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Musique

L’interview d’Helly Luv, la « Shakira kurde » anti-Daech

Alors que la tension est à son comble entre les Kurdes syriens du PKK et la Turquie, ayant lancé les opérations militaires contre Daech mais aussi contre ces derniers, ayant eux-même infligé en première ligne quelques revers à l’organisation jihadiste, nous avions rendez-vous ce week-end, quelques heures après le début des frappes turques, en duplex d’Erbil, avec une fille de Peshmergas (kurdes d’Irak). Helan Abdulla, connue sous son nom de scène « Helly Luv », est une artiste kurde née pendant la guerre du Golfe. Immigrée en  Finlande, puis à Los Angeles, elle démarre sa carrière en diffusant sa musique sur des sites de partage comme Myspace. En 2013, elle se fait remarquer avec fracas au Moyen-Orient avec un single « Risk It All »,  littéralement « Tout risquer », et tombe dans les radars des islamistes et de Daech qui depuis la menacent de mort pour ses messages et postures considérés comme « provocateurs ». Plutôt que de se taire, Helly Luv a choisi de ne pas céder aux pressions et diffuse depuis quelques semaines un nouveau clip tourné  à quelques kilomètres des combats, affichant plus d’1,6 millions de vues du Youtube : « Revolution ». Cette vidéo ne laisse absolument aucune ambiguïté planer quant à son propos. Si la chanteuse use de certains codes de l’industrie du disque, c’est pour la bonne cause, sa cause, et c’est bien cet engagement politique qui fait d’elle un ovni de la pop-musique actuelle.

L’Arche : Samedi dernier et ce lundi, deux rassemblements avaient lieu à Paris à l’appel du conseil démocratique kurde en France (CDKF), en soutien aux victimes de l’attentat de Suruç et pour dénoncer les frappes turques contre le PKK .
Helly Luv :
Oui, les frappes sont nombreuses en ce moment. Tout le monde est dans la rue. Il y a beaucoup de tensions.

Que pensez-vous personnellement de cette situation ?
C’est évidemment regrettable. Cette guerre dure depuis longtemps , mais je ressens une telle injustice car ce sont des jeunes volontaires qui ont été touchés. Il participaient à la reconstruction de Kobané, se battaient pour la paix et la justice, pour quelque chose de bien. Et cette explosion au-dessus d’eux, c’était tellement déchirant. Je suis sans voix, je n’ai pas de mots.

Pour ce qui concerne la bataille contre Daech, quelle aide pourrait apporter chacun, à son niveau, de France par exemple ?
De l’extérieur, je pense que parmi les choses les importantes, il y a d’une part, évidemment, ce qu’il se passe sur les réseaux  sociaux. Ils comptent définitivement parmi les armes contemporaines les plus puissantes et, parfois, les gens ont tendance à l’oublier. D’autre part, les dons sont également importants : sous forme de vêtements, de certains matériels, d’argent, pour les 1,8 millions de réfugiés que nous avons ici, yezidis, kurdes, les victimes en provenance de Kobane,de Shingal, etc . Je suis sûre que beaucoup d’organisations pourraient aider ainsi les gens. Autre chose essentielle : partager les informations car tellement de personnes ignorent encore ce qu’il se passe ici. De mon côté, depuis le début de ce conflit, j’ai décidé de me battre avec mes propres armes, c’est dire avec ma musique et ma voix. J’ai senti que c’était mon devoir. Je suis allée à Los Angeles quand la guerre contre Daech a commencé et j’ai dit à mon équipe américaine que je tenais à faire une chanson à ce sujet. Ils étaient interloqués : « Mais qui sont les Peshmergas ? », « C’est quoi Etat Islamique ? », « C’est quoi Shingal ? », comme beaucoup de gens à l’époque et encore maintenant, qui ne savent pas ce qu’il se passe. Je voulais créer une chanson et une vidéo pour diffuser notre message, parce que l’Etat Islamique est non seulement l’ennemi du Kurdistan mais aussi celui du monde entier.

Avez-vous reçu le soutien d’autres artistes internationaux ?
Non, pas que je sache. Peut-être que certains soutiennent la démarche et la partagent. En tous cas, nous avons obtenu beaucoup d’attention de la part de médias internationaux pour « Revolution ». Et cela me réjouit car, encore une fois, cette guerre n’est pas que la nôtre.
Êtes-vous en contact avec Nassrin Abdalla, une combattante en chef kurde coté syrien ? Il semble que les femmes aient un rôle et une place fondamentale dans ce combat, comment l’expliquer ?
Je vois de qui vous parlez, nous ne sommes pas en contact mais ce que je peux dire, c’est que dans l’histoire du peuple kurde, et que peu de gens savent, nous avons l’habitude depuis des centaines d’années d’avoir de grandes figures féminines chef d’armée qui ont pu conduire hommes et chevaux à la guerre, et gagner. Ces femmes étaient d’incroyables guerrières. C’était il y a longtemps, mais il y a toujours, en tant que femme kurde, quelque chose de l’ordre d’une fierté héritée de ces temps-là. Mais tout le monde sait aussi, en revanche, combien les conditions de vie des femmes sont difficiles et qu’il y a peu de soulagement pour elles au Moyen-Orient…Mais si vous observez de attentivement,  ici, lorsque la guerre arrive, tout le monde, hommes et femmes, se lève et prend les armes. Il n’y a plus  aucune différence sur la ligne de front.

Vous avez déclaré avoir fait face au racisme dans votre parcours de vie, que pouvez-vous en dire aujourd’hui ?
C’est lié à mon enfance. Je suis née en Iran, en 1988. Nous cherchions alors à échapper à Saddam Hussein avec ma famille et nous avons fui en Turquie. Nous avons passé neuf mois dans un camp de réfugiés. Ensuite, nous sommes allés en Finlande et lorsque nous sommes arrivés, nous comptions parmi les premiers immigrants kurdes. Nous avons eu des moments très très durs à  vivre les premiers temps parce que beaucoup de gens ne voulaient pas nous accepter, et d’autres n’arrivaient pas à nous comprendre. Quand, enfant,  je suis allée à l’école, j’étais intimidée  parce que j’étais très  différente des autres écoliers :  mes cheveux et mes yeux étaient sombres, je ne ressemblais à personne et j’étais la seule fille dans ce cas. Dans mon entourage ensuite, j’étais la seule étudiante originaire d’un pays extérieur. Mais tout cela m’a endurci, je suis devenue plus forte. Aujourd’hui, l’Etat Islamique est mon agresseur, et je n’en ai pas peur car j’ai la peau dure.

Vous êtes partisane d’un état kurde indépendant. Au regard de la situation, cette indépendance a-t-elle des chances d’aboutir ? Cette cause obtient-elle dorénavant plus de soutien qu’il y a deux ans ?
Quand je suis revenue au Kurdistan, j’ai commencé à travailler sur ma première vidéo « Risk it all », qui parle de liberté et de célébration de tout ce que l’on peut risquer pour un rêve. Vous pouvez demander à chaque kurde ce dont il rêve pour son peuple, ils répondront tous la même chose :  l’indépendance. Les  Kurdes ont une histoire très dure, difficile et sanglante. J’ai voulu faire une vidéo qui rende hommage à ce désir de liberté. Avant l’arrivée de l’Etat Islamique, le Kurdistan était en fait très proche de l’indépendance, l’économie étaie bonne, et Erbil une ville touristique. Tout a changé depuis… Pour le moment, la priorité est la destruction de L’Etat Islamique,  nous verrons ensuite… mais, définitivement, nous touchons plus que jamais ce rêve de l’indépendance du Kurdistan.

On vous surnomme, entre autres, la « Shakira kurde », mais appréciez-vous cette formule ?
Pour être honnête, j’adore Shakira, elle a su faire de tels tubes ! C’est plutôt un honneur que d’être comparée à elle. Mais on veut toujours me comparer à quelqu’un d’autre, Lady Gaga, Rihanna, Mickael Jackson, que sais-je, mais je suis très différente de tous ces artistes !  Ma musique, mon message, mon style, tout est très différent. Je ne sais pas d’où est sorti en premier ce parallèle, peut-être est-ce à cause de  ma façon de danser dans certains de mes video-clips : dans le désert avec des lions par exemple ? (rires). C’est en tous cas plutôt positif que d’être comparée à des artistes de cette trempe mais vraiment, je suis Helly Luv, et il n’y en a qu’une, comme il ne peut y avoir qu’une Shakira, et c’est bien suffisant.

Propos recueillis par Aline Le Bail-Kremer

Le clip Révolution :