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Littérature

Les défis d’Elias Canetti

Prix Nobel de littérature en 1981, Elias Canetti est l’auteur de mémoires, La langue sauvée, du roman Auto-da-fé et de l’étude, Masse et puissance. Si ses études sur l’individu confronté aux manifestations les plus brutes du pouvoir sont vertigineuses, c’est en fait la mort qui l’obsédait.

Juif bulgare de langue allemande, né en 1905, ayant vécu de par l’Europe puis à Vienne fuie pour l’Angleterre juste après l’Anschluss. De 1942 à sa disparition en 1994, Canetti n’a cessé de prendre des notes pour un projet de Livre contre la mort. Ces écrits ont été rassemblés et classés année par année dans un volume posthume où ses aphorismes et un certain esprit viennois côtoient des imprécations contre Dieu, responsable du scandale de la mort: « Je veux trouver des phrases qui feront honte à Dieu. Plus personne ne mourra » ou encore des inspirations pour des réécritures de la Bible : « Adam étrange Dieu ; Eve le regarde faire. »

Les univers fantasmés de Canetti défient toujours le terme de l’existence : il propose ainsi « Un monde où chacun peut nourrir aussi souvent que ça lui chante, mais toujours seulement pour un temps limité» ou imagine « vivre au moins assez longtemps pour connaître toutes les coutumes, tous les faits et gestes des humains; rattraper toute la vie écoulée faute d’avoir accès à son déroulement futur ; se rassembler avant de se dissoudre ; mériter sa naissance ; songer aux sacrifices que chaque respiration exige des suivantes ». Il y a chez lui comme un rejet de toute métaphysique qu’il considère être une réfutation de cette vie. Et toujours, au fil des écrits, s’inscrit la présence de la Shoah : « Les six millions de Juifs assassinés ont transmigré dans la chair et dans le sang des Allemands ; il n’y aura plus jamais un Allemand qui ne soit pas également juif. » Son retour à Vienne est aussi marqué par la colère face à l’oubli:  « En 1953, étant retourné là pour la première fois, j’avais honte, en tant que Juif, de me promener en ce lieu. Que cela me plût ou non, j’étais un survivant, tant à mes yeux qu’à celui des coupables. Aujourd’hui, on se promène ici comme si de rien n’était. Les massacres ont émigré vers d’autres cieux. Le Vietnam et le Bengale sont loin. Les Viennois ne sont pas peu fiers de vous le faire observer. Aucun étranger ne soupçonne ce qui s’est passé. L’effet principal de Vienne sur le monde, Hitler, est passé de saison. Les brigands de grand chemin font de nouveau dans la culture. »

Ses notes en font aussi un témoin des conflits du début des années 90, de la Guerre du Golfe, et notamment d’un Pourim passé en Israël, où la population devait se ruer vers les abris, en 1991 : « J’en suis arrivé au point de finir en simple Juif. »

Dans leur aspect parfois répétitif, ces notes dévoilent les obsessions de l’auteur et, au cœur de son projet de déjouer la mort, dans sa chronique d’un échec annoncé, leurs fulgurances sont une consolation.

Elias Canetti. Le Livre contre la mort. Albin Michel.