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Le Billet de Frédéric Encel

Syrie : Les risques de la partition

Bashar el Assad et la masse critique géopolitique

Assad finira bien par tomber. Sentence définitive répétée ad nauseam par tant d’observateurs avisés depuis dix-huit mois maintenant ! Certes, a-t-on envie de répondre avec une pointe de sarcasme, tout comme son décès finira bien par se produire, tout comme chaque régime politique au monde finira bien par chuter, tout comme il finira bien par pleuvoir… Une analyse géopolitique sérieuse ne souffre guère ce genre de pauvres pronostics traduisant à la fois paresse intellectuelle et absence de considération du temps comme facteur déterminant. L’auteur de ces lignes n’a quant à lui cessé d’affirmer depuis les débuts de la contestation syrienne – dans ses chroniques géopolitiques quotidiennes sur France Inter (étés 2011 et 2012, podcastables), dans Le Figaro dès le 29 août 2011 et à travers nombre d’autres grands médias depuis – qu’il était improbable que le dictateur baasiste tombe à courte échéance.

Car il possède encore, à l’heure où s’inscrivent ces lignes (26 août), une masse critique suffisante pour espérer se maintenir un temps. En géopolitique, la masse critique d’un régime est constituée de l’ensemble de ses fondements, de ses atouts structurels, dans tous les champs d’exercice du pouvoir, militaire évidemment mais aussi diplomatique, démographique ou encore économique. Exemples. Sur le plan militaire, il est vrai qu’une trentaine de généraux ont déserté, mais il en est reste plus de deux cents. En outre, les insurgés ont bien capturé quelques blindés et possèdent à présent des fusils et des munitions en quantité, mais Assad dispose de centaines de chars lourds, de nombreuses pièces d’artillerie et d’une aviation redoutable. Sur le plan diplomatique, certes plus de cent pays – dont de grandes puissances – se sont récemment retrouvés à Paris pour agonir le pouvoir assassin en place à Damas, mais cet aréopage pèse très peu en droit international face aux vetos russe et chinois déposés à trois reprises au Conseil de sécurité des Nations unies. Sur le plan économique, même contraignantes, les sanctions commerciales occidentales sont au fond assez peu efficaces sachant que l’Iran, la Chine et la Russie achètent des produits syriens en grande quantité…

Face à ces réalités, les incessantes condamnations internationales, la suspension de la Ligue arabe ; la perte de l’allié turc ; de lourdes sanctions économiques ; la mort d’un ministre de la Défense (dans des conditions du reste douteuses) ; la défection d’un Premier ministre et de plusieurs ambassadeurs ou encore l’effondrement des investissements et du tourisme, constituent des coups durs mais pas décisifs. On pourrait ajouter qu’au sein de la population syrienne, d’importantes minorités continuent à ne pas participer à une révolte très majoritairement sunnite. Chrétiens, Druzes, Kurdes et autres craignent comme la peste l’avènement d’un pouvoir islamiste revanchard et oppressif. Quant aux Alaouites, ils se battent à la vie à la mort et pensent n’avoir d’autre choix que de suivre jusqu’au bout leur leader confessionnel.

Et à la fin des fins, il n’est même pas dit que lorsque Bashar el Assad considérera objectivement ne plus pouvoir inverser les rapports de force, on assistera à un exil humiliant façon Ben Ali ou Moubarak. Car le pays alaouite, zone montagneuse aisément défendable et majoritairement peuplée d’Alaouites, a le grand avantage géographique d’être l’unique zone maritime de Syrie ! Autrement dit, replié en (plus ou moins) bon ordre après négociations sous l’égide de Moscou, le despote pourrait aller constituer avec son clan et le cœur de ses troupes un mini-État sur ce territoire d’autant plus viable qu’ouvert sur la mer et donc sur un soutien russe pérenne… Un tel scénario – parfaitement crédible – modifierait la face du Moyen-Orient, en cela qu’il introduirait un grave précédent en termes de morcellement territorial du monde arabe sur une base ethno-confessionnelle ; en effet, après une partition de la Syrie pourtant ultra-centralisée et depuis longtemps dominée par le nationalisme baasiste, quid du Liban, de l’Irak, du Yémen réunifié, voire de la Libye ?

Nous n’en sommes pas encore là. Mais si cette perspective devait s’imposer, elle présenterait au moins deux avantages intellectuels : d’abord pousser à l’humilité et au sérieux les pronostiqueurs à la petite semaine se piquant de géopolitique, ensuite et surtout calmer les traditionnels prophètes de malheur parmi les amis d’Israël. François Mauriac avait dit en son temps : « J’aime tellement l’Allemagne que je suis heureux qu’il y en ait deux ». En cas de partition de la Syrie, nul doute qu’à Jérusalem on prendrait à son compte et avec raison la délicieuse expression…