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Israël

Un France 24 israélien

Dans quelques mois, Israël aura sa propre chaîne d’information internationale multilingue. Le français Frank Melloul, ex-directeur de la stratégie de France 24 et spécialiste de la diplomatie publique, en est le PDG. Il livre à L’Arche sa vision de ce projet.

 

L’Arche : D’où est venue l’idée de cette chaîne internationale Israélienne ?

Frank Melloul : Je crois qu’aujourd’hui, parmi les plus grandes menaces auxquelles Israël doit faire face, il n’y a pas seulement l’Iran, mais aussi la campagne de délégitimation qui est de plus en plus grandissante. Plus les années passent, plus les gens sont instruits, plus le monde a accès à l’information par la globalisation et, malgré tout, plus il y a de gens qui pensent qu’Israël n’a pas le droit d’exister. Je crois que cette menace est importante parce qu’elle a une dimension stratégique, en diminuant la portée de la légitime défense d’Israël. L’arme de destruction massive pour lutter face à cette menace est une chaîne de télévision internationale. Il s’agit de montrer au monde qu’ aujourd’hui, si l’on veut faire la paix, il faut d’abord comprendre ce qui se passe, que la réalité est beaucoup plus complexe qu’on ne le pense et qu’Israël a des valeurs et des principes à défendre. Cette chaîne d’information internationale a pour vocation de contribuer au rayonnement international d’Israël à travers sa culture, à travers sa diversité et aussi à travers sa politique. L’idée est venue de Patrick Drahi, un homme d’affaires, qui m’a convaincu de relever ce défi parce que je pense qu’aujourd’hui il est temps pour Israël d’avoir une chaîne qui contribue à son rayonnement à l’international.

A quel horizon cette chaîne sera-t-elle lancée ?

Au premier semestre 2013.

Avez-vous déjà une idée de la grille des programmes ?

C’est une chaîne qui traitera essentiellement de l’actualité internationale, et qui traitera aussi de l’actualité israélienne. Elle devra s’inscrire dans le zapping des chaînes d’information internationale donc elle répondra à leurs standards et leurs critères. C’est une chaîne qui se basera sur des news, sur des talk-shows et sur aussi beaucoup de magazine. Elle mettra beaucoup en avant la culture, parce qu’en Israël, on considère que la culture contribue autant au développement des civilisations que l’économie.

A-t-elle déjà un nom ?

Pas encore officiellement…

Il est question, peut-on lire dans votre présentation, d’une chaîne cherchant à contribuer au « rapprochement des peuples du monde ». Sous quelle forme comptez-vous mettre en application cette idée ?

Je suis un spécialiste des questions de diplomatie publique, c’est l’une des raisons pour lesquelles on m’a demandé d’occuper cette fonction. Je considère qu’aujourd’hui tout le monde a accès à l’information, et, que l’on regarde CNN, la BBC, France 24 ou Al Jazeera, je note que ce sont toujours les mêmes images que nous voyons. Mais la perception de ces images n’est pas la même suivant l’endroit où l’on se trouve. Que l’on soit à Washington, Bagdad, Gaza, Tel Aviv ou à Paris, la vision n’est pas la même, il est donc important d’apporter une grille de lecture à ces images. La vocation d’une chaîne d’information internationale c’est de porter une pédagogie, un autre regard sur l’actualité internationale. Je crois qu’ aujourd’hui ce qui est important de montrer au monde, c’est la réalité d’Israël, le fait que ce pays a une opinion, un point de vue sur ce qui se passe dans le monde, pour que l’on puisse voir aujourd’hui cet Etat avec un autre regard, comme une démocratie du Moyen-Orient, qui partage souvent des valeurs qui sont communes à plusieurs peuples du monde, que l’on se trouve en Afrique, au Moyen-Orient, en Europe, en Amérique ou en Asie, et de mettre en avant ces valeurs.

Vous semblez avoir envie de briser des clichés sur Israël. Lesquels et comment ?

Je pense qu’aujourd’hui cette campagne de délégitimation se fonde d’abord sur les préjugés, et que l’objectif d’une chaîne comme celle-là est de les casser. Un préjugé généralement se fonde sur l’ignorance. Il faut donc faire connaître, faire savoir. Il faut le faire avec beaucoup d’humilité, sans arrogance, mais ce qui est important aujourd’hui est non pas de refaire l’histoire, mais de raconter l’histoire. Pouvoir mettre sur chaque satellite un drapeau israélien, pour une chaîne qui justifie l’existence d’Israël et défende sa légitimité, c’est déjà une avancée notable. Mais ce qui est important aussi, par exemple quand il y a une opération de l’armée Israélienne, c’est de montrer que cette opération se fonde sur quelque chose, sur un élément déclenchant et détonateur. La vocation, c’est non pas de dire qu’Israël ne bombarde pas Gaza, mais c’est d’expliquer pourquoi Israël entame une campagne à Gaza, c’est de montrer qu’avant cela, il y a eu des centaines et des centaines de roquettes qui ont été tirées sur l’Etat d’Israël. Il ne s’agit pas d’avoir une vision partisane mais de remettre tous les évènements dans leur perspective.

On imagine que vous traiterez également d’autres sujets d’actualité ?

Absolument, on trouvera effectivement des news, qui seront à 70% internationales, pour montrer qu’Israël s’intéresse aussi au monde. Vous aurez aussi des informations qui traitent de la région, et principalement d’Israël, parce que c’est une partie qui aussi intéresse le monde. Donc je dirais que l’objectif de cette chaîne est à la fois de connecter Israël au monde, et de connecter le monde à la réalité Israélienne.

En quelles langues seront diffusés les programmes ?

En français, en anglais et en arabe. Le multilinguisme n’est pas seulement une nécessité, il est stratégique. Porter le message que je viens de vous expliquer, c’est très bien, encore faut-il qu’il soit entendu et compris. La langue est essentielle pour pouvoir atteindre les cibles qui sont les nôtres. Nous choisissons donc le français parce qu’Israël a un attachement indéniable à la francophonie, et aussi parce que l’Afrique Francophone, ainsi que le Maghreb, sont des parties du monde qui nous intéressent, tout comme les pays francophones d’Europe. Nous choisissons l’anglais parce que c’est la langue la plus parlée des leaders d’opinion dans le monde, et donc pour toucher le bassin le plus large des consommateurs de chaines d’information internationale. Et l’arabe parce qu’il y a cette volonté justement de contribuer au rapprochement des peuples en essayant de toucher ceux qui aujourd’hui sont instrumentalisés par des chaînes comme Al Jazeera ou comme Al Arabia qui défendent des valeurs qui ne sont pas celles d’Israël.

Ce sera finalement le modèle quasi exact de France 24 ?

Un peu, oui.

Est-ce qu’il y aura des journalistes français qui vont rejoindre cette chaîne ?

C’est trop tôt pour vous le dire aujourd’hui. Je sais en tout cas que le buzz de l’annonce de cette chaîne a suscité chez des journalistes français très connus une envie de contribuer d’une manière ou d’une autre à son succès.

Quelques noms ?

Je ne peux pas vous en donner pour l’instant…

Comment fonctionnera le financement de la chaîne ?

C’est une chaîne qui sera financée par des fonds privés, ce qui permettra en fait de respecter certains principes qui constitueront sa ligne éditoriale. C’est tout d’abord l’indépendance, il ne s’agit pas d’une chaîne gouvernementale ou d’une chaîne de propagande. C’est une chaîne aussi qui se veut ouverte sur le monde, avec cette envie d’exporter Israël dans le monde, et qui se veut de proximité, avec cette volonté d’aller toucher ceux qui aujourd’hui sont instrumentalisés par des puissances étrangères, par des idéologies radicales. Je veux simplement préciser, parce que c’est important, qu’aujourd’hui, tout le monde a sa chaîne d’information internationale multilingue. La France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, les Américains, mais surtout les puissances émergentes comme la Chine, la Russie, la Turquie et l’Iran ont la leur. Je pense qu’aujourd’hui ce n’est pas un luxe pour Israël, c’est une nécessité d’avoir une chaîne qui porte haut et fort sa réalité sur la scène médiatique internationale.