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Autriche, Allemagne, les leçons des scrutins

L’Arche : Dans votre livre pour écrivez que l’Autriche a entamé son travail de mémoire avec beaucoup de retard. Selon vous, y a-t-il un lien avec le succès croissant de l’extrême droite dans ce pays?

Géraldine Schwarze : Le FPÖ est avec le Front national l’un des partis d’extrême droite les plus puissants d’Europe. Or c’est une formation qui n’a jamais clairement renié le passé nazi de l’Autriche. Nombre de ses cadres et de ses élus, y compris son président, Heinz-Christian Strache, côtoient ou ont côtoyé des groupes néonazis et des négationnistes et certains entretiennent une nostalgie à peine voilée du national-socialisme…. Tout cela est connu des Autrichiens, cela ne les empêche pas d’être de plus en plus nombreux à voter pour ce parti, 27% aux élections du 15 octobre. Comme je le décris dans mon livre, l’une des raisons principales est que pendant près d’un demi-siècle, les Autrichiens ont vécu dans un mensonge complet, celui d’avoir été des « victimes du Reich », d’avoir été envahis : ils l’ont même inscrit tel quel dans leur déclaration d’indépendance du Reich en 1945. En réalité, l’annexion de l’Autriche par Adolf Hitler avait été désirée par la majorité des Autrichiens, qui dans la rue se montrèrent d’ailleurs d’une violence bestiale avec les juifs, comme cela ne s’était jamais vu en Allemagne. Par ailleurs nombreux furent les Autrichiens qui rejoignirent les SS et le personnel d’encadrement des camps où ils étaient surreprésentés par rapport aux Allemands.

C’est seulement en 1991 que pour la première fois un chancelier autrichien reconnut la responsabilité de ses citoyens dans les crimes nazis. La participation des Autrichiens à la Shoah et à la guerre fut inscrite au programme scolaire et d’autres mesures s’ensuivirent. Mais il semblent qu’elles soit arrivées trop tard après 45 ans de désert de réflexion sur le passé nazi.

 

Quelle est votre lecture de la montée du parti AfD en Allemagne?

Après la percée de l’extrême droite aux élections allemandes le 24 septembre, j’ai entendu de nombreux commentateurs en France parler de « normalisation » de l’Allemagne, dans le sens où ce pays aurait simplement fini par rejoindre la tendance générale en Europe après avoir été l’un des seuls à résister au populisme. En fait cette percée est un véritable séisme, mais pour le saisir il faut l’inscrire dans une perspective historique, celle du long travail de mémoire réalisé par l’Allemagne depuis l’après-guerre et que je retrace dans mon livre Les Amnésiques. Le parti AfD symbolise une césure historique parce qu’il réclame une fin de ce travail, voire même une réhabilitation de certaines pages sombres du passé allemand. Or s’attaquer au travail de mémoire en Allemagne, c’est s’attaquer à l’identité du pays, aux fondations de sa démocratie. Car si la démocratie allemande est à bien des égards si exemplaire comparé notamment à la France ou à l’Italie, c’est justement parce que les citoyens ont été responsabilisés par rapport à ce passé et ont pris conscience du pouvoir bénéfique ou néfaste que pouvait avoir leur acte, leur vote, s’il était imité par des millions de personnes. Ainsi en dénigrant le travail de mémoire et en jouant sur les émotions, indirectement l’AfD menace ce sens du devoir qu’ont les citoyens Allemands de suivre leur raison et se méfier des émotions.

 

 

Vous dites dans votre livre Les amnésiques qu’Angela Merkel est parvenue à convaincre que sa politique vis à vis des migrants était la bonne. Etes-vous toujours de cet avis après les élections ?

Je ne pense pas que la chancelière a « convaincu », mais qu’elle a réussi un tour de force impressionnant : ouvrir la frontière à un million de réfugiés sans déclencher un raz-de-marée de l’extrême droite. Je ne préfère pas imaginer quel aurait été le score du Front National aux dernières présidentielles françaises si la France avait fait entrer un million de réfugiés… Néanmoins Merkel a fait des erreurs. Même si l’urgence du moment et la lâcheté de nombreux autres pays européens ne lui laissèrent d’autre choix que d’ouvrir ses frontières au début du mois de septembre 2015, pour la prolongation de cette politique elle aurait dû demander l’aval du Bundestag. Cela aurait ouvert le débat et permis aux peurs de s’exprimer. Même si elle a ensuite reculé et durci ses positions, elle paie aujourd’hui pour son attitude de cavalier seul. Elle a perdu beaucoup d’électeurs à l’Ouest qui ont voté l’AfD davantage par protestation que par conviction. A l’Ouest, le travail de mémoire reste tout de même un rempart efficace contre l’extrême droite, qui n’a eu que 6,2% des voix aux élections régionales de Basse-Saxe le 15 octobre. En revanche à l’Est, le vote AfD, qui est deux fois plus élevé qu’à l’Ouest alors que le niveau de vie y est désormais assez similaire, exprime un malaise autrement plus profond, celui d’une xénophobie ancrée et d’une grave vulnérabilité au populisme. Dans mon livre j’explique que c’est en partie la conséquence de l’absence de travail de mémoire en RDA, laquelle refusa d’assumer la responsabilité des crimes du Reich et donc de responsabiliser ses propres citoyens. C’est aussi le résultat de quarante ans d’un régime communiste où les populations vivaient en vase clos, coupées du monde, endoctrinées par la pensée unique et nourrissant une vision des étrangers chargée de clichés et de peurs. Dans l’ensemble de l’Europe de l’Est, les régimes communistes, en abolissant la pensée et la diversité, ont préparé le terrain à cette renaissance inquiétante des idées fascistes.

Géraldine Schwarz est l’auteur de « Les Amnésiques » chez Flammarion. Elle signera son livre le 23 novembre à la librairie Lafriche à Paris.