La vie de combats de Michel Stilinsky s’est achevée le samedi 8 décembre 2012, à 87 ans. Ses recherches furent essentielles pour établir les accusations contre Maurice Papon, seul haut fonctionnaire français condamné pour son rôle dans la déportation de Juifs durant l’occupation.
Véritable historien autodidacte, Michel Slitinsky avait commencé sa « recherche pour la vérité » dès la libération, en n’hésitant pas, en 1945, à porter plainte contre les policiers qui arrêtèrent sa famille à Bordeaux avant qu’il n’entre dans les rangs de la Résistance. Si sa mère et sa sœur échappèrent à la déportation, son père mourra à Auschwitz en 1942. La plainte est classée sans suite mais il entame dès lors les recherches qui le mobiliseront toute sa vie. Il écume les archives de province, amasse les preuves, et découvre les dossiers familiaux des Juifs ayant fait l’objet d’enquêtes administratives ou de police en Gironde. « Dans toute la France ces dossiers étaient passés au pilon, mais à Bordeaux, ils n’étaient même pas classés », révélera-t-il. C’est ainsi qu’en 1981, il transmet au Canard Enchaîné des documents signés de la main de Maurice Papon, alors ministre du Budget de Valéry Giscard d’Estaing, tendant à prouver sa responsabilité dans l’arrestation et la déportation de 1 690 Juifs de Mérignac, en Gironde, vers Drancy, entre 1942 et 1944. Persuadé que Papon est allé au-delà des instructions allemandes pour faire de nouvelles victimes, dont des enfants, Michel Slitinsky, avec son ami d’enfance Maurice-David Mattisson et l’avocat Gérard Boulanger portent « l’affaire Papon » devant les tribunaux en déposant, fin 1981 début 1982, les premières plaintes pour crimes contre l’humanité. Elles aboutiront au procès fleuve (8 mois), qui s’ouvrira le 8 octobre 1997 devant les Assises de Gironde, et qui s’achèvera sur la condamnation à 10 ans de prison contre l’ancien haut fonctionnaire pour « complicité de crime contre l’humanité ». Maurice Papon purgera 3 ans de prison avant d’être libéré en 2002 pour raisons de santé.
Selon l’ancien président de la LICRA, Georges Bouhana, qui fut partie civile à ses côtés lors du procès, « son combat n’était pas de punir M. Papon mais que la vérité soit dévoilée au grand jour. Il était important pour les générations futures de connaître le passé et surtout l’excès de zèle de cet homme qui a été ministre et Préfet de Paris. » Cette quête de vérité a aussi été relevée par le maire de Bordeaux, Alain Juppé, qui a déclaré que « des années de recherches, une quête permanente et acharnée de témoignages sur les agissements criminels de nos concitoyens pendant la Seconde Guerre mondiale avaient fait de M. Slitinsky le porte-parole d’une communauté en attente de reconnaissance et de vérité », ajoutant qu’avec sa disparition, « c’est une grande voix de résistance et de mémoire qui s’éteint. » François Hollande lui a également rendu hommage en soulignant que « la France perd l’un de ses plus fidèles serviteurs et un défenseur inlassable de la Justice. »
Michel Slitinsky a été inhumé au cimetière juif de Bordeaux.
Nathan Rivière