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Musique

Prince : Kid de Minneapolis à jamais

Selon CNN, Prince aurait été retrouvé inconscient dans un des ascenseurs du complexe Paisley Park à Chanhassen, une banlieue de Minneapolis où il a édifié, sous une pyramide pourpre, studios d’enregistrement, studios de répétition et studio de cinéma. Prince n’aurait alors pas pu être ranimé. À seulement 57 ans, Prince Rogers Nelson s’est éteint et c’est une perte déchirante. Prince n’a pas seulement publié plus de TRENTE albums, inventant le « cross-over », une musique inédite ni blanche ni noire, mais les deux à la fois, il était aussi le plus étonnant show-man depuis la mort de James Brown. Après le départ de Lou Reed et de Bowie si proches, désormais avec l’envol de Prince vers les étoiles, je pleure des larmes pourpres.

Je m’en souviens comme si c’était hier. Je revois encore la longue calandre et les chromes de ma Pontiac Firebird 1970 qui glissait sur le bitume de Sunset Boulevard, lorsque j’ai soudain été subjugué par sa voix pour la première fois. C’était en 1979, sur la FM stéréo de la décapotable, j’ai entendu « I Wanna Be Your Lover » et j’ai pilé net, je me suis arrêté pour écouter, tellement secoué par ce que j’entendais, cette formidable alchimie entre rock blanc et funk noir avec cette voix incroyable, vertigineuse comme si elle était juchée sur des talons aiguilles. Sur cet album, simplement intitulé « Prince » il était parvenu à obtenir ce que Stevie Wonder avait mis des années à gagner : la liberté de faire son album tout seul, de jouer de tous les instruments, de produire et d’être le seul à détenir le fameux « final cut », en clair de décider de tout sans aucune ingérence de sa maison de disque. Prince n’avait alors que 21 ans et débarquait de son Minneapolis natal pour mettre à genoux Warner et ses frères. Prince avait créé sa musique en songeant justement à sa ville natale – celle de Dylan aussi presque, né juste à coté à Duluth – où il faisait si froid l’hiver que les architectes avaient conçu un ingénieux système de passerelles de verre au niveau de premier étage, pour relier les bâtiments entre eux et traverser la ville sans avoir à affronter le vent polaire glacé. Or tout le monde se croise et se retrouve, noirs et blancs, dans ces rues au-dessus des rues. Et c’est ainsi qu’est né le style « cross-over » (qui traverse) de Prince. Ajoutez à cela une bonne dose de sexualité aussi ouverte que débridée, vous tenez là le cocktail explosif le plus solide depuis le scandale des hanches trop suggestives d’Elvis Presley censurées à la télé !

Deux ans plus tard, en 81, le guitariste et multi-instrumentiste venu du nord, compte déjà deux albums de plus à son actif, « Dirty Mind » et « Controversy », lorsqu’il débarque pour la première fois à Paris pour donner un concert au Palace. Mais si aux USA, Prince a déjà beaucoup séduit, en France il demeure parfaitement inconnu. Il jouera d’ailleurs ce soir-là devant moins de 200 personnes et je serai le seul journaliste à le rencontrer… puisque j’étais le seul intéressé. C’était absolument surréaliste de le retrouver au Privilège, l’immense restaurant du Palace privatisé pour l’occasion et désert. Je me souviens d’un garçon timide, qui parlait d’une voix basse et particulièrement émotionnelle. On m’avait interdit d’enregistrer notre conversation. Je n’ai donc que mes souvenirs de cette incroyable rencontre. Hélas, au bout d’un quart d’heure, juste après l’entrée et avant le plat de résistance Prince s’est soudain levé et a tourné talons. Je venais de lui poser une question sur son père, il avait sans doute trouvé cela trop personnel. Après cet entretien, pendant plus de quinze ans Prince a totalement cessé de parler aux journalistes. Mais il n’en suscitera pas moins notre admiration à chacun de ses albums. Le double et visionnaire « 1999 » (82), le spectaculaire « Purple Rain » (84) double monument cinématographique et discographique à sa gloire, mais aussi son premier vrai succès planétaire. Car avec le film, le monde entier découvre ce que nous savions tous depuis longtemps, que ce novateur aux textes si provocs et aux rythmes tellement suggestifs était également une implacable bête de scène. Sur le podium, il n’y en avait que trois qui pouvaient ravir la première place et Prince était incontestablement l’un d’eux.

Croyez-vous vraiment que c’est par pur hasard que Michael Jackson a prénommé son fils Prince ? Le king of pop savait reconnaître un Prince. Lorsque Prince revient à Paris c’est désormais au Zénith avant, très vite, d’investir Bercy pour 5 soirs. Et quand le Kid investissait une scène, il la tenait plus de trois heures durant des concerts marathons… avant d’enchaîner un second show, souvent dans un petit club, qui l’amenait dans le plus funky des voyages au bout de la nuit ! Nous sommes en 87, l’année de « Sign O the Times », et Prince venait d’ouvrir son « Neverland » à Minneapolis. Sauf que là où Jackson s’était offert un Disneyland, Prince de son côté a investi dans une « usine à rêves » au sens Berry Gordy, le fondateur de Motown, du terme. Paisley Park est un vaste complexe où l’on retrouve deux studios d’enregistrement, un studio de répètes de danse, un atelier de confection de costumes, un atelier de fabrication de décors de tournées, un studio de cinéma pour longs métrages (« Under the Cherry Moon ») et un label de disques. Se souvenant de moi, le management de Prince m’accordera l’autorisation de filmer pour la première fois ce « parc psychédélique » pour la télé.

C’est en débarquant dans les « twin cities » Minneapolis- Saint Paul et en discutant avec les musiciens qui connaissaient Prince depuis toujours, comme ses collègues de the Time Jimmy Jam et Terry Lewis – producteurs de Janet Jackson et leaders du groupe opposé à Prince dans « Purple Rain » – que j’ai pu enfin cerner le personnage. Perfectionniste, bosseur acharné, mais également visionnaire, toujours prêt à promouvoir le dialogue, l’égalité entre les hommes, quelle que soit leur couleur, leur religion. De Sheila E à la somptueuse Vanity – hélas décédée en février dernier, elle aussi à 57ans – en passant par Jill Jones ou Apollonia, j’ai aussi interviewé toutes les « égéries » de Prince, dont il écrivait, composait et produisait les chansons en Pygmalion, à la manière de Gainsbourg avec ses interprètes. Prince était également un authentique rebelle, n’hésitant pas à se dresser ouvertement contre sa maison de disques lorsqu’elle refusait de publier un de ses 33 tours, comme le fameux « Black album ». Le Kid de Minneapolis écrira alors le mot « slave » (esclave) sur une photo de son visage qui illustre une de ses pochettes. Warner reculera et sortira finalement le disque de la discorde en 1994. Précurseur de la « nouvelle économie » il n’hésitera pas à faire un pied de nez au « grand capital » en s’affranchissant des labels pour publier lui-même ses albums sur internet. Ou en passant un marché avec un grand quotidien national, qui offrait la précieuse galette à ses lecteurs. Car pour diffuser sa musique, Prince n’était jamais en panne d’imagination.

Avec en moyenne un projet tous les deux ans, voire deux disques la même année, comme l’an passé, Prince Rogers Nelson aura publié plus de trente albums, sans compter les myriades de concerts enregistrés et CD pirates de prises alternatives et de morceaux inédits, Prince en étoile filante s’est envolé, mais ce qu’il nous laisse en héritage est une œuvre inestimable et riche que nous n’avons pas fini d’explorer. Je suis simplement triste d’imaginer que je ne reverrai plus jamais sur scène la plus prodigieuse « bête de scène » qu’il m’ait été donné de voir, mais je garde à jamais au fond des yeux ses danses folles et son sourire espiègle. « Die young and stay pretty » chantait Debbie Harry de Blondie, la seule chose qui parvient à me consoler aujourd’hui, c’est que Prince ne vieillira jamais.