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Antisémitisme

Et si la vérité était en marche ?

En ce début de 2018, la vérité est-elle de nouveau en marche en France, 120 ans après le « J’accuse » de Zola ?

 

Il y a plus d’un siècle, le 13 janvier 1898, Zola lança son célèbre « J’accuse » qu’il conclut par : « La vérité est en marche et rien ne l’arrêtera. » Léon Blum, dans Souvenirs sur l’Affaire, paraphrasant Hugo, écrivit à propos de cette publication : « L’espoir changea de camp, le combat changea d’âme. » Après quatre ans d’erreur judiciaire, ce « J’accuse », mit en branle la réhabilitation du Capitaine Dreyfus, puis commença aussi à faire reculer la parole antisémite en France. Un siècle sépare l’Affaire Dreyfus, et sa poussée de fièvre antisémite lors de l’année 1898, du début d’une nouvelle hystérie antisémite en France depuis les années 2000.

Une date marque cette nouvelle vague, c’est celle du 7 octobre 2000. Ce jour-là, dans les rues de Paris, des manifestants crient haut et fort « Mort aux Juifs » et brûlent des drapeaux frappés de l’étoile de David. Ce jour-là, un petit cercle de militants contre l’antisémitisme est abasourdi, non de ces cris, mais du silence, des dénis politiques et médiatiques de ces premiers signes annonciateurs des crimes à venir. La dépêche AFP couvrant cette manifestation occulte ces appels au meurtre des Juifs. Un député de Paris, bien seul et courageux, Laurent Dominati, essaie d’interpeller le chef du Gouvernement, Lionel Jospin, à l’Assemblée. Sa question est retirée.

Une nouvelle vague d’antisémitisme, comme la France n’en avait pas connue depuis les années 30, se répand alors comme une traînée de poudre. C’est le noir cortège des insultes, des menaces, des dégradations, des agressions physiques et même des meurtres de Juifs car Juifs. Oui, depuis Ilan Halimi en 2006, jusqu’à Sarah Halimi en 2017, 10 assassinats de Juifs en France car Juifs, dont trois très jeunes enfants. Crimes qui n’ont eu aucun équivalent en France depuis la guerre et qui rappellent hélas les meurtres de Juifs en Algérie pendant l’Affaire Dreyfus.

Face à la renaissance de ce fléau, que s’est-il donc passé en France depuis l’an 2000 ?

Il y eut le silence, puis la dénégation et enfin la minimisation des actes. « Vous exagérez », « Les journaux n’en parlent pas, vous affabulez », ou encore l’inévitable « avec tout ce qu’on voit à la télé contre les Palestiniens ». Pendant une décennie, il y eut cette impossibilité de nommer ce mal : « La haine des Juifs » et son cortège de violence. Il y eut surtout l’impossibilité de nommer l’agresseur, en majorité des jeunes musulmans désœuvrés et radicalisés par des mosquées salafistes, des chaînes satellitaires, Al Jazeera en premier, puis par les réseaux sociaux. La classe politique dans sa très grande majorité s’est tue, a nié, a couvert. Les grands médias se sont tus.

Le silence fut fracassant. Ce silence cachait le crime, par complaisance, par lâcheté, mais aussi par ignorance et par incompréhension. Pour ces aveugles, voire ces complices, les antisémites devaient arborer des chemises brunes, marcher au pas et crier des slogans nazis. Ils ne pouvaient être de jeunes arabes ou de jeunes noirs français eux-mêmes victimes du racisme en France.

Et puis, comme en ce 13 janvier 1898, il y a depuis quelques semaines comme un frémissement de prise de conscience de la part des grands médias. La vérité serait-elle enfin en marche ?

La vérité n’était pas en marche, en ce soir du 19 mars 2012, où nous nous trouvâmes, nous Français juifs, bien seuls à défiler sur les grands boulevards après les assassinats antisémites de l’école Ozar Hatorah de Toulouse. Puis vinrent les crimes contre Charlie et l’Hypercacher. Et en ce 13 janvier 2015, oui encore un 13 janvier comme Zola et Clemenceau, Manuel Valls, Premier ministre de la France, monta à la Tribune de l’Assemblée et déclara : « L’histoire nous l’a montré, le réveil de l’antisémitisme, c’est le symptôme d’une crise de la démocratie, d’une crise de la République. C’est pour cela qu’il faut y répondre avec force. Après Ilan Halimi, en 2006, après les crimes de Toulouse, les actes antisémites connaissent en France une progression insupportable. Il y a les paroles, les insultes, les gestes, les attaques ignobles, comme à Créteil il y a quelques semaines qui, je l’ai rappelé ici dans cet hémicycle, n’ont pas soulevé l’indignation qui était attendue par nos compatriotes juifs dans le pays ». Et de rajouter : « Comment peut-on accepter que l’on puisse entendre dans nos rues crier « mort aux juifs » ? Comment peut-on accepter les actes que je viens de rappeler ? Comment peut-on accepter que des Français soient assassinés parce qu’ils sont juifs ? »

Zola, Clemenceau, Jaurès trouvaient, ce jour-là, leur digne successeur. Un 13 janvier, encore. Mais passé ce moment d’émotion pour les martyrs, la couverture médiatique retomba.

Un nouveau meurtre antisémite eut lieu en avril 2017, celui de Sarah Halimi. Il fut traité par l’indifférence, le déni et la gêne en cette période d’élections.

La révolte de Manuel Valls de janvier 2015 n’aura-t-il été qu’un cri à quoi répond l’écho froid du silence ?

Comme toujours en France, il faut du temps pour que la Vérité fasse entendre sa voix, mais cette voix se fait entendre. Le Monde, oui Le Monde, ce journal qui dirigé par Edwy Plenel fut le champion du déni du nouvel antisémitisme, titra en première page et en très grand, le 3 novembre 2017 : « En France, un antisémitisme du quotidien ». L’Obs avait déjà lui titré en 2012 en couverture : « Antisémitisme, ce qu’on ne veut pas dire ». L’Express, en septembre 2017, écrivait lui : « Antisémitisme, le nouveau malaise des Français juifs. » Enfin Marianne, oui le courageux magazine Marianne, qui grâce à Martine Gozlan tint depuis 17 ans un langage de vérité, évoque « La France malade de l’antisémitisme ? » avec une interview très lucide de Manuel Valls, au titre révélateur : « Antisémitisme : le « J’accuse » de Manuel Valls ». La plus ancienne revue intellectuelle française, La Revue des Deux Mondes, consacre ce mois-ci un numéro spécial au titre évocateur : « Être juif en France, des origines à nos jours + le nouvel antisémitisme ». Et Valérie Toranian, sa directrice de la rédaction, de débuter son éditorial par cette belle question posée par Sartre dans Réflexions sur la question juive, en 1946 : « Le démocrate a fort à faire : il s’occupe du juif quand il en a le loisir ; l’antisémite n’a qu’un seul ennemi, il peut y penser tout le temps ; c’est lui qui donne le ton. »

Puis les reportages se multiplièrent sur les radios, les télés nationales, sur France 2 et sur LCI. Mais surtout à l’Assemblée nationale, le 8 novembre, un Premier ministre, issu des Républicains, a rendu hommage à un Premier ministre issu des socialistes, Manuel Valls, pour son engagement dans la lutte contre l’antisémitisme : « Je voudrais rendre hommage à Monsieur Manuel Valls, qui sur ce sujet a été d’une très grande clarté et d’une très grande résolution. Cette diminution des actes antisémites (depuis 2 à 3 ans) est également à porter à son crédit. » Édouard Philippe n’a pas le temps de finir sa phrase que les premiers applaudissements de députés retentissent suivis rapidement par ceux de la très grande majorité de la représentation nationale.

Ainsi, pour paraphraser le grand Zola à la fin de son héroïque « J’accuse », je dirai donc, dans ce combat sans cesse renouvelé contre les antisémites, avec l’espérance lucide d’un combattant infatigable contre ce fléau : « La vérité est en marche et rien ne l’arrêtera. »