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France

La politique scientifique visionnaire de PMF

Le prix Nobel de Serge Haroche et les remarquables recherches scientifiques françaises doivent beaucoup à l’ambition d’un homme pour son pays. Peu connue du grand public, la contribution de Mendès France à la définition et à l’élaboration d’une grande politique de la recherche scientifique est un élément essentiel du mendésisme.

C’est de Gaulle qui aux yeux de tous a lancé une politique systématique et efficace de la recherche en en fixant les structures, en multipliant les crédits et les domaines d’intervention de l’Etat. Son action ne peut toutefois se comprendre si on ne voit pas qu’elle est le prolongement de l’action de Mendès France. La phase gaullienne est ici inséparable de la phase mendésienne. L’ensemble de décisions, d’innovations et d’investissements, qui, sous le principat du général de Gaulle a donné pour un tiers de siècle son élan à la recherche scientifique française, a été l’aboutissement d’une grande aventure collective animée par Pierre Mendès France à partir de 1953-1954, et qui était elle-même le fruit d’une réflexion politique et intellectuelle tout à fait originale.

Le credo radical de Mendès France, qui s’inspire de l’époque des Lumières, le rattache, on le sait, aux grands ancêtres comme Condorcet et Jules Ferry et à leur volonté d’éduquer la nation. Il leur doit la conviction que la divulgation du savoir est nécessaire à la fois au bon fonctionnement démocratique et à la grandeur et à la richesse des nations. Mais son expérience du Tiers Monde et sa volonté de rénover l’économie française l’ont amené à renouveler et à élargir cette vision traditionnelle. Il est partisan d’un volontarisme qui doit à la fois planifier l’économie et libérer le pays des contraintes administratives et des freins sociaux qui entravent le progrès et limitent la productivité. Il considère en même temps que ce qui, depuis la Renaissance, a fait la fortune des nations, et en particulier les grandes aventures maritimes et coloniales, est quelque chose à quoi doivent désormais se substituer les découvertes scientifiques, seules capables de stimuler la vitalité des industries de pointe et de maintenir un pays moderne à son rang parmi les nations. Il s’agit d’un véritable corps de doctrine qui, au milieu du XXe siècle, est tout à fait neuf.

Alors que la recherche scientifique n’aura jamais été pour de Gaulle qu’un moyen parmi d’autres de la grandeur nationale, elle fait partie chez Mendès France d’un système de pensée : elle doit, selon lui, être reconnue comme une priorité nationale ouverte aux disciplines nouvelles que négligent les universités françaises ; elle exige l’intervention et le soutien de l’Etat et ses progrès sont conditionnés par le recours à toutes les réserves d’intelligence du pays, c’est à dire à l’accès massif des jeunes des couches populaires à l’enseignement secondaire et aux enseignements supérieurs.

Cette doctrine il la définit non seulement dans des articles et des discours, mais lorsqu’il arrive au pouvoir, en créant, ce qui n’était plus le cas depuis Léon Blum en 1936, un secrétariat d’Etat à la recherche scientifique et un Conseil supérieur de la recherche scientifique. Ecarté du pouvoir, constatant que ses successeurs ne donnent pas suite à ces initiatives, il organise des états généraux de la recherche scientifique : le colloque de Caen de 1956 définit une politique de l’enseignement et de la recherche scientifique. L’année suivante, le colloque de Grenoble qu’il préside, met l’accent sur les relations Université-Industrie. Sous son égide se crée une Association pour l’expansion de la recherche scientifique à laquelle adhérent aussi bien le CNPF que les syndicats d’enseignants et l’UNEF. Il dépose sur le Bureau de l’Assemblée nationale des propositions qui ne sont même pas discutées en commission.

C’est dire que le programme de développement scientifique mis en œuvre avec un succès remarquable au cours des années de Gaulle est un héritage de la volonté de modernité de Mendès France, affirmée durant les six années qui ont précédé le retour au pouvoir du Général.  L’élan qui a été donné sur la base des conceptions de Mendès France et par l’action de De Gaulle s’est essoufflé autour des années 2000, ce qui pose aujourd’hui un sérieux problème. Alors que la France est en pleine phase de désindustrialisation, une recherche scientifique active est une condition de sa relance dans la compétition internationale.

Propos recueillis par Steve Krief

Le 14 novembre prochain parait le livre de Jean-Louis Crémieux-Brilhac : « La politique scientifique de Mendès France, une ambition républicaine » aux éditions Armand Colin. Avec quatre textes en annexe de PMF sur le sujet.