Le nouveau maire de Jérusalem accorde un entretien à l’Arche. Il s’exprime sur les relations entre laïcs et religieux, parle du dialogue interconfessionnel, dit son ambition pour sa ville, et revient sur un dossier controversé du magazine Time.
Vous êtes maire de Jérusalem depuis 2008. Vous avez fait campagne sur le thème : « nous voulons une autre Jérusalem ». Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui à Jérusalem ?
D’abord, je voudrais vous dire que je suis heureux de m’adresser aux lecteurs de l’Arche et de partager avec vous quelques-uns des faits marquants de Jérusalem. De fait, au cours des quatre dernières années, on a doublé le nombre de touristes et on est passé de deux millions de touristes à quatre millions de touristes par an. Et l’objectif à long terme est de parvenir au seuil de 10 millions de touristes à Jérusalem. L’idée est d’ouvrir la ville au reste du monde, de permettre à chacun de la découvrir, d’investir dans la culture, de « booster » le tourisme. Le tourisme marche bien avec la culture, et nous voulons favoriser un essor de la ville, à la fois pour les touristes et pour les résidents locaux. Nous avons quatre fois plus d’investissements culturels qu’il y a quatre ans. Nous avons doublé le nombre d’emplois, de 5 000 à 10 000 nouveaux emplois sont créés tous les ans. L’économie progresse de 8 % d’année en année à Jérusalem. Tout cela dans un environnement où la situation économique autour de nous, chez nos voisins, est négative. Voyez l’Égypte, voyez la Syrie, l’Iran, l’Irak… Israël est un îlot de sécurité dans ce contexte régional. Et à l’intérieur, Jérusalem se développe très bien, et vous me voyez très heureux de ces développements.
Et puis il y aura bientôt un train de Jérusalem à Tel Aviv. Cela modifiera les choses, on imagine.
Sans aucun doute. Nous investissons maintenant dans le transport public, depuis l’intérieur de Jérusalem jusqu’à l’aéroport – en moins de vingt minutes – et jusqu’à Tel Aviv – en moins de trente minutes. Nous aurons un network. Nous préparons véritablement la ville pour les 10 millions de touristes. Nous allons développer l’hôtellerie et aller plus loin que les 10 000 lits d’hôtels que nous avons en ce moment. Le transport public, l’industrie hôtelière, la culture… Si vous y ajoutez le caractère sacré, spirituel de la ville, tout cela marche ensemble.
Parmi vos prédécesseurs – Kollek, Olmert, Loupilianski – quel est celui qui vous a inspiré ? Quel est celui qui continue à vous inspirer ?
Teddy Kollek, à beaucoup d’égards, est une source d’inspiration pour moi. Je crois, à l’instar de Teddy, que développer la culture à Jérusalem est très utile et peut grandement aider. Et de ce point de vue, nous commençons à remonter la pente. Teddy avait mis en place une sorte de « Conseil communautaire » qui travaillait avec les différents secteurs de la population. Nous avons fait la même chose. Dans chaque quartier, nous avons développé un leadership local pour chacune des communautés. Nous avons différentes priorités dans chacun de ces quartiers. Avant cette interview, je visitais le quartier musulman dans la vieille ville pour déterminer les priorités, et je fais la même chose dans les différents quartiers de Jérusalem. C’est l’approche qui consiste à adapter les services aux différents besoins des différents secteurs. C’est ce que j’aime faire et c’est à quoi je mets toute mon énergie. C’est un concept qui a été initié par Teddy Kollek.
Comment concevez-vous les relations entre laïcs et religieux dans votre ville ?
Les gens me posent toujours cette question et me demandent comment les différences coexistent. Et je réponds que les différences, c’est ce qui fait l’unité de Jérusalem. Le modèle au fond est celui qui a été initié par le roi David à Jérusalem. Quand le peuple hébreu a quitté l’Égypte et est arrivé sur la terre d’Israël, chacune des douze tribus a eu droit à une partie du territoire, exceptée la ville de Jérusalem. Dans la ville de Jérusalem, il y a toujours eu de la place pour des gens différents. Le caractère sacré, la sainteté de la ville ne sont pas achevés si chacun ne s’y sent pas bien. Il y a de la place pour toutes les tribus. Si vous gardez à l’esprit ce qu’a été la force de Jérusalem, la manière dont la ville a fonctionné pendant des milliers d’années, vous vous rendez compte que le « challenge » qui est le nôtre, c’est de montrer comment les gens vivent côte à côte. Il faut apporter les services à chacun à sa manière. Aujourd’hui, Jérusalem est plus ouverte qu’elle ne l’était. Faire plus, permettre le pluralisme dans le respect de chacun, favoriser le développement de la ville est un défi que nous relevons tous les jours dans un travail quotidien. Je pense que si vous posez la question aux résidents musulmans, chrétiens, juifs, laïcs, religieux, ils sont beaucoup plus heureux qu’il y a quatre ans. Non pas l’un sur le compte de l’autre, mais l’un à côté de l’autre. La cité se développe, mais pas sur le dos de qui que ce soit.
Et cependant, vous avez probablement vu la couverture du Time affirmant : « The Holy City has become the ultra Holy City » ! (la ville sainte est devenue ultra-sainte). Cela correspond-t-il à la réalité ?
Ne croyez pas tout ce que vous lisez dans la presse. Vous ne pouvez pas dire cela quand vous voyez comment la cité fonctionne, quand vous voyez le nombre d’événements dans l’espace public. La quantité d’événements proposés est quelque chose de nouveau, et la grande majorité de ces événements est destinée à un large public. Je dois dire que je suis en total désaccord avec ce que dit cet article. La réalité est exactement à l’opposé.
Dans quelle mesure les Arabes de Jérusalem participent-ils à la gestion de la ville ?
N.B : Nous observons aujourd’hui un accroissement du nombre d’Arabes demandeurs d’emplois. La situation économique des Arabes à Jérusalem-Est s’améliore considérablement. La municipalité, avec l’aide du gouvernement, investit dans des constructions modernes. On a créé 400 places nouvelles dans des écoles. La quantité et la qualité de ces investissements augmentent. Vous pouvez vérifier cela, comme vous pouvez constater une bonne coopération avec la municipalité. Il y a naturellement encore beaucoup à faire, mais je crois que nous sommes sur une bonne tendance. Les progrès que nous faisons sur le terrain vont dans le sens d’une philosophie de l’unité de la ville, et ils vont dans le bon sens.
Y compris au sein du Conseil municipal ?
Ils n’ont certes pas de conseillers parce qu’ils ne sont pas électeurs. Ils ont le droit de voter, mais ils ne le font pas. Dans tous les autres domaines pratiques, le Conseil municipal dessert l’ensemble des quatre points cardinaux de la ville. Le personnel de la Mairie vient de tous les quartiers et de tous les horizons. La seule différence, c’est qu’ils n’ont pas de représentants comme ils en ont à la Knesset, mais cela ne change rien à la manière dont nous voulons les servir et dont nous les servons.
Quelles sont les relations entre les religions à Jérusalem ? Y a-t-il un dialogue interconfessionnel ?
Vous pourrez voir cela à plusieurs niveaux. Baladez-vous seulement dans les rues, vous verrez que la coopération se fait tous les jours. Vous allez à l’hôpital, vous voyez des patients, des Nurses, des médecins juifs, chrétiens, musulmans. Pour l’art, c’est pareil. Dans les banques, les hôtels, les restaurants, juifs, chrétiens et musulmans travaillent ensemble et vivent ensemble au quotidien. À la municipalité, c’est la même chose. Il y a un vivre-ensemble. Et une des choses étranges à noter à Jérusalem, c’est que le taux de criminalité est de 1 sur 10 par rapport à Chicago ou à Los Angeles, 1 sur 3 par rapport à New York. La criminalité à Jérusalem a baissé de 18 % en un an. Quand l’économie va bien, la criminalité est en baisse. Nous sommes la ville la plus « Safe » au monde et nous progressons tous les ans. Il est clair pour tout le monde que si le crime baisse, c’est que les gens sont plus heureux. Je suis pour ma part très heureux de cette évolution quotidienne. Quand vous voyez que les églises sont gérées par les chrétiens, les mosquées par les musulmans et les synagogues par les juifs, vous comprenez comment ça marche et vous comprenez que ça marche. Et si ça marche à Jérusalem, c’est un message qui est envoyé au reste du monde : la ville de Jérusalem marche bien pour tous les résidents et pour tous les visiteurs.
Il fut un temps où la communauté française à Jérusalem était bien représentée – André Chouraqui était vice-Maire. Cette communauté est-elle bien intégrée dans la ville ?
J’aime beaucoup la communauté juive française. Je passe beaucoup de temps avec ses dirigeants. Les résidents français de Jérusalem ont une finesse très française. Ils ont une classe particulière. Vous le voyez dans la manière dont ils apportent un style, une élégance, une gastronomie, à la manière aussi dont ils ont façonné l’environnement à leur image. Ils sont un apport immense à la ville de Jérusalem. Nous ne voulons pas seulement faire venir une Alya de France, faire en sorte que des Français établissent leur résidence ici. Nous voulons aussi, compte tenu du fait que nous disposons d’une communauté française importante, attirer un tourisme français. Donc, c’est du gagnant gagnant pour Jérusalem.
On, connaît votre parcours, votre attachement au High-Tech, votre passion pour le marathon, pour le développement des musées à Jérusalem. Quelle place accordez-vous à la culture dans la politique de votre ville ?
Une place majeure. Nous devons réaliser que Jérusalem est au centre du monde, et les gens viennent des quatre coins pour la voir. Mon objectif, c’est d’aller au bout du potentiel de la ville. C’est un objectif ambitieux. Quand je dis : il faut arriver à 10 millions de touristes à Jérusalem, je ne parle pas seulement du tourisme. Je souligne le fait que venir à Jérusalem, ce doit être une expérience « Waoh ! » Cela ne se limite pas aux lieux saints. Il faut enrichir l’expérience. Et enrichir l’expérience, c’est développer les musées qui ramènent les gens à l’histoire, partager avec eux les différentes manières de voir la ville. La culture, les arts, la musique, la spiritualité, tout cela doit aller ensemble. C’est cela qui créera cette expérience « Waoh ! ». Plus nous intégrons notre histoire à cette expérience, plus les gens reviennent plus longtemps. C’est la raison pour laquelle nous investissons de manière considérable dans la culture. C’est juste exploiter le potentiel de Jérusalem.
Quel est votre lieu favori à Jérusalem ?
La cité de David. Au cours des deux dernières décennies, des excavations dans la cité de David ont révélé le lieu où tout a commencé. C’est juste un peu au sud du Mur, dans la vieille ville. Les travaux qui ont été effectués là ont fait émerger et mis au jour des choses nouvelles. Une ville a été révélée. On la restaure pierre par pierre et ces travaux racontent comment les gens vivaient il y a 3 000 ans. Vous pouvez voir et sentir comment les habitants de l’époque vivaient à Jérusalem, l’environnement autour du Mont du Temple, les routes, les paysages. Vous marchez la Bible en mains, vous vous baladez dans les vieilles ruelles de la Cité de David, vous comprenez que les récits de la Bible sont bien réels, et vous nourrissez un respect pour l’histoire de la ville sainte. Vous mesurez combien Jérusalem est importante et combien elle sera importante dans le futur parce qu’elle a été importante dans le passé. Pour moi, la Cité de David met en relation le futur et le passé.
Propos recueillis par Jacques Salomon