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Le noeud gordien

Les salafistes, aussi peu nombreux soient-ils, font peser une menace sur la Tunisie.

« J’aime la France, mais je suis accablé, scandalisé, blessé, indigné par l’image qu’on y donne de la Tunisie, à savoir un pays qui va basculer dans l’escarcelle de l’islamisme, qui est sur le point de verser dans le salafisme. Le moindre petit incident, qui n’a strictement aucun impact sur la société tunisienne, est grossi, comme cette malheureuse attaque d’un élu français qui a déclenché un branle-bas de combat médiatique. Je ne veux pas dire que ce n’est pas un acte condamnable, mais il y a des millions de touristes en Tunisie et ils ne sont jamais agressés. Les salafistes ont parfaitement compris cela et ils vont nous mettre la pression. Ces incidents sont insignifiants pour ce qui est de leur capacité à transformer la société tunisienne, mais ils sont malheureusement hypersignifiants par leur capacité de nuisance sur l’image de la Tunisie. »

Voilà une partie de l’interview donnée par le Président Tunisien Moncef Marzouki au Figaro et publié le 9 septembre 2012.

La défense proposée par le Président tunisien est intéressante et mérite que l’on s’y arrête, car elle est au nœud de l’incompréhension grandissante entre militants tunisiens de tous bords et opinion française. Touriste agressé, menaces antisémites répétées, exposition saccagée… Les incidents qui ternissent régulièrement la Tunisie résultent-ils de la nouvelle orientation islamiste ou sont-ils la rançon minimale (et « insignifiante ») de la transition démocratique et globalement sans heurts se déroulant actuellement en Tunisie?

Pour nous convaincre, le Président développe en substance la défense suivante : les menaces des islamistes sont marginales en nombre et sans portée symbolique et ce sont les médias français qui au prix d’ « un branle-bas de combat » vont relever ces évènements pour conforter l’hypothèse d’un pays sur le point de basculer dans l’islamisme.

Notons d’abord que cette argumentation ne tient que si Marzouki évoque cette agression en taisant les très nombreuses atteintes aux libertés se déroulant sur le sol tunisien chaque jour (et sur lesquelles d’ailleurs la journaliste l’interrogera par la suite, montrant les limites de cette argumentation).

L’argument de l’insignifiance doit également être contesté. Il y a quelques mois, alors que je participais à une rencontre à Paris avec des responsables de l’opposition tunisienne, c’est ce même argument qui m’avait été opposé alors que je m’inquiétais des menaces antisémites qu’énonçaient chaque jour plus clairement les islamistes tunisiens.

S’il y a bien une constante dans l’histoire politique moderne, c’est que les menaces les plus graves qui pèsent sur une démocratie sont toujours le fait de groupes ultra-minoritaires. En conséquence, les salafistes aussi peu nombreux soient-ils font potentiellement peser une menace importante sur le reste de la société. Mausolées à Tombouctou, Budhas géants en Afghanistan, exposition et université en Tunisie: partout dans le monde, c’est à la dimension symbolique que les islamistes fanatisées s’attaquent prioritairement. « Un peuple qui ne sait plus interpréter ses propres symboles devient étranger à lui-même et perd foi en son destin » nous rappelle l’écrivain Adiaffi. Ces attaques symboliques n’ont donc rien d’insignifiantes, mais répondent à un projet de déstabilisation identitaire et politique des tunisiens.

Remarquons enfin que Marzouki déplace les inquiétudes de l’opinion française sur un terrain qui lui est plus avantageux. En effet, l’opinion française ne craint par une dérive salafiste à venir mais s’inquiète des ravages du pouvoir islamiste présent. La France sait bien que le salafisme est ultra-minoritaire dans le pays, mais dénonce le jeu d’équilibriste indigne auquel se livrent en permanence les islamistes au pouvoir, entre salafistes violents et forces démocratiques balbutiantes. Pour s’en convaincre, on se souviendra par exemple de la réaction timorée des autorités au saccage de l’exposition du printemps des Arts en juin dernier à Tunis ou la gestion calamiteuse du ministère de l’enseignement supérieur de l’affaire du port du Niqab à l’université.

Ce qui inquiète l’opinion française, c’est la vision dont témoigne régulièrement l’attitude du pouvoir islamiste, à savoir que 2 projets de société se valent, et qu’il faudra trouver un compromis entre forces obscurantistes ultra-minoritaires et violentes et défenseurs des libertés individuelles de tous bords. Ce qui devait arriver arriva : Moncef Marzouki sert aujourd’hui les intérêts des islamistes davantage qu’il ne les empêche.