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France

Le cyber-terrorisme a frappé

Le tueur a choisi sa cible, son mode opératoire et le moment de son passage à l’acte

Mohammed Merah ne livrera aucun de ses secrets puisqu’il est mort. Toutefois, dès la fin de l’assaut mené contre lui par le RAID, la police a mis la main sur le contenu de son appartement, donc sur des documents. Ajoutés au dossier qu’avait constitué sur lui la Direction Centrale du Renseignement Intérieur (DCRI) et aux pièces de la procédure visant son frère Abdelkader, une ébauche de portrait du tueur peut être esquissée. Elle comporte des zones d’ombre dont certaines tracent les limites de ce que la police a fait pour le surveiller. Avec à la clé cette lancinante question : était-il possible d’éviter les morts de Montauban et Toulouse ?

Premier défi : retracer l’histoire personnelle d’un petit caïd de cités connu pour des faits de délinquance de droit commun et qui bascule dans le terrorisme. Agé de 23 ans, Merah vient d’une famille d’origine algérienne, il est de nationalité française. Son père est retourné au pays. Sa mère, pieuse, a un emploi. Les considérations socio-psychologiques qui expliqueraient sa dérive trouvent leur limite dans le fait que, lui aussi, malgré son séjour en prison, avait un travail auquel il a préféré la « débrouille ». Une certitude : son frère aîné, 29 ans, l’a influencé. Abdelkader avait aussi un métier, une épouse avec laquelle en dépit de la loi il s’était marié religieusement, mais pas civilement, en 2006. La DCRI l’a repéré en 2007 dans une filière d’acheminement de djihadistes en Irak, via la Syrie, puis autour de la communauté rurale salafiste installée à Artigat, dans l’Ariège. Ensuite ? Ensuite, rien.

De Toulouse au Caire

Mohammed Merah, lui, était apparu plus tard sur les écrans-radar de l’anti-terrorisme. En novembre 2010 exactement quand, après avoir rejoint l’Afghanistan en entrant par le Tadjikistan, il est arrêté par un banal contrôle routier dans la région de Kandahar et remis à l’armée américaine, qui avertit la DCRI. Alors que les Etats-Unis l’interdisent d’entrée sur leur territoire, il faut attendre novembre 2011, après un nouveau séjour cette fois au Pakistan, pour que les services français le convoquent pour qu’il s’explique sur un périple qui l’a mené de Toulouse au Caire, où étudiait alors son frère, puis en Turquie, Syrie, Jordanie, Irak et… Israël. Rien de concret ne lui étant reproché, il ressort aussi libre qu’il est entré.

La surveillance ultérieure de ses activités, selon la DCRI, ne laissait pas présager un passage à l’acte qui semble s’être produit au terme d’une auto-radicalisation commencée en prison par la lecture solitaire du Coran et poursuivie par la consultation de vidéos du djihad comme les plateformes de partage en regorgent. A-t-il même suivi un entraînement militaire au Waziristan, cette zone frontalière entre l’Afghanistan et le Pakistan où il a séjourné deux fois en 2010 et une fois en 2011? Un porte-parole des talibans pakistanais, le Tehrik-e-taleban, l’a affirmé après les faits. Il aurait intégré le groupe dirigé par Hakimullah Massoud, l’émir du groupe, autour de sa ville natale de Jandola au sud-Waziristan. Pour l’instant, rien ne permet de l’établir avec certitude.

Selon un spécialiste du grand quotidien pakistanais Dawn (lequel a bien mentionné la dimension antijuive de l’attentat de Toulouse), Merah aurait été un des 85 Français d’origine nord-africaine formant un groupe appelé Jihad e-islami. Ils auraient été entraînés au maniement des explosifs et des armes dans des camps situés à Miran Shah et dans la zone de Datta Khel, au nord-Waziristan. Selon la même source, le groupe, affilié au mouvement terroriste Jundullah, serait commandé par un surnommé Abou Tarek et cinq de ses membres seraient revenus en France en janvier 2011. La DCRI estime pour sa part qu’il ne reste plus que quelques dizaines de Français dans les camps djihadistes de la région et le directeur de la DCRI, Bernard Squarcini, est assez formel : Merah n’appartenait à aucun réseau.

Le flambeau de Ben-Laden

Il aurait été un cyber-djihadiste et un « loup solitaire », un terme qui mérite quelques explications. La stratégie du loup solitaire a été inaugurée dans les années 80 aux Etats-Unis par l’ultra-droite néo-nazie. Son raisonnement est que les réseaux sont trop facilement repérables et infiltrables. Il faut donc agir non plus au sein d’un mouvement organisé de manière centralisée, soit par cellules de 2 ou 3 personnes, soit carrément seul. Le terroriste choisit alors sa cible, son mode opératoire et le moment de son passage à l’acte. Une méthode indétectable ou presque, qui correspond bien à l’état actuel des mouvements djihadistes. Plus les réseaux Al Qaida sont en effet démantelés par la présence de l’OTAN en Afghanistan et la coopération policière mondiale en matière de lutte contre l’islam radical, plus le flambeau de Ben Laden a de chances d’être repris par des militants isolés. Et des militants passe-partout.

Il faut en effet tordre le coup à l’idée reçue selon laquelle le djihadiste européen est repérable à sa tenue ou à sa fréquentation des forums et des mosquées salafistes : les salafistes djihadistes dits « takfiris » (c’est-à-dire qui anathémisent la totalité des musulmans même fondamentalistes, réfutant leur vision du passage à la lutte armée globale) considèrent comme licite toute entorse aux prescriptions coraniques dès lors que la transgression permet d’avancer dans la voie du djihad. Ils sont rasés, habillés à l’occidentale, ne vont plus prier à la mosquée et peuvent financer leur mission par tous les moyens de la délinquance de droit commun.

Voilà pour le parcours de cette personnalité chaotique et violente. Reste la nouveauté principale de cette affaire : le crime antisémite et la vengeance anti-française d’un jeune homme qui a déclaré avoir voulu venger la mort des enfants palestiniens, en plus de punir la présence de la France en Afghanistan. Un motif qui devrait pousser certains radicaux de la mouvance pro-palestinienne à mesurer leurs comparaisons obscènes entre Gaza et Auschwitz, et à éviter de nazifier Israël et les juifs.

Délire suprême : dès le 23 mars, alors que la nouvelle du passage de Merah en Israël « sortait » dans la presse, la blogosphère conspirationniste et antisioniste distillait la rumeur : comment un pays « qui a interdit l’accès à son territoire à plusieurs militants des droits de l’homme, dont le seul tort est de  défendre la cause palestinienne », a-t-il pu le laisser entrer ? On devine le sous-entendu : voilà bien la preuve que les sionistes manipulent les assassins de leurs propres enfants. La conclusion est sans appel : en 2012 la bassesse, l’ordure antisémite, existe toujours chez les néo-nazis, elle est toutefois, avant tout, majoritairement en nombre, quasi-uniquement pour ce qui est du danger sécuritaire, chez les islamistes et leurs idiots utiles. Comme on dit dans un autre milieu : par action ou par omission.

Jean-Yves Camus