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Musique

Idan Raichel en concert à Paris

Avec son hébreu chantant et ses mélodies irrésistibles, Idan Raichel est devenu un de pivots de cette scène israélienne si vivace. Dans la foulée de son premier album solo intitulé « At the Edge of the Beginning », il nous invite à découvrir en live son Idan Raichel Project, une formation de world-music qui remporte largement l’adhésion du public Français avec deux concerts au New Morning si complets, qu’il a fallu programmer une troisième date. Rencontre avec cet ardent défenseur d’un métissage aussi musical qu’universel.

 

L’Arche : Tu es à Tel-Aviv ?

Idan Raichel : Oui, en ce moment.

Dans quelle partie de la ville ?

Dans le « vieux nord », à côté du port, là où Tel-Aviv s’est étendu depuis quelques années. C’est un lieu superbe, désormais, avec une longue promenade de bois le long de l’océan.

Est-ce aussi un lieu où tu peux imaginer tes nouvelles chansons ?

Absolument, d’ailleurs cela m’est déjà souvent arrivé. C’est un lieu privilégié où l’inspiration peut ainsi jaillir. La mer, le calme, la beauté à l’état pur et aussi la diversité des gens qui aiment venir ici en font un endroit vraiment à part dans la société israélienne.

Dans la biographie de ton nouvel album tu déclares « je ne fais pas ce que je fais pour moi même, je le fais pour mes filles ».

Jusqu’à une période récente, j’étais le parfait célibataire qui vivait dans sa valise et parcourait sans cesse le monde. Mais, lorsque je me suis marié, c’est là où tout a changé. J’ai eu deux filles. Et, soudain, tu as le sentiment que chaque décision que tu prends est dictée par ces deux petits êtres. Même artistiquement, si je choisis de faire une tournée de trois semaines, par exemple, ça équivaut à une absence de trois semaines de la maison. C’est une décision qui a une incidence financière, qui a une incidence artistique, mais cela vous donne le sentiment d’être enfin arrimé à quelque chose de solide.

Quel âge ont-elles ?

Philippa a deux ans et Salomé huit mois.

Pourquoi être revenu chez tes parents pour enregistrer ce nouvel album ?

Mes parents se connaissent depuis leurs 4 ans. Ils étaient à la maternelle ensemble. Et c’est pareil avec tous leurs meilleurs amis qui se connaissent depuis l’enfance. Ils ont construit cette communauté à une demi-heure de Tel-Aviv à Kfar Saba, où vivent également tous leurs copains. Les jardins communiquent entre eux et j’y ai grandi dans une atmosphère israélienne vraiment très chaleureuse. Et au sous-sol de la maison familiale, se trouvait la salle de jeux des enfants, j’ai installé là-bas un joli petit studio d’enregistrement, un home studio. Mais, à mes yeux, c’est un studio totalement pro qui m’a donné toute la liberté de créer et une véritable perspective musicale. Revenir en tant que père dans ces lieux où je jouais lorsque j’étais gamin m’a donné la sensation d’avoir bouclé un cycle. C’était aussi un retour à la simplicité après des années passées dans des grands studios d’enregistrement cela donnait une nouvelle perspective à ma musique.

C’est ton premier disque solo sans le Project ?

Non, en parallèle avec le Idan Raichel Project, j’avais déjà fait deux albums avec Yitzhak Azoulay et deux également avec Vieux Farka Touré. J’ai aussi fait plusieurs tournées avec la chanteuse américaine India Arie. Mais c’est néanmoins mon tout premier album solo. D’ailleurs, les thèmes des chansons sont très intimes, puisque je me livre vraiment dans ces chansons. J’évoque même les relations que je peux avoir au sein de ma famille proche.

Ce qui explique pourquoi ton album sonne de manière aussi intimiste.

Je suis heureux que tu l’aies remarqué, car c’est exactement cette émotion-là que je voulais faire passer. Je voulais que l’auditeur de cette musique ressente les choses comme s’il était assis à mes côtés dans mon salon ou au sous-sol de la maison de mes parents.

Et c’est pour cette raison que sur la plupart des compositions tu as utilisé des instruments acoustiques ?

Exactement. Et aussi pour le côté chaleureux de ces instruments acoustiques.

Ton disque est sorti sur le label israélien Helicon, cela fait longtemps que tu as signé avec cette maison de disques ?

Non c’est bien avec Helicon que j’ai démarré au début des années 2000. Ils croyaient en moi et ils m’ont toujours épaulé dans tous mes projets. J’ai été signé par Jacob Edgar, qui était le responsable A&R du label. Il m’a tout de suite dit qu’il voulait de distribuer dans le monde via son label Cumbancha. J’ai beaucoup de chance d’être aussi bien entouré aussi bien humainement qu’artistiquement, car nous travaillons dans la plus totale confiance.

Te souviens-tu des circonstances de ta rencontre avec eux ?

Au début, j’étais un simple clavier. Je faisais de sessions pour tout un tas d’artistes. Des gens comme Ivri Lider et bien d’autres, de grands musiciens auprès desquels j’ai pu apprendre à peu près tout ce qu’il me fallait savoir sur le travail en studio. Au début, en fait, je cherchais à me faire engager en tant que producteur par une maison de disques. Et, pour leur montrer ce que je savais faire, j’ai préparé une bande démo avec différents chanteurs démontrant ainsi que je pouvais travaillera avec des gens différents. Et c’est avec cette maquette que j’ai débarqué chez Helicon. Là, ils m’ont dit qu’ils voulaient carrément la publier en tant qu’ album et c’est ainsi qu’est né le Idan Raichel Project.

Et donc depuis tes débuts tu as tout fait pour préserver cette formule d’ouverture  échangeant non seulement avec des artistes israéliens, mais également avec des musiciens du monde entier ?

Oui des artistes très variés venus d’Allemagne, des Etats Unis, du Cap-Vert, du Mali, d’Ethiopie, du Maroc… cela représente environ 150 musiciens d’origines diverses.

Comment as-tu commencé à collaborer avec Alicia Keys ?

Alicia Keys est venue jouer en Israël et elle a entendu parler de ma musique. Elle m’a donc invité à collaborer avec elle. On a d’abord réalise un superbe « mashed up » (mélange) sur scène en 2013 entre sa chanson « Falling » et une des miennes intitulée « Mima’amakim ». Nous sommes devenus amis et, un an plus tard, elle m’a invité à jouer à nouveau à ses côtés durant un concert à central Park à New York. C’était un après-midi merveilleux durant un super festival. On a joué avec Ali Amr qui vient de Ramallah, un grand musicien palestinien. Quel moment magique.

Joli symbole également de voir un Israélien et un Palestinien partager la même musique sur scène.

Je suis très reconnaissant à Alicia d’avoir rendu possible un tel événement.

Et Vieux Farka Touré, comment s’est produite cette rencontre ?

On s’est rencontré à l’aéroport de Berlin où lui et moi étions en transit. Je l’ai accompagné jusqu’à sa porte d’embarquement pour lui dire que j’adorerai jouer avec lui. Que je suis fan de sa musique et de celle de son père le légendaire Ali Farka Touré. Je l’ai retrouvé en Espagne une semaine plus tard où j’ai joué des claviers avec lui et c’était le début d’une magnifique amitié encore si vivace aujourd’hui.

Toutes ces rencontres sont la clef de voûte de ta musique ?

Effectivement. The Idan Raichel Project est comme une grande famille. Durant ces années, on a enregistré quatre albums studio et trois albums live.

La première chanson de l’album, « The Warm Hand », a un côté mélancolique très affirmé.

C’est une métaphore pour évoquer la chaleur humaine. C’est la main de ta fille qui tient la tienne, c’est la poignée de main échangée avec un ami. Cette main c’est le premier symbole qui te prouve que tu n’es pas seul au monde qu’il y a quelqu’un quelque part qui prendra soin de toi.

La chanson « Circles » est vraiment ma préférée de tout l’album pour ses racines juives klezmer.

Tout à fait, cette chanson a de très fortes racines klezmer. Les « cercles » auxquels je fais référence sont ceux de la danse, de la hora avec des gammes rapides d’accordéon. C’est d’ailleurs la première fois où l’accordéon est autant mis en avant dans une de mes chansons.

Mon autre chanson favorite de cet album c’est « Little Girl of Mine » où tu fais, je présume, référence à tes filles.

Oui c’est comme une comptine enfantine pour ma fille où je raconte qu’elle pense tout connaître. Moi j’ai toujours considéré que lorsqu’ils naissaient les enfants étaient comme une feuille de papier vierge ou un disque dur sans fichier ni logiciel. Et petit à petit tu le remplis avec de plus en plus d’informations. Mais depuis la naissance de mes filles, j’ai aussi découvert qu’elles avaient chacune leur propre caractère qui apparaît dans leur manière de réclamer des choses ou même de pleurer. J’ai écrit cette chanson en pensant à elles.

On trouve également quelques chansons pop comme « Revolving Doors » qui sonne un peu Elton John ou Crowded House.

Tu ne peux pas savoir à quel point je me réjouis de ces références, car ce sont des artistes que j’ai énormément écoutés. « Revolving Doors » est aussi la toute première chanson que j’enregistre où je joue de la batterie. Je ne suis pas un batteur d’exception, mais je me débrouille. Après cette tentative, j’ai assuré seul toutes les parties batterie de l’album, comme pas mal d’autres instruments. Il y a aune autre chanson ou le rythme est mis en avant c’est « In Five Seconds » où le percussionniste marocain Hassan Hakmoun joue du sintir et apporte tout le groove. Je crois que ce dialogue entre le sintir et la batterie rend ce morceau si différent.

Il y a aussi cette composition, « Longing », interprétée par la chanteuse Dana Zalah. C’est rare de donner une chanson à quelqu’un d’autre sur son propre album ?

Dana Zalah est une chanteuse exceptionnelle. Et j’ai senti que sa fragilité collait parfaitement avec l’esprit de cette chanson. Elle est si sensible. Et je suis heureux de m’effacer devant elle, car ce qui est bon pour la chanson est donc bon pour moi.

On n’a pas évoqué la situation d’Israël comme sa politique; où te situes-tu sur ce terrain ?

C’est un conflit très compliqué avec de très nombreux aspects. Humains, historiques, économiques, financiers… mais celui qui me préoccupe le plus c’est le problème de l’éducation des jeunes générations. Tout d’abord il faut apprendre à connaître ses voisins. Si seulement les enfants palestiniens ou syriens ou libanais pouvaient découvrir la culture israélienne. Nous, en Israël, on devrait apprendre à nos enfants à connaître la vie ailleurs.

Je crois qu’une décision est en train de faire avancer les choses en Israël avec une nouvelle volonté d’enseigner l’arabe aux écoliers juifs.

C’est indispensable d’apprendre à connaître tes voisins. C’est tout mon espoir de croire aux nouvelles générations pour combler tous ces fossés qui existent entre nous.

N’es tu pas frustré de voir le processus de paix en pleine impasse ?

La dernière chose qui doit mourir c’est l’espoir. Et nous n’en manquons pas en Israël, crois-moi.

Est-ce que toi même tu milites pour faire avancer les choses ?

Je me bats sur le terrain musical à force de collaborations, d’ouvertures vers l’autre pour que ces expériences deviennent la norme. Au sein du « Project », il y a des gens de tous bords. Certains penchent à droite, d’autres à gauche, mais la magie c’est que nous nous retrouvons tous ensemble pour faire la même musique. C’est crucial pour nous de continuer sans cesse à construire ces passerelles entre les cultures, entre les musiciens, même si nous ne nous accordons pas à 100% sur tous les sujets.

Si cela fonctionne au sein du Project, cela doit fonctionner dans le monde réel ?

C’est une manière de faire la paix sans chercher à savoir qui a raison ou qui a tort. Être capable de ne pas être d’accord, mais pouvoir vivre côte à côte.

Lorsque tu observes un ancien Premier Ministre aller en prison qu’est ce que cela représente pour toi ?

C’est un jour de tristesse pour Israël, c’est une accusation qui date de l’époque où il était maire de Jérusalem la ville la plus sainte du monde. Mais c’est aussi une belle journée pour la démocratie, car cela prouve que nul n’est à l’abri des sanctions de la loi aussi puissant que tu sois ! Tous les citoyens sont égaux devant la loi. »

The Idan Raichel Project en concert au New Morning à Paris les 24, 25 et 28 février.

Idan Raichel : « At the Edge of the Beginning », nouvel album.