastique, la femme invisible, la torche humaine et enfin la Chose, un mastodonte de pierre. Contrairement à Hulk, les Quatre fantastiques ne seront pas perçus par l’humanité comme une menace et seront même la première équipe Marvel protégeant la Terre, en relation avec le gouvernement. Hulk et la Chose s’affronteront régulièrement. Ben Grimm reviendra plusieurs fois dans le quartier de son enfance et évoquera son judaïsme et son image de Golem dans un de ces épisodes (Fantastic Four, no 56, vol 3).

« Le Golem peut symboliser le côté monstrueux qui se trouve en nous. Ça peut être la part d’inconscient, de pulsion. Quelque chose de très bien exploré par Meyrink », affirme Ada Ackerman. Toutes les facettes du Golem, ses inspirations anciennes, ses différentes révélations sur nous-même et l’état du monde, les matériaux et arts qui se tutoient pour l’enfanter encore et encore… tout ça permet de dire que l’expo organisée au Mahj fera date. Parmi les œuvres surprenantes, Ragman, constitué de bouts d’étoffes cousus. Des œuvres d’artistes qui se représentent eux-mêmes en Golem, comme Joachim Seinfeld. Charles Simonds qui recrée le rituel de la naissance, dressant un parallèle entre Adam et le Golem. Un Golem divin d’Edoardo Kac côtoyant à quelques œuvres de là le Golem diabolique de Garouste. Mais comme disait un écrivain célèbre de Prague dans son Journal, Franz Kafka : chacun, à sa manière, peut y « goûter le Golem ».

Une des plus belles pièces de l’expo du Mahj est sans doute Maria, le robot du film Metropolis (1926) de Fritz Lang. Le robot est un Golem au féminin, futuriste. Lang en fit une femme si forte, qu’aucun homme drapé d’une prétention quelconque n’aurait pu la menacer. Cette image m’avait été révélée par Philippine Lambert. Cette genevoise avait alors 14 ans et estimait que Metropolis était son film préféré. Pour des raisons cinématographiques, mais aussi pour la réponse féminine qu’incarnait Maria. Un robot protecteur face aux crimes dont avait été victime Philippine et qui devenaient de plus en plus douloureux à supporter.

Philippine avait été victime d’abus sexuels, de 11 à 14 ans, par un proche de la famille. À cela s’ajoutaient les menaces et la mise en condition par l’agresseur, qui empêchent d’exprimer cette douleur pendant des années. Alors on se cherche des images fortes, qu’on partage lors de discussions sur le cinéma, en rêvant discrètement d’un Golem qui permettrait de mettre fin à l’horreur. Philippine réussit enfin à libérer complètement sa parole à l’âge de 20 ans. Philippine ne créa pas de robot, mais le procès qu’elle décida d’engager permit aux lois suisses d’évoluer, notamment concernant la prescription de ces crimes. Ainsi, Philippine, même si ce fut finalement trop dur pour elle à supporter, protégea par son action en justice d’autres jeunes filles susceptibles d’être victimes d’abus sexuels.

De nombreux films s’inspirent de Metropolis et traitent de mythes proches du Golem. L’âge d’or des films de science-fiction se situe entre 1968 (2001) et 1982 (Blade Runner) lorsque le talent d’anticipation rencontra l’arrivée d’effets spéciaux de qualité. Avant que Star Wars ne disneyise totalement le genre. Des oeuvres qui mêlent visions apocalyptiques et poétiques. Dans Rollerball (1976), Jonathan, le sportif incarné par James Caan, semble invincible et devient l’espoir des supporters, même des équipes adverses. Le sport violent où il triomphe devait protéger les dirigeants du monde en canalisant les frustrations, mais Jonathan devient le champion du libre arbitre, protégeant le peuple contre les dirigeants.

Le personnage de Roy Batty incarné par Rutger Hauer dans Blade Runner est un androïde qui se retourne aussi contre son créateur. Il rentre chez lui pour obtenir de force un prolongement de vie. Il s’avérera être le sauveur et le révélateur du policier implacable qui le traque, incarné par Harrison Ford. Dans le film, on découvre aussi Rachael (jouée par Sean Young), présence imposante, en tenue sombre d’où se distingue un long cou menant à un visage de noble russe. Elle accueille les visiteurs de la Tyrell Corporation, entreprise créant des androïdes esclaves. Eldon Tyrell demande à l’inspecteur Deckard, chargé de retrouver des androïdes renégats, de tester Rachael avec sa machine qui lui permet de les identifier.

L’inspecteur est troublé. Il déduit, suite à un examen rigoureux que Rachael est un androïde mais aussi qu’elle n’en est pas consciente. Deckard accueille Rachael chez lui et pianote avec ses mains son long cou, la force maladroitement à distinguer rêves et réalité. Viennent alors les questions de conscience, celles qui peuvent naître chez l’androïde Rachael théoriquement dépourvu de cette capacité, mais aussi chez Deckard qui réalisera qu’il en est un également. Dans la dialectique charnelle avec Rachael et celle martiale puis spirituelle avec son « ennemi » Roy, Deckard atteindra un niveau de conscience métaphysique.

Dans la même veine, le robot de Silent Running (1972) est programmé par Freeman Lowell pour s’occuper d’une serre dans un vaisseau à l’abri des humains qui souhaitent détruire toute trace de vie végétale, estimée futile. En l’an 12000, dans l’empire galactique décadent de Fondation d’Isaac Asimov, Hari Seldon a un plan pour permettre de limiter le chaos. Une science qui permet de prendre les bonnes décisions qui limiteront la catastrophe de 30 000 à 1 000 ans. Ceux qui le protègent sont un journaliste et une enseignante de l’Université où il se réfugie. Celle-ci devient sa compagne et s’avère être un robot. Le journaliste est en vérité le Premier ministre qui tente de freiner la décadence de l’empire, et en réalité un robot préservant l’humanité d’elle-même.

L’expo du Mahj explore de nombreuses thématiques futuristes, nous aidant à nous questionner sur l’idée que le robot deviendra peut-être le seul espoir de l’humanité contre sa folie destructrice, son inhumanité.