Depuis 36 ans, le Beit Haverim (« Maison des ami(e)s ») accueille les Juifs gays et lesbiens. Rencontre avec son porte-parole, Frank Jaoui, pour un état des lieux.
Juif ou homo, il ne faut plus choisir. Pour Frank Jaoui, l’évolution des mentalités au sein de la communauté juive de France est notable. Avec ses 2 000 sympathisants, le Beit Haverim constate une meilleure acceptation de soi, malgré les positions des autorités religieuses.
L’essai de Gilles Bernheim a-t-il eu un impact sur les Juifs homosexuels ?
Non, aucun chez ceux que l’on côtoie. Ils sont à mille lieues de tout ça. D’autant que deux tiers des membres du Beit Haverim ne sont pas pratiquants. Du côté du tiers restant, les jeunes ont pris leur autonomie. Ce n’était pas le cas il y a quinze ans, lorsqu’ils avaient besoin de l’absolution du rabbin.
Comment gèrent-ils cette double-identité ?
Avant, la dissonance cognitive prenait le dessus : il fallait choisir entre judaïsme et homosexualité. Aujourd’hui, 78 % des membres du Beit Haverim considèrent que ces deux identités sont compatibles. Certains ont conscience que l’interdit religieux concerne un acte sexuel forcé en temps de guerre et non une relation entre deux personnes amoureuses.
Quel regard la communauté juive française porte-t-elle sur les Juifs homosexuels ?
Avant, on nous disait : « Il n’y a pas de ça chez nous ». Nous devions même payer pour passer à la radio. Aujourd’hui, le tabou a disparu. Bien sûr, tout dépend du milieu familial et de la catégorie socio-professionnelle mais l’évolution va largement dans le sens du respect mutuel. Durant la Marche des Fiertés LGBT (« la Gay Pride »), il y a même des mères juives qui viennent se renseigner et prendre des tracts.
Les parents ont-ils des difficultés à aborder et à gérer cette question ?
Pour beaucoup, oui. Il faut des témoignages de parents eux-mêmes passés par là pour avancer. Malheureusement, le blocage vient souvent des présidents de communautés ou des directeurs d’écoles qui rechignent à nous inviter de peur de choquer les parents.
Vous considérez que la communauté juive évolue en même temps que la société française ?
Pour moi, la communauté juive et la société française sont comme deux voitures. La première est légèrement derrière mais, au moins, elle emprunte la même route. Il y a quelques années, le Beit Haverim avait lancé une ligne d’écoute personnalisée. Nous pensions recevoir plein d’appels. À notre grande surprise, ce fut un échec : juste une quinzaine d’appels sur trois ans. Signe que la communauté juive française avance avec le reste de la société. Les valeurs familiales en plus.
Dans ce contexte de progrès, le Beit Haverim existera-t-il encore dans quelques années ?
Le Beit Haverim est une communauté comme une autre, même si demain l’homophobie n’existe plus. Nous ne devons pas nous définir uniquement dans l’adversité. Par ailleurs, nous avons aussi notre rôle dans la communauté juive, notamment en matière de lutte contre l’antisémitisme. Nous faisons le pont avec d’autres milieux associatifs, pas forcément ouverts aux Juifs ni à Israël.
Quel regard porte l’inter-LGBT sur le Beit Haverim ?
Nous faisons partie des fondateurs de l’Inter-LGBT donc le Beit Haverim est bien accepté. Plus récemment, nous avons subi des regards différents en fonction des aléas politiques et de la situation au Moyen-Orient. Nous sommes parfois assimilés à tord à une association religieuse (voire israélienne), ce qui ne fait pas bon ménage avec l’intégrisme laïc de certaines autres associations. Mais une chose demeure : nous sommes encore mieux acceptés chez les homosexuels que chez les Juifs.
Avec le mariage pour tous, pensez-vous que beaucoup de Juifs homos sauteront le pas ?
Ce ne sera pas un raz-de-marée. L’immense majorité de nos adhérents désire transmettre les valeurs juives reçues par leurs parents. Une position assez conservatrice au final. Les Juifs homosexuels sont des Juifs comme les autres ! Résultat : beaucoup d’entre eux souhaitent être en couple avec un Juif. Et statistiquement, c’est assez compliqué. L’homoparentalité, elle, se développera sans doute plus vite.