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Cinéma

Moïse, selon Spielberg

Les rumeurs se confirment. Le réalisateur portera l’histoire de Moïse à l’écran. Début du tournage en 2014.

Un humoriste américain déclara un jour que les Juifs ne devaient pas espérer le retour de Moïse. La faute aux Dix commandements de Cecil B. De Mille car depuis, Moïse se plaindrait à Dieu que tout le monde s’attend à voir débarquer l’immense Charlton Heston alors qu’il ne fait qu’un petit 1,50 m !

Pas évident d’adapter la vie d’un personnage d’une telle envergure historique. Ce challenge va pourtant être relevé par le réalisateur le plus populaire de ces trente dernières années, Steven Spielberg. Il vient en effet de signer un accord avec les producteurs Lin Pictures et le distributeur Warner Bros. Le tournage ne devrait pas commencer avant 2014, d’après un scénario de Michael Green et Stuart Hazeldine.

Comme le rappelle Clément Safra dans son Dictionnaire Spielberg (2011), ce que Martin Scorsese admire le plus chez Spielberg, c’est « sa capacité à organiser une foule dans le cadre ». Il devra user de cette qualité pour Moïse, car selon des sources américaines, la fresque biblique retracera toute la vie du fondateur du judaïsme, en revenant longuement sur son enfance.

Ombre et lumière

L’enfance. Une période importante dans la mémoire de Steven Spielberg et une image, Close Encounters of the Third Kind (1977) où l’on voit un enfant ouvrant une porte, le visage inondé de lumière. Présentée comme la préférée du réalisateur par les « Cahiers du Cinéma » qui ont consacré un numéro spécial au réalisateur au mois de février, elle serait « la matrice, le point de jonction entre le quotidien et l’imaginaire ». Amusant lorsque l’on sait que les premiers souvenirs d’enfance de Spielberg sont les rayons lumineux pénétrant dans une synagogue.

L’enfance abîmée dans Color Purple (1985) ou dérangeante par son infime présence dans La Liste de Schindler (1993), mais toujours servie par des jeux de lumière subtils, autour des thèmes de l’acceptation et du rejet. Besoin de mémoire, souvent pour Spielberg en évoquant la guerre et l’idée de la réparation pour espérer un monde meilleur (Amistad, La Liste de Schindler, Munich, Minority Report). Quoi de plus symptomatique, dans ce cadre, que la Shoah Foundation qu’il a créée et qui a recueilli plus de cinquante milles témoignages de rescapés ?

L’angoisse apocalyptique et la peur de l’histoire récidiviste hantent le grand vestiaire de Spielberg, aussi bien que la tendresse du fantastique. C’est la magie Spielberg dont témoigne bien toute sa filmographie. Mais c’est aussi une schizophrénie surgissant au cours d’une même année, comme le soulignent les Cahiers du Cinéma. En 1993, Spielberg achève le montage de Jurassic Parc alors qu’il tourne La Liste de Schindler. Il fera de même trois ans plus tard en réalisant The Lost World en même temps qu’Amistad

Ce lien entre l’émerveillement et l’effrayant passe souvent par des enfants. Dans A.I. (2001), cela va un degré plus loin car c’est le nounours de l’enfant-robot, c’est-à-dire l’enfant de l’enfant, qui l’assure en donnant aux extra-terrestres une mèche de cheveux conservée depuis deux mille ans. Cette scène a été écrite par Stanley Kubrick qui fut à l’origine du film avant de le confier à Spielberg.

Faire de chaque film un exploit

Invité en janvier 2012 pour une Master Class à la Cinémathèque française et interrogé par Serge Toubiana, son directeur, et le réalisateur Costa Gavras, Spielberg a révélé une anecdote incroyable. Il doit sa carrière à sa secrétaire, qui lui a fait lire une nouvelle de Richard Matheson publiée dans la revue érotique Playboy. Une nouvelle sur laquelle est basé son premier long-métrage Duel en 1971. Dans les années 1960, 1970, ce magazine proposait de nombreux textes refusés ou censurés par les médias mainstream d’écrivains comme Jack Kerouac, Romain Gary et Ray Bradbury dont le Fahrenheit 451 fut adapté au cinéma par François Truffaut.

Costa Gavras : ‘Vous êtes le metteur en scène qui prouve encore que l’émerveillement est possible avec le cinéma.’

Depuis Duel, Spielberg est à la recherche du monstre trouvé, retrouvé, humain, androïde, animal, dans l’attente où la survie est suspendue à quelques notes de musique. Il propose une vision qui repose, rappelle C. Safra, sur « une dialectique entre le merveilleux et le quotidien » afin de porter le spectateur à un autre niveau. Comme le soulignent les Cahiers du Cinéma, il s’agit de faire de chaque film et de chaque plan un exploit.

Pendant cette même Master Class, Spielberg a raconté que les événements du 11 septembre 2001 l’avaient profondément marqué. D’où son besoin, devenu exponentiel depuis, de mémoire et d’hommage dans des productions spectaculaires. « Vous êtes le metteur en scène qui prouve encore que l’émerveillement est possible avec le cinéma », avait salué Costa Gavras.

La reconnaissance du Cinéma

L’entretien est résumé sur le blog de Serge Toubiana sous le titre « Steven Spielberg adopté à la Cinémathèque française ». « Adopté » est le bon terme, car établir un lien entre le cinéma de Spielberg et ce lieu emblématique du cinéma français était insoupçonnable il y a encore quelques années. Inimaginable aussi qu’il fasse la couverture des Cahiers du Cinéma ! Après la reconnaissance du public, c’est celle de la profession qu’il obtient.

Les Cahiers reviennent ainsi longuement sur la rencontre entre François Truffaut et Steven Spielberg en publiant les lettres du réalisateur français adressées à ses proches sur le tournage de Close Encounters. Spielberg rêvait de confier un rôle à Truffaut après l’avoir vu dans L’Enfant sauvage (1970). Interrogé par Serge Toubiana, il déclara : « François Truffaut montait à l’époque l’Argent de poche. Il m’a recommandé de travailler avec les enfants et que c’était une très belle expérience pour lui. Je n’ai jamais oublié ce conseil ». Les Cahiers le confirment. « Spielberg a été le témoin le plus fiable et le plus inspiré de ce qui se passait alors dans la vie des enfants et dans leur tête », écrivent-ils…

On pourra donc compter sur Spielberg pour donner dans son film une part plus importante à l’enfance de Moïse que ne lui accorde la Torah. Depuis deux mille ans, les Juifs ont souvent dû plier bagages. L’enfant-robot du film A.I. fait tout le contraire. Il reste enfermé dans son hélicoptère amphibie pendant deux mille ans à contempler une statue qui lui permettrait d’exaucer son vœu le plus cher : retrouver sa mère. Il subit le bon vouloir de ses hôtes, se retrouve traqué et finit par se sauver en se jetant à l’eau. L’interprétation de Moïse par Spielberg pourrait bien plus ressembler à A.I. qu’à un film dit « à thématique juive ».