Il faut garder à l’esprit, par les temps qui courent, la conduite digne de François Hollande au lendemain de l’attentat de Toulouse. Son attitude au dîner du CRIF. Sa réaction au moment de la libération de Gilad Shalit.
Sur Israël, comme le rappelle opportunément Frédéric Encel dans le numéro de l’Arche qui vient de paraître, ses déclarations n’ont jamais été marquées ni par l’excès, ni par l’indignation sélective, ni par l’amalgame. Elles sont au contraire mesurées et souvent de bon sens. Il est même allé jusqu’à faire savoir qu’il n’aurait pas voté la reconnaissance de la Palestine à l’Unesco comme l’a fait Nicolas Sarkozy.
Cela dit, les « tropismes » de la gauche en la matière depuis quelques années ne sont pas très rassurants. On devrait lire ou relire à ce sujet un essai stimulant et intelligent paru peu avant l’alternance et signé d’un homme de gauche italien, philosophe et essayiste, qui invite sa famille d’esprit à s’engager sans relâche à chercher « de nouveaux contenus qui soient à hauteur des temps » et à « inventer de nouvelles bonnes raisons pour être (ou rester) à gauche » (Le monstre doux chez Gallimard)
Et dans son élan pamphlétaire contre ses amis, Raffaele Simone évoque l’attrait pour des causes douteuses : « Qu’y a-t-il précisément « de gauche » dans la cause palestinienne et dans quel sens la gauche se sent-elle obligée de s’y investir politiquement ? » C’est un mystère pour beaucoup (y compris pour l’auteur de ces lignes). S’il s’agit de soutenir une cause planétaire, dans le scénario mondial, il y en a beaucoup d’autres plus proches des idéaux de la gauche, par exemple celle des peuples des Andes et des Indiens d’Amérique. D’ailleurs, les valeurs typiques de l’islamisme (y compris de celui que l’on qualifie de modéré) sont à l’opposé exact de celles que la gauche devrait, par nature, soutenir : la liberté de penser et d’expression, l’éducation critique, la laïcité, la parité entre les sexes, les droits politiques et civils, la séparation des pouvoirs, le développement économique. L’illustration la plus évidente de cette propension est donnée par la sympathie durable pour la cause palestinienne qui est ensuite passée à la cause arabe in toto et qui, chez certains, par une évolution non-dénuée de cohérence, s’est transformée en une bienveillance voilée envers « l’islamisme radical ».
Le constat est dur (je remercie Philippe Chriqui de m’avoir conseillé cette lecture), et vise juste sur bien des points. Il module le jugement en disant « chez certains ». Et on peut difficilement mettre en doute le fait que François Hollande et tous les membres de son premier gouvernement sont à l’abri de ce type de dérives. Mais peut-on en dire autant de « certains » qui auraient pu y entrer, ou d’autres qui pourraient encore le faire ? Rien n’est moins sûr.
Nous consacrons, dans ce numéro, un dossier aux juifs américains. Le judaïsme français et le judaïsme américain sont très éloignés l’un de l’autre, aussi éloignés que peuvent l’être les deux sociétés. Les histoires ne sont pas les mêmes, les contextes sont différents, la laïcité d’un côté de l’Atlantique et le sécularisme de l’autre n’ont pas le même sens. Et pourtant, on le verra en lisant les différentes contributions, notamment l’entretien avec André Kaspi et le texte qu’a bien voulu nous donner le prix Nobel de la paix Elie Wiesel, sur bien des points, les enjeux qui viennent sont similaires.
Le déclin démographique d’abord, dû aux non-mariages, aux mariages tardifs ou aux mariages mixtes. Une étude récente révélait que 2 345 000 Américains affirment avoir un grand-parent juif mais n’être pas juifs eux-mêmes. De sorte que si ces descendants l’étaient restés, juifs – à l’instar par exemple du sénateur John Kerry ou de Mme Madeleine Albright – l’image du judaïsme américain eut été différente. Pour la première fois, la population juive d’Israël dépasse aujourd’hui celle des États-Unis. Mieux, il y a plus de juifs qui vivent dans le grand Tel Aviv que dans le grand New York. C’est une mutation considérable.
Dans le même temps, la crise, les changements démographiques, la perte d’identité, les incertitudes politiques coexistent avec une effervescence dans tous les domaines. Ce qui caractérise le judaïsme américain, c’est l’extraordinaire capacité d’adaptation, l’aptitude à analyser les problèmes auxquels il a à faire face et à trouver les solutions adéquates.
Dans un livre récent intitulé Réinventer le judaïsme américain, Jonathan Sarna, historien et professeur à l’Université de Brandeis, donne la clé de cette vitalité : « La crainte permanente pour la survie du judaïsme aide à préserver cette survie. »
Avec leurs différences fortes, sur ce plan-là du moins, les deux communautés juives sont proches et doivent affronter les mêmes enjeux.