La commémoration de l’attentat de Pittsburg  |  Israël terre de tourisme !  |  Le monde change. L’Arche aussi. L’édito de Paule-Henriette Lévy  | 
France

Le vote juif et les votes juifs

Participation forte, rejet des extrêmes et accompagnement des tendances générales, telle est l’image qui se dégage d’une enquête du Cevipof.

Aborder le comportement politique des juifs dans le débat public suscite quelques réserves. Des réserves citoyennes : la République reconnaît les droits civiques des individus, pas ceux des groupes. Mais étudier les attitudes politiques d’un groupe ne saurait remettre en cause l’édifice républicain, pas plus celles des juifs que d’autres. Des craintes : mettre à jour le vote juif présenterait le risque de stigmatisation d’une communauté par identification à un camp politique. Pire, d’accusation de communautarisme. Connaître au contraire la réalité des faits permet de répondre. Des réserves de méthodes : appréhender les juifs comme objet sociologique impose de les cerner et de les définir, surtout pour établir des échantillons et mener des études quantitatives. Or le fait juif ne se réduit ni à sa dimension ethnique, religieuse, culturelle ou politique. La définition reste un problème. Un problème juif assez insoluble par ailleurs, mais l’obstacle ne saurait réduire à néant toute tentative d’étude. À partir d’enquêtes par sondages récentes – de telles données scientifiques sont rares – des tendances fortes émergent, donnant des éléments pour le débat.

Les juifs votent

Les citoyens juifs sont de bons républicains. Ils participent davantage aux élections que l’ensemble de la population, conscients qu’une partie de leur destin particulier se joue dans la collectivité nationale. Avec une participation de dix points supérieure à la moyenne pour tous les types d’élections, nationales ou locales. Le processus du vote juif s’approche de celui des protestants, participationnistes. Se distingue du vote des musulmans, plus abstentionnistes. Mais contrairement aux catholiques où la pratique religieuse s’accompagne d’une hausse de la participation, ce phénomène ne se retrouve pas parmi les juifs pratiquants. Pas à un paradoxe près, les juifs font la distinction entre théologie et politique.

Le vote des juifs

Le communautarisme ne saurait, dans sa version électorale, constituer une accusation fondée. Dans le vote des citoyens juifs, les motifs d’intérêt général l’emportent sur les préoccupations identitaires. La majorité des juifs prennent d’abord en compte dans leur vote, les orientations politiques ou la personnalité des candidats (47 %), une minorité cite comme priorité la situation des juifs en France ou la question d’Israël (35 %). Cependant, la tentation du repli communautaire existe à la marge. À mesure que croît la pratique religieuse ou la fréquentation des instances communautaires, les motivations spécifiquement juives l’emportent sur les préoccupations générales.

Le vote juif comme fausse réserve électorale

Les citoyens juifs votent mais ne font pas le vote. Avec environ 1 % de la population, une avance de 10 % de voix dans l’électorat juif représente pour un candidat donné, un gain national de 0,1 %. Pas de quoi faire une victoire. Misère statistique face à la tentation de la stigmatisation de l’influence du vote juif. D’autant que le comportement électoral des juifs ne diffère pas tant de celui du reste de la population.

Les votes des juifs marqués par la modération

La caractéristique essentielle du vote juif est la modération et le rejet des extrêmes. Les citoyens juifs votent surtout pour les PDG, ces fameux « Partis De Gouvernements » (essentiellement PS, MoDem, UMP), et contre les représentants des forces hors système (Chasseurs, Extrême Gauche, PC, FN). Le vote juif, s’il existe, est un vote de recentrage, comme le montrent les résultats aux présidentielles récentes. Plus la société cède à l’extrémisme, comme ce fut le cas en 2002 où le vote Le Pen et le vote d’extrême gauche atteignirent des sommets, plus les citoyens juifs vont à l’encontre de la tendance générale.

Un accompagnement des tendances

Savoir si le vote juif est un vote de droite ou de gauche ou d’ailleurs est presque une question seconde. Les indications disponibles ne sont pas entièrement satisfaisantes ou fiables. Il en ressort néanmoins que les citoyens ont tendance à suivre ou accentuer les évolutions électorales du pays. En 2002, les juifs auraient voté à 43 % à gauche, contre 45 % pour le reste du pays. En 2007, la France passe à droite, 64 % des électeurs votent pour un candidat de droite ou du centre, les juifs suivent à 66 %. Somme toute, ils accompagnent des évolutions politiques sans qu’il soit possible de savoir si la droitisation des juifs est ou non durablement comme le veut une idée dominante.

Un prisme déformant

Cependant, la communauté active offre un prisme déformant des attitudes politiques des juifs. Les plus impliqués dans la communauté ou les plus pratiquants sont deux fois plus nombreux à se sentir proches d’un parti de droite que les moins actifs dans la vie communautaire. Mais parmi eux, l’équilibre entre gauche et droite demeure. Il existe un décalage de sensibilité politique entre la communauté active et les citoyens juifs moins impliqués dans les instances communautaires. Cette ligne de fracture interne a pour conséquence de laisser voir par le prisme communautaire, une communauté plus orientée à droite de l’échiquier qu’elle ne l’est dans sa grande diversité. Les études sociologiques ont cela de formel, elles insistent toutes sur la pluralité politique des juifs de France. Le Cevipof (Centre d’étude de la vie politique). ne s’y est pas trompé en intitulant sa note « les votes juifs ». Cette pluralité est en définitive la meilleure réponse à tous les préjugés concernant les comportements politiques des juifs, pluriels comme leurs identités.

 

Philippe Chriqui est analyste et consultant politique, directeur d’ « Expression publique ».

 

Sources :

«Les votes juifs», Centre d’Étude de la vie politique française, février 2012, avec le CNRS, Sciences Po et l’Ifop. Cumul de données de sondages de 2002 à 2012.

«La condition juive en France», Dominique Schnapper, Chantal Borders-Benayoun, Freddy Raphaël, PUF 2009. Enquête quantitative de terrain par questionnaire dirigée par les auteurs.