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Cinéma

Le Chaos calme de Fauda

Après le phénomène Hatufim, déclinée internationalement avec succès en Homeland depuis sept saisons, une autre série israélienne se distingue. C’est Fauda, littéralement « chaos » en arabe.

Cette série dépeint la vie d’une unité d’élite de l’armée chargée d’infiltrer les territoires palestiniens pour procéder à des arrestations de terroristes. Née de l’expérience de Lior Raz, le comédien principal producteur, et de son camarade co-auteur Avi Issacharoff au sein d’une unité d’élite de Tsahal, Fauda, interprétée à la fois en hébreu et en arabe, à travers son prisme humain, se place des deux côtés, juif et arabe, en simultané. Et la vie de ces hommes et de ces femmes, qui luttent pour leurs convictions, mais dont le quotidien est également empli d’amours et de trahisons, se révèle absolument époustouflante.

Tout ce bouche-à-oreille autour de Fauda rappelle une autre série, Hatufim, qui s’attachait à l’histoire de prisonniers de guerre hébreux, de retour au pays après des années de détention, et la suspicion que l’un d’entre eux ait été « retourné » par l’ennemi. Gideon Raff, le show-runner s’était inspiré de son service militaire, comme de la longue détention du soldat Gilad Shalit, puis de son retour au pays, en échange de nombreux prisonniers palestiniens. La suite, vous la connaissez. C’est une parfaite success story, où Raff parvient à coproduire lui-même l’adaptation US de sa série, qui devient Homeland et dont la 7e saison vient d’être diffusée aux USA.

Dans la foulée, mais toujours fidèle à son Moyen-Orient, Gideon Raff enchaîne les projets. D’abord Tyrant, bluffante histoire inspirée d’un dictateur arabe mi-Khadafi mi-Assad, et également Dig, sorte de Da Vinci Code oriental, un thriller mystico-religieux complotiste, projeté dans les ruelles ancestrales de la vieille ville de Jérusalem, première série télé d’action tournée dans la ville sainte. Cependant, Hatufim, avant même de se voir adaptée, était passée par une diffusion israélienne.

Cette fois, Fauda brûle les étapes, en étant directement sélectionnée, dans sa version dialogues hébreux et arabes, pour une programmation planétaire sur Netflix. Lior Raz et Avi Issacharoff, les deux producteurs, se sont eux aussi inspirés de leur propre vécu, durant leur service militaire, au sein de l’unité d’élite Mista’arvim. Ces commandos, parfaitement bilingues, opèrent déguisés en Palestiniens, pour recueillir du renseignement, procéder à des arrestations et mener d’autres opérations couvertes par le secret défense. Mista’arvim est considéré par les spécialistes comme l’élite du contre-terrorisme. Lior et Avi ont ainsi projeté leur propre expérience, pour créer Fauda.

« J’ai rejoint les forces spéciales, dans l’armée. Je pensais que je serais James Bond. Mais la réalité était très différente des films de James Bond. Vous devez faire face à la vraie vie, à de vraies choses et aussi à des trucs pesants parfois. J’ai voulu raconter cette histoire car je voulais parler du lourd tribut mental que les guerriers paient pour leurs actions. Et je voulais aussi apporter un éclairage sur les Mista’arvim. Cela peut vous sembler étrange, mais au lieu de bombarder aveuglément des maisons et des hôpitaux, cette unité envoie quatre ou cinq personnes pour arrêter un suspect. Ces soldats risquent chaque jour leur vie, pour éviter de tuer des innocents. C’est toute la finalité de cette unité », souligne Lior Raz. Le comédien producteur, né à Jérusalem, confie aussi dans ses entretiens à la presse que Fauda lui aura également permis d’exhumer tous les démons enfouis en lui après ses années de combat. Et le terme reflète parfaitement tout l’esprit de cette histoire, qui ne ressemble décidément à aucune autre. Car en arabe, le mot « fauda » signifie « chaos ».

À la fin des années 1980, lorsque la première Intifada a éclaté en Israël, la population arabe a commencé à user de ce mot pour signifier : « Sortons et manifestons ». Mais, du côté israélien, les soldats l’ont alors utilisé, lorsqu’on découvrait qu’ils étaient juifs israéliens… ils lançaient dans leurs talkiewalkies le mot, « fauda », qui servait alors de code d’alerte pour l’intervention des sauveteurs. Cependant, la force de cette série repose moins sur l’action que sur ses personnages, où les deux parties sont dépeintes de manière absolument symétrique. Et c’est troublant. Côté israélien, Doron Kavillio (Lior Raz), le personnage central, a quitté l’armée après un dernier fait d’armes, l’élimination d’un super-terroriste surnommé « la Panthère », responsable par ses attentats de la mort de 116 civils israéliens. Doron s’est reconverti dans la culture des vignes. Son épouse Gali, dont le frère Boaz appartient à la même unité, a aussi un amant Naor, frère d’armes de Doron.

Côté palestinien, Taufiq Hammed (Hishan Sulliman, fameux acteur arabe israélien), alias Abou Ahmad et surnommé « la Panthère », le terroriste en chef du Hamas a été enterré. Et pourtant il réapparaît, bien vivant, pour assister au mariage de son petit frère Bashir. Nassrin, son épouse, joue donc les veuves depuis plus d’un an. Ils ont aussi un fils qui se prénomme Ahmad. Alertés, les Israéliens décident de prendre le risque d’intervenir, au milieu de cette fête familiale. Doron voit débarquer Mickey Moreno, son ex-boss, qui lui propose de reprendre du service pour participer à l’opération et finir le job ; il accepte. Vous vous en doutez, comme si souvent, hélas, au Moyen-Orient, la tragédie se superpose à la catastrophe.

Durant l’opération, le fiancé trouve la mort, tandis que Taufiq, poursuivi par Doron, est blessé. Il parvient néanmoins à s’échapper, avec l’aide d’un complice. C’est à ce moment qu’Amal, la jeune veuve de Bashir, décide de se venger, en décidant de devenir « martyr ». Elle se fait exploser dans le club où travaille Daria, la fiancée de Doron. Cet épisode est dédié à la mémoire d’Iris Azulai, car comme bien souvent avec Fauda la réalité est mêlée de manière inextricable à la fiction. « Iris Azulai était ma petite amie à l’époque de mon service militaire. Nous étions ensemble depuis trois ans. Un matin, lorsqu’elle quittait sa maison, un terroriste venu de Bethléem l’a poignardée à mort, ainsi que deux autres personnes. », se livre Lior, qui poursuit : « Elle était mon premier amour. C’était très dur pour moi. Et, en fait, je n’en ai pas parlé pendant 20 ans, jusqu’à ce que nous commencions à travailler sur le script. J’avais toujours cette blessure béante dans mon cœur. Nous avons l’habitude d’expliquer que cette histoire est écrite dans le sang. Celui de nos amis, de ma petite amie. Je pense qu’il y a tant de petites histoires dans cette série, qui sont basées sur ce que nous avons tous vécu ».

Avec ses dialogues en hébreu et en arabe, sa vision objective du conflit donne une dimension incroyablement humaine à Fauda, qui achève le parfait équilibre entre action et sentiments. « Nous voulions montrer que cette histoire est beaucoup plus complexe que les méchants contre les gentils. Je me souviens que je suis allé voir les scénaristes et que je leur ai dit : « Je veux vraiment pouvoir, aimer, et vouloir incarner tous les rôles de cette série. » La plupart des terroristes à l’écran ne sont que des méchants. Ils n’ont pas d’enfants, ils n’ont pas de famille, ils ne ressentent pas d’amour, ils n’ont rien. Nous voulions aussi montrer que les Israéliens ne sont pas que des soldats brutaux. Et c’est cet équilibre qui fait que le public peut ressentir de la compassion pour les deux parties. » En Israël, Fauda est sans doute le programme le plus regardé parmi la population arabe. De même, avec la popularité croissante de la série, de nombreux Israéliens juifs veulent également apprendre l’arabe. Et côté palestinien, la série s’attache aussi à honorer leur langue, leur culture et leur histoire. C’est pour toutes ces raisons que les gens des deux bords l’apprécient autant.

« J’ai reçu un mail d’une jeune fille du Koweït qui me disait : C’est la première fois que je ressens de la compassion pour la partie israélienne », s’enthousiasme Lior Raz, « Et une femme de Jérusalem qui vote à droite m’a écrit de son côté : C’est la première fois que j’ai un sentiment pour les Palestiniens. Nous avons donc réussi à accomplir quelque chose de positif. Je suis israélien, je suis sioniste, mais je peux comprendre et accepter que d’autres personnes aient leurs propres opinions et leur propre vie. En tant que juif, jamais je n’oublierai que dans les années 1940, nous avons subi l’Holocauste. Pourtant, désormais, les Allemands et les Israéliens sont de très bons amis. Alors, peut-être qu’un jour, dans 50 ans, toute la haine que nous avons entre Israéliens et Palestiniens s’évanouira et que nous vivrons enfin en paix. »

En attendant, Fauda à mi-chemin entre Hatufim et 24 heures, n’a pas fini de mêler intrinsèquement politique, action et ondes positives pour un incontestable succès télévisuel. La saison 2 de Fauda vient d’être programmée sur la chaîne Ciné + Club, en attendant sa diffusion proche sur Netflix. Quant à Gideon Raff, Spy, sa nouvelle série, également diffusée prochainement sur Netflix, sera consacrée au maitre espion israélien, Elie Cohen, qui était parvenu, durant les années 60, à infiltrer avec brio les services de renseignements syriens. Et c’est l’excellent Sacha Baron Cohen qui incarnera Elie Cohen. Preuve que de Cohen à Cohen…