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Littérature

Deux voix pour les juifs de France

Une rencontre inédite entre Alain Finkielkraut et Bernard-Henri Lévy a eu lieu le 19 mars 2017, dans le cadre du Colloque des intellectuels juifs de langue française organisé à Paris sous l’égide de la Fondation du judaïsme français.

Il s’agit d’un dialogue à deux voix, réunies pour la première fois seules, en débat, se répondant pourtant à distance depuis des années, sur les enjeux de notre temps, au coeur des sujets brûlants d’actualité d’une période sombre, brouillée, intrigante et angoissante, mais aussi au coeur de débats presque éternels sur une façon ou l’autre de concevoir et de penser le monde.

Deux repères, à la fois si proches et lointains, les deux clés d’une équation à dépasser, à l’aune des bouleversements qui se font ressentir, ici et maintenant,  quant au devenir de nous-mêmes, à l’heure des tentations de repli surgissant aux quatre coins de l’Europe et outre-atlantique, à l’heure des radicalité montantes, des passages à l’acte extrêmes et dévastateurs et du vide laissé par certains de nos renoncements.

A l’invitation lancée sur le vif d’Alain Finkielkraut, à parler à la première personne à l’occasion de ce rendez-vous sur le thème des “inépuisables identités”, et en ouverture de ces deux journées de réflexions consacrées à penser la violence dans toutes ses formes d’expression, c’est dans un registre mêlant philosophie et intime, que BHL a répondu et que la grande discussion s’est tenue. Il fut question identités synonymes d’inquiétudes, menacées ou figées pour les uns, libres, battantes, ou à la complexité enthousiasmante pour les autres.

Il fut aussi question de la résurgence de l’antisémitisme, de l’histoire des idées, de nos drames, de nos mythes fondateurs et de nos penseurs et passeurs.

En réponse à cette injonction d’identité contemporaine, BHL a retracé, prenant appui sur son parcours, sa propre odyssée personnelle en écho différencié à celle, d’Alain Finkielkraut, son chemin philosophique porté par l’héritage universel d’un judaïsme pensé avec l’autre, avec un grand A, donc concernant nécessairement le grand ensemble. C’est avec jubilation que ces souvenirs personnels se sont mués en délicieuse relectures de textes ou redécouvertes des aventures de l’histoire de la pensée grecque et juive, jusqu’à nos jours et nos oeuvres littéraires, soit la “francité” et notre langue française disséquées avec passion.

D’un retour au judaïsme comme impératif philosophique, de ces rencontres au sommet sur les remparts de Jérusalem, de la bataille de Monte Cassino aux nouveaux philosophes, des échecs d’Albert Cohen aux conversations d’anthologie avec Emmanuel Lévinas, de l’exégèse de Rachi à la nuit de Kippour de Rosenzweig, la question de l’articulation intrinsèque de la « France et du Judaïsme » est livrée en partage, telle une grille de lecture généreuse pour ceux, et ils sont nombreux, qui peuvent un jour éprouver, traverser, ou encore désirer se retrouver sur ce même chemin. La France ou le Judaïsme ? Une récit de logique philosophique. L’un sans l’autre, ou non ? Résolument non pour Bernard-Henri Lévy, égrenant ses arguments sur la base magnifique, choisie volontairement ou non, de l’injonction biblique « Zakhor! », support du déploiement de sa réflexion, philosophique, politique et littéraire, quant au pourquoi du comment de son combat, de son oeuvre et de ses convictions profondes, et donc, de son geste.

La France, à quelques conditions impérieuses, est bien une promesse absolue, le lieu de l’expression d’identités, si ces dernières ne mènent pas à l’exclusion, “paradoxales, fracturées, ou tragiques” mais si belles. Et c’est bien cette promesse et ce rêve, issus de l’histoire des idées, et non les discours identitaires fermés qu’il nous faut chérir et protéger. Au delà des petites anecdotes d’actualités montées en épingles par les réseaux sociaux, il nous reste, semble vouloir aussi nous confier Bernard-Henri Lévy, un espace gigantesque de dépassement de soi, d’espoir et de progrès, d’une modernité incroyable, à savoir Le livre, les livres, notre histoire et la littérature.

Aline Le Bail-Kremer