Rencontre avec l’écrivain de passage à Paris pour la promotion de son quatrième roman traduit en langue française Le silence de Tamar aux éditions Yodéa
Le silence de Tamar est le troisième tome de la trilogie harédie de Naomi Ragen, après Fille de Jephté et le célèbre Sotah. Naomi Ragen nous fait pénétrer, comme personne, au cœur d’une communauté qui vit au rythme des rites ancestraux, dans le respect scrupuleux des commandements de la Torah. C’est avec tendresse, mais sans complaisance, qu’elle dépeint cette communauté, dénonce ses dérives, et tout particulièrement les violences faites aux femmes. Naomi Ragen est l’un des trois auteurs les plus populaires en Israël.
Pour nous permettre de mieux comprendre votre littérature, pouvez-vous nous décrire les grandes lignes de votre vie ?
Je suis née à New York en 1949 dans une famille non religieuse mais traditionaliste. Nous allumions les bougies le vendredi soir mais ensuite nous regardions la. Mon père est mort alors que j’avais seulement six ans. Ma mère s’est retrouvée alors avec trois jeunes enfants à charge. Elle a décidé de m’envoyer dans une école religieuse car nous vivions dans un quartier très pauvre où les écoles avaient mauvaise réputation.
Cela a-t-il été votre premier contact avec le judaïsme ?
Oui, mon premier contact avec les juifs religieux et le judaïsme. Je suis tombée amoureuse du judaïsme, de la Torah, des prières, des fêtes, des chants… tout ce qui concernait le judaïsme me paraissait alors absolument merveilleux. C’était extraordinaire pour la petite fille que j’étais d’aller à la synagogue et de contempler les rituels. Cela me permit mieux que tout de comprendre ma judéité. Ainsi, bien plus tard, j’ai décidé de faire mon alyah, non pas pour des raisons idéologiques, mais pour des raisons religieuses.
Dans quelles conditions avez-vous décidé d’écrire votre premier roman ?
J’ai épousé un homme religieux, un étudiant en yeshiva. Nous sommes allés nous installer en Israël en 1971 et avons habité un quartier très religieux de Jérusalem et là, nous sommes entrés en contact avec de nombreuses personnes de ce milieu. L’une des personnes que j’ai rencontrée dans mon voisinage était une mère de six enfants, originaire de Brooklyn. Elle m’a lancé un appel au secours, m’a demandé de l’aide en m’expliquant qu’elle souhaitait récupérer son passeport, confisqué par son propre mari. Lequel la battait, elle et ses enfants, et l’empêchait de retourner auprès de sa famille, à New York. J’ai été stupéfaite et bouleversée que de tels faits puissent se produire dans une famille ultra-religieuse. Comment un homme qui prétendait respecter la Torah et la halacha pouvait-il battre sa femme et ses enfants ? Un des grands chocs de ma vie.
Pour autant, je n’ai pas blâmé la religion juive. Je me suis dit que cet homme ne pouvait être sincèrement religieux, et cela ne devait pas modifier mon propre rapport à la religion. Puis, nous avons changé de quartier et j’ai entendu une autre histoire. Celle d’une jeune femme enceinte que je connaissais puisque nos enfants fréquentaient la même école maternelle. Cette femme s’est rendue au Sheraton de Tel Aviv et a sauté du 27e étage avec son enfant. C’était le sujet de mon premier livre Fille de Jephté, de comprendre le parcours de cette femme. Pourquoi elle avait pris cette terrible décision ? Que lui était-il arrivé ? Les voisins disaient qu’elle était folle, qu’elle avait des problèmes, mais cela était faux. Je connaissais cette femme, elle était parfaitement normale. Mais son mari abusait d’elle et de son enfant. C’était un acte de désespoir total et comme la société ne le comprenait pas, cela m’a poussé à écrire mon premier roman Fille de Jephté.
Si vous êtes à Paris, c’est pour nous présenter le troisième livre de votre trilogie harédie. Quel a été le point de départ de l’écriture de votre dernier roman?
Dans mon premier livre, j’ai dénoncé les abus de la société orthodoxe et je pensais sincèrement que beaucoup de gens apprécieraient une telle franchise. Et que cela serviraient à éviter d’autres drames. Au lieu de cela, j’ai été montrée du doigt. Cherchant à me culpabiliser, on me reprochait de causer du tort à la communauté orthodoxe dont je fais partie. Alors, j’ai écrit un autre livre, Sotah, où le mari, Yéhuda, est l’homme parfait, l’époux idéal. Malheureusement, les gens ont été deux fois plus virulents qu’à la sortie de mon premier roman. Avec mon troisième livre, Le silence de Tamar, j’ai décidé de raconter la stricte vérité, comme un miroir de la réalité, car un livre n’est pas un miroir magique. Un miroir vous montre votre visage, alors il ne faut pas accuser le miroir, mais plutôt changer de visage. En réalité, ce qui gênait était le fait que j’écrive sur cette communauté orthodoxe.
Dans Le silence de Tamar, j’ai décidé de raconter des faits et de ne pas prendre en considération les réactions prévisibles du monde orthodoxe. Un jour, j’ai lu l’histoire, dans un journal israélien, d’un couple très religieux, à Bnei Brak, qui a eu un enfant noir. Le rabbin est allé voir la jeune mère en lui disant qu’il était évident qu’elle avait commis un adultère et tout le monde était très en colère. Le mari voulait divorcer et, finalement, la grand-mère paternelle du bébé, c’est-à-dire la mère du mari, a avoué qu’elle avait elle-même été victime d’un viol vingt ans auparavant, à Brooklyn, par un homme noir, ce qui expliquait la couleur de son petit-fils. Cette histoire vraie a été le point de départ du livre Le silence de Tamar. Ce qui m’a intéressée était de comprendre le silence gardé par cette femme, toutes ces années, et ce qu’il allait advenir de cet enfant.
Quelle est votre actualité en Israël, vous qui tenez une chronique de société très suivie dans le Jerusalem Post ?
Je viens de publier un nouveau roman, en Israël, il y a une quinzaine de jours. Il est déjà numéro 1 sur la liste des best-sellers israéliens. Il a pour titre Désirer le jardin d’Eden, c’est l’histoire de deux femmes, l’une de notre siècle, la seconde du siècle précédent, qui veulent toutes deux devenir religieuses, et au travers de ce livre on apprend comment l’expérience de l’une va influencer le parcours de l’autre.
Nous attendons avec impatience la traduction française !