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Littérature

Le postillon du diable

La disparition de Joseph Mengele vue par Olivier Guez, Prix Renaudot 2017

Qui est donc cet Helmut Gregor qui le 22 juin 1949 arrive à Buenos Aires ? Capitaine de la SS, il s’est noyé dans la Wehrmacht pour échapper à l’Armée Rouge et a été libéré après quelques semaines de camp américain. Possesseur de faux papiers impeccables, il passe en Italie sans problème puis par l’immigration argentine. Malgré l’absence de sa femme, Irène, qui a refusé de le suivre, l’exil de cet homme encore jeune débute sous de bons auspices : l’Argentine, ce pays où le passé n’existe pas, tend les bras à celui que l’on connaît en Europe sous son sinistre nom, celui du si redouté à Auschwitz, Docteur Joseph Mengele.

Olivier Guez, l’auteur entre autres de « L’impossible retour, une histoire des juifs en Allemagne depuis 1945 », a pris à bras-le-corps le sujet de la cavale du criminel le plus recherché de l’Histoire après Eichmann. Dans ce roman vrai ultra-documenté, il nous entraîne dans l’Argentine péroniste, tête de pont de l’Allemagne nazie pendant la guerre qui ouvre ses portes à des milliers de criminels de guerre. Ceux-ci vivent bien, au sein de la « nazi society » et l’on se retrouve entre soi pour parler du Fuhrer, du rêve d ‘un Quatrième Reich et d’une possible troisième guerre mondiale.

Mengele, ce gardien de la pureté de la race, cet alchimiste de l’homme nouveau, y trouvera une place privilégiée, parmi des femmes vénales, un dictateur d’opérette et quelques amis fascistes, même si chacun doit ignorer quel a été son véritable rôle dans les camps. Mengele s’autorisera à pratiquer des avortements clandestins pour les filles de bonnes familles argentines et s’offrira le culot de revenir en Allemagne, sous une identité déguisée. Incroyable loupé de l’Allemagne de l’Ouest : l’homme a un accident de voiture, s’énerve, est même arrêté mais s’en sort grâce à son père !

Cernant son personnage au plus près, Guez nous fait partager les débuts de la traque : les premières plaintes arrivent en 1958, le criminel doit rejoindre le Paraguay, encore moins regardant, puis le Brésil. Le Mossad, sur ses traces, ne le lâchera plus. Errance de planque en planque, liens toujours aussi fidèles avec sa famille restée en Allemagne, absence totale de remords, le boucher d’Auschwitz, représente le mal absolu :responsable de la mort de 40 000 personnes, dont des enfants, à la chambre à gaz, et comme le rappelle l’auteur, grand organisateur d’expériences monstrueuses sur les jumeaux, les nains, les bébés. On aurait sans doute pu l’attraper mais le Mossad, après Eichmann, a d’autres priorités, les Etats s’ empêtrent dans la Real Politik et l’enquête s’enlise…

Comment le médecin SS a-t-il pu ainsi échapper à tous les chasseurs de nazis ? Avec maestria et un sens de l’analyse fine, l’auteur démonte le mythe du meurtrier insaisissable pour nous faire partager le quotidien d’un homme rongé par la peur, d’un postillon du Diable comme on l’a surnommé, homme fini dès 1967 car il ne comprend plus rien à son époque et doit compter sur le sens du devoir nazi de quelques uns, de plus en plus rares, pour le protéger encore. C’est un Mengele minable qui finit sa vie noyé sur une plage brésilienne en 1979. D’après les rumeurs, il serait mort sept fois avant sa véritable mort et les fantasmes autour de lui vont bon train.

En s’approchant toujours plus prés du gouffre et en posant les bonnes questions, dont celle-ci : comment punir ceux qui ont renié leur humanité, Olivier Guez, qui a reçu le prix allemand du meilleur scénario pour l’excellent film Fritz Bauer prouve qu’il est un fin connaisseur de la période, allié à un journaliste littéraire exigeant. Son enquête au cœur des ténèbres sur « un homme sans scrupules à l’âme verrouillée que percute une idéologie venimeuse et mortifère » mérite une lecture attentive. !

Olivier Guez, La disparition de Josef Mengele. Editions Grasset.