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En comprenant Hitler, Lars Von Trier et John Galliano déjouent les pronostics

Lorsqu’au festival de Cannes un journaliste a demandé à Lars Von Trier d’éclaircir les propos qu’il avait tenu à propos de « l’esthétique nazie », le cinéaste se lâche :

J’ai cru être juif pendant très longtemps, et j’en étais. Puis je s

uis devenu moins enthousiaste après avoir rencontré Susanne Bier [réalisatrice danoise et juive, qui a réalisé After the wedding ou encore Revenge, Oscar du Meilleur Film étranger cette année] avant de me rendre finalement compte que j’étais Nazi, car ma famille est en réalité allemande. Cette révélation m’a fait plaisir. Que rajouter ? Je comprends Hitler. Mais je pense qu’il a fait beaucoup de mal… Mais je peux l’imaginer assis seul dans son bunker à la fin de sa vie”. Je ne dis pas que je cautionne la Seconde Guerre Mondiale et je ne suis pas antisémite, pas même envers Susanne Bier… En fait, je suis même solidaire des juifs, de tous les juifs. Mais Israël fait vraiment chier. Comment est-ce que je vais m’en sortir ? Bon ok, je suis un nazi.

C’est à ne plus rien y comprendre. On m’a toujours dit et répété que le racisme, l’antisémitisme et toutes les formes de rejet de l’Autre s’expliquaient par la stupidité ou le manque d’intelligence, toujours par le manque d’éducation, invariablement par la méconnaissance de la différence. Oh, certes, il y avait bien les antisémites de plume, ces autres intellectuels racistes qui construisaient des thèses excluantes mais on pensait ces énergumènes et leurs idées enterrés, totalement et définitivement dépassés. Et voilà qu’en l’espace de quelques semaines à peine, coup sur coup, deux génies partout célébrés viennent rompre sans vergogne notre idée reçue, idée jusqu’alors confortable tant elle identifiait deux camps au moins grâce au tamis du racisme : d’un côté les imbéciles peu raffinés, de l’autre, les éclairés ouverts sur le monde. Eh bien non ! Tristement, le racisme n’est pas le seul fait des ignares, John Galliano et Lars Von Trier en sont les deux plus récentes preuves vivantes. L’un excellait dans la mode, l’autre marque le cinéma de son temps. Et chacun, à quelques jours d’intervalle, nous explique tranquillement qu’il a de la sympathie pour Hitler, une fascination pour l’esthétique nazie, que certains éléments du Troisième Reich allemand méritent largement d’être sauvés. Donc ils réhabilitent – Galliano sous l’emprise de l’alcool, Trier tout à fait lucide – pêle-mêle : Speer, l’eugénisme, l’antisionisme délirant, la finesse esthétique, Hitler en homme sensible… Ils font cela en oubliant, ces idiots-là, qu’ils seraient les premières victimes des nazis si la peste brune revenait demain, premiers à être poursuivis et exterminés tant leur vie et leurs œuvres tranchent avec l’idéal de pureté aryen….

Sciemment, nos deux hommes louent le mal absolu, ils le font sûrement aussi un peu par défi stupide mais aussi par intérêt et c’est ignoble ! Deux questions à Lars Von Trier : 1/La recherche effrénée du buzz vaut-elle bien de salir la mémoire de millions de victimes de la Seconde Guerre Mondiale? 2/Un « trait d’esprit » de votre part mérite t-il de rouvrir les blessures des rescapés des camps de la mort, des descendants de ces humains décharnés que l’on vouait à l’Holocauste dans les camps d’extermination d’Europe de l’Est ?

J’aimerais entendre vos réponses. Une vraie réponse, pas ces maigres excuses fabriquées par quelques pubards et autres communicants pour sauver ce qu’il reste de votre réputation ternie.

Plus je réfléchis aux mots de Trier, plus je fulmine. Et puisque celui-ci s’est permis une apologie du folklore nazi, eh bien je m’octroie moi-même le droit de dire que cet homme là est un salopard. Un homme bien plus nazi qu’il croit l’être lorsqu’il termine sa tirade hallucinante par une blague qu’il voudrait dédouanante : « Eh bien ok, je suis nazi ! ». Ce n’est pas « ok » et je m’explique. Lorsque vous voyez à Cannes, au milieu du luxe et de la volupté, en plein cœur de l’Art célébré, un humain vous confier son intérêt avancé pour le Führer jusqu’à le trouver touchant aux toutes dernières heures de sa vie, assis dans son bunker, lorsqu’il sait qu’il va enfin périr, vous touchez a l’inhumanité. Vous mesurez l’aveuglement qui était celui des allemands lorsqu’ils s’engouffrèrent dans la brèche de l’irréparable. Et vous perdez en une poignée de secondes d’un propos condamnable le bienfait de temps d’années d’éducation à l’Histoire et à l’antiracisme.

Lars Von Trier semblait tout à fait normal lorsqu’il a entamé sa tirade. Il mesurait la portée de ses propos, concevait tout à fait le mal en parlant. Et c’est bien le plus effrayant dans toute cette affaire. Si Trier, avec son bagage, fort de sa fonction dans la société, possède ces penchants-ci, que faire ? Comment se dépêtre-t-on d’une situation ou l’humanité la plus éclairée, la plus au fait de notre Histoire et de ses atrocités, choisit en toute connaissance de cause de se ranger du côté du pire ? Voilà, quelques solutions ! D’abord on pourrait, on devrait, on serait obligé même de couper la parole à Lars Von Trier lorsqu’en conférence de presse, il tient ces propos. On devrait lui dire qu’il se trompe, qu’il s’engage sur une pente extrêmement glissante et que s’il choisit de continuer deux seuls choix s’offrent à nous : ou bien l’on quitte la salle, ou on lui fout son poing dans la gueule. Au lieu de ça, je n’ai entendu qu’un maigre « Oh my God » se prononcer. Un « Oh my god » et la promo peut continuer… Ce n’est pas suffisant ! Maintenant que le mal est fait, il faudrait que la direction du festival de Cannes déclare Lars von Trier persona non grata. C’est ce qui est en train d’être fait. Et pour la suite, eh bien rien n’empêche de rappeler à Trier qu’il a un jour, à Cannes, dérapé. Rien n’interdit de faire en sorte que la mémoire des victimes qu’il a bafouée le poursuive désormais partout, tout le temps…

Laurent-David SAMAMA